Voir aussi
:
Depuis l’ouverture de l’Oratoire au culte réformé, le 31 mars 1811, quatre instruments ont accompagné le chant et la prière de l’assemblée :
l’orgue, de dimension modeste et de facteur inconnu, venant de l’église St. Louis du Louvre
- L’orgue post-classique Somer et Callinet ( 1828 )
- l’orgue symphonique Mercklin ( 1899 )
- l’orgue néoclassique Gonzalez ( 1962 )
Saint Louis du Louvre |
Nous n’avons aucun renseignement d’archives ni de documents iconographiques sur l’orgue antérieur à la Révolution qui se trouvait encore en 1811 sur la tribune au fond de l’église. Il devait être en très mauvais état, puisque l’on fit venir de l’église St. Louis du Louvre l’orgue offert en 1790 par Louis Féline, membre du Consistoire réformé.
Ce petit instrument qui n’avait probablement qu’un seul clavier fut remonté sur un tambour au fond du chœur. Malgré son emplacement défavorable et son insuffisance sonore, il fallut attendre 1824 pour que la « commission des bâtiments et de l’intérieur » décide « de faire établir dans le temple de la rue St. Honoré un orgue plus assorti à l’étendue de ce temple et plus propre à le décorer que celui qu’il y a maintenant… »
Des devis ayant été demandé à Gabriel-Joseph Grenié et aux facteurs associés Somer et Callinet, c’est la proposition de ces deux derniers qui fut retenue. Le marché fut signé le 6 juillet 1826 et l’architecte Etienne-Hippolyte Godde, inspecteur en chef des édifices religieux de la ville, dessina un buffet à trois plates-faces, sans tourelles, ressemblant à celui de l’orgue qui se trouve encore de nos jours dans la chapelle de la Sorbonne.
Somer et Callinet mirent presque deux années pour achever cet instrument de 25 jeux réels, répartis sur trois claviers et pédalier, la console étant située à l’arrière du buffet. L’absence de plein jeu et le grand nombre de jeux d’anches furent critiqués par les historiens de l’orgue au 20° siècle*, mais il faut noter que ce type d’instrument était conçu pour interpréter les œuvres des grands organistes de l’époque ( Beauvarlet-Charpentier, Séjan, Lasceux ). Longtemps dénigrée par les musicologues, cette musique a été réhabilitée grâce aux recherches de Nicolas Gorenstein*. Dans leur rapport d’expertise daté du 17 mai 1826, Jacques-Marie Beauvarlet-Charpentier, organiste de St. Eustache, et Louis-Nicolas Séjan, organiste de St. Sulpice et des Invalides, écrivaient :
Nous soussignés, nommés par Messieurs les membres du Consistoire, à l’effet de vérifier et arbitrer la confection de l’orgue du Temple de l’Oratoire, certifions que cet orgue est parfaitement confectionné et d’une très belle harmonie… ».
L'orgue de l'Oratoire en 1910 |
Le petit orgue, devenu inutile, fut cédé en 1835 à l’Eglise réformée de Nantes, au prix de 1500 francs.
En 1843, Ernest Meumann, d’origine allemande, était nommé organiste titulaire. Admirateur de la nouvelle facture d’orgue germanique et des grands instruments romantiques de la maison Walcker*, il trouva l’orgue de l’Oratoire défectueux et insuffisant pour l’accompagnement du chant. Souhaitant obtenir son remplacement, il rédigea, le 13 juin 1843, un rapport détaillé à la demande du président du Consistoire :
« L’orgue d’un temple protestant doit être construit sur des principes appropriés aux besoins spéciaux du culte protestant. La partie musicale de ce culte consiste en ce que les protestants chantent tous ensemble un psaume ou cantique accompagnés de l’orgue. Cet instrument se fait aussi entendre seul, aux préludes, ritournelles et sorties, mais son but principal est de soutenir et guider le plein chant* . Pour atteindre ce but, il faut que l’instrument soit tout autrement construit qu’un orgue presque exclusivement destiné à se faire entendre en morceaux solo. Or il est complètement nécessaire qu’un orgue destiné à accompagner le plein chant puisse soutenir les chanteurs par des sons graves, tout en les dirigeant avec précision ; il doit surtout posséder des pédales bien fournies tant en quantité de jeux qu’en qualité de sons ; enfin, il faut qu’une personne, n’étant pas musicienne, n’ayant pas même des notes devant elle, puisse tout de même chanter à l’aide de l’orgue. Pour mettre un instrument en état de remplir ces conditions, il faut en construisant un orgue prendre garde premièrement à faire un bon choix entre les genres de jeux, deuxièmement, à unir avec une entière sûreté les différents calibres de jeux de 16,8, 4, 2, 2 2/3 etc…pieds. C’est parce qu’on a manqué dans ces deux points que l’orgue de l’Oratoire n’est pas un instrument qui convient à notre culte… »
La console de l'orgue
de l'Oratoire du Louvre
actuellement |
Un second rapport, daté du 26 février 1844, conduisit l’Oratoire à entrer en relation avec le facteur Walcker, mais ceux qui estimaient que l’orgue Callinet était encore valable s’opposèrent à la construction d’un nouvel instrument.
Meumann avait aussi transmis un projet de 56 jeux à la maison parisienne Daublaine. Le célèbre facteur Aristide Cavaillé-Coll, associé jusqu’en 1849 à son père Dominique, fut également sollicité. Les Cavaillé répondirent, le 24 mars 1845, en proposant un devis de 56 jeux sur trois claviers et deux pédaliers indépendants :
« L’orgue projeté par Monsieur Meumann dont nous donnons ci-joint le devis estimatif fournirait l’occasion d’établir à Paris un instrument modèle pour le culte protestant. Le nombre et, surtout, la dimension des jeux qu’il renferme permettraient de le classer parmi les grandes orgues de France quant à l’effet de l’instrument par rapport à la dimension du temple. Nous croyons qu’il remplirait toutes les conditions qu’on doit exiger. »*
Malgré tous ses efforts et toutes ses démarches, Ernest Meumann ne réussit pas à convaincre l’ensemble du Consistoire de remplacer l’orgue Callinet, dont l’entretien fut confié au facteur Ducroquet. Ce dernier ayant demandé la construction d’un nouveau soufflet essuya un refus : dépense trop élevée pour le Consistoire !
En 1852, la maison Cavaillé-Coll réalisa des travaux d’amélioration ; elle resta chargée de l’entretien de l’orgue jusqu’au 1° avril 1883. Le Conseil presbytéral, jugeant les visites trop rares et pas assez soignées, décida de louer un harmonium qui fit rapidement « une impression défavorable sur le troupeau ( sic ) par son insuffisance notoire ».
Le vieil orgue reprit du service, la maison Cavaillé-Coll ayant accepté d’effectuer un nettoyage et quatre accords par an*.
En 1894, l’entreprise rivale de Cavaillé-Coll, fondée et dirigée par Joseph Merklin, fut contactée et proposa différents projets de réparation ou de remplacement. Grâce au mécénat privé, c’est en 1898/1899 que fut construit un nouvel instrument par la « Manufacture de grandes orgues Merklin et Cie » : l’attestent le reçu, signé de Joseph Merklin, le 22 novembre 1897, d’un premier acompte versé au nom du Conseil presbytéral par le pasteur Decoppet, l’annonce par le même du démontage du buffet en septembre 1898, puis de l’achèvement des travaux payés le 25 mars 1899*. Les 32 jeux, dont 21 jeux de fonds prirent place dans le buffet de Godde, la console étant disposée sur le devant de la tribune. Comme l’écrit très justement Claude-Rémy Muess, « l’ instrument répondait au goût de l’époque et reflétait les progrès – ou ce qui était jugé tel - réalisés par la facture d’orgue à la fin du 19° siècle*. Mais dans une notice, non datée, Alexandre Cellier critique vivement l’instrument :
« On commit l’erreur incroyable de répartir ces 32 jeux sur deux claviers seulement. De plus, la composition était mauvaise, avec un clavier de grand-orgue trop important et un clavier de récit sans mixtures, avec une clarinette faisant double emploi avec le hautbois. Et j’en passe. Néanmoins, il y avait quelques jeux très bons et la construction était très soignée. Malgré les défauts inhérents au système tubulaire ( en particulier, le retard de la transmission ), l’orgue dura cinquante ans environ sans réparation notable »*.
L’inauguration eut lieu le 24 mars 1899. Henri Dallier, organiste de St. Eustache, improvisa sur la mélodie du Psaume 138 et sur un air de « Judas Macchabée » de Haendel. Il interpréta aussi la célèbre « Toccata » en ré mineur de Bach et un « Andante » de Mendelssohn. Plusieurs musiciens amateurs, dont l’organiste du Grand Temple du Havre et le titulaire Henri d’Aubel prêtèrent également leur concours et le chœur paroissial chanta un extrait du « Requiem » de Verdi.
Marie-Louise Girod
à l'Orgue de l'Oratoire
plaque apposée sur l'orgue |
En février 1902, le successeur de Merklin à la tête de l’entreprise, Joseph Gutschenritter, présenta un devis pour l’électrification de la soufflerie de l’orgue, qui fut réalisée dès la fin de l’année. Mais si l’orgue dura cinquante ans sans réparation, son mauvais état fut signalé dès 1945 par les organistes Henriette Roget et Marie-Louise Girod. La maison Gutschenritter proposa alors un dépoussiérage et un relevage qui ne furent pas effectués : le facteur Victor Gonzalez expliquait lui-même en 1949 que le travail serait « inefficace et pas consciencieux » ! Les organistes revinrent à la charge par une lettre adressée en décembre 1949 au directeur des Beaux Arts. L’entrée de Norbert Dufourcq dans la commission consultative pour la réfection des orgues en octobre 1951 accéléra enfin le processus.
Comme il fallait reconstruire à la fois le grand orgue et la tribune, Norbert Dufourcq intervint pour que fût prêté à l’Oratoire pendant la durée des travaux un orgue de salon de Cavaillé-Coll ( deux claviers, pédaliers, 15 jeux ), sorti d’un hôtel particulier de la rue d’Anjou : l’instrument avait été acheté en 1912 par Cécile Holtzer, fille d’un industriel alsacien, qui le destinait à sa sœur Hélène, élève de Nadia Boulanger. A la vente de la demeure familiale en 1950, l’instrument servit d’orgue de chœur à l’Oratoire, au pied de la chaire, jusqu’à l’achèvement des travaux. On peut suivre sa destinée ultérieure, car il fut remonté dans l’ancienne église réformée d’Auteuil, puis offert à l’église luthérienne de Suresnes, finalement restauré et vendu en 1997 à l’église St. Bernhard de Mayence où il se trouve actuellement *.
Mais revenons au grand orgue : le choix d’un facteur pour la reconstruction fut long et difficile, pour des raisons qu’il serait fastidieux de développer ici. Six projets avaient été déposés, ceux de Bechet-Debierre, Gonzalez, Gutschenritter ( qui entretenait l’orgue depuis longtemps ), Jacquot-Lavergne, Michel Mercklin-Kühn de Lyon et Roethinger.
L’établissement Gonzalez fut désigné en 1956 pour une première tranche de travaux, puis chargé, par arrêté préfectoral du 25 septembre 1957 en accord avec le directeur des Beaux Arts, de la 2° tranche. Les travaux d’agrandissement de la tribune prirent beaucoup de temps et le facteur Victor Gonzalez , décédé le 3 juin 1956, n’eut pas la joie de voir l’instrument rénové : c’est Georges Danion, mari de sa petite-fille , qui supervisa la construction de l’orgue*.
Jean-Dominique Pasquet
à l'Orgue de l'Oratoire |
L’inauguration eut lieu le 14 janvier 1962 ; le service liturgique et la prédication étaient assurés par le pasteur Marc Boegner ; l’instrument fut joué par Alexandre Cellier, Henriette Roget et Marie-Louise Girod. Marcel Dupré improvisa une passacaille sur la mélodie du Psaume 47, que la maîtrise, dirigée par Horace Hornung, avait chanté au début de la cérémonie.
L’orgue de l’Oratoire comprend 67 jeux répartis sur trois claviers et pédalier et de manière à dégager totalement la tribune pour y placer la maîtrise, la tuyauterie du 2° clavier a été disposée dans deux « loggia », de part et d’autre de la tribune. La traction est électropneumatique, selon la volonté de Norbert Dufourcq. L’harmonie a été réalisée par Jean Daniellot, Jacques Bertrand et Georges Danion*. L’esthétique néoclassique n’eut pas l’heur de plaire à tous les observateurs, même si elle fait forte impression sur le public. De grands compositeurs contemporains ont écrit pour ce genre d’instrument qui permet aujourd’hui à l’organiste, comme le souhaitait Ernest Meumann en 1843, d’accompagner la liturgie et de jouer aussi la musique d’orgue de toutes les époques.
Jean-Dominique Pasquet, organiste titulaire
extrait du livre du bicentenaire
Notes :
* L’ouvrage de N. Gorestein, L’orgue post-classique…est consacré à ce sujet.
* Saint-Paul de Francfort ( 1833, 74 jeux ) ; Saint-Pierre de Saint-Petersbourg ( 1840, 65 jeux )
* « plein chant » désigne ici le chant de toute l’assemblée et non le « plain chant » grégorien.
* Le beau projet de Cavaillé-Coll ne fut pas réalisé, et c’est dans le Temple de Pentemont que le grand facteur construisit en 1846 un orgue de 24 jeux.
* document original en annexe
* Cl. R. Muess, Les orgues et les organistes…, BSHP, 1981, p. 158.
* document original en annexe
* Je remercie M. Jacques Sandoz, organiste du Temple de Neuilly-sur-Seine, qui m’ a communiqué cette notice inédite.
* P. Reifenberg, Daniel Roth à l’orgue Cavaillé-Coll de St. Bernhard, Mayence, Organ, Wergo 1999.
* Je remercie vivement madame Annick Danion, petite-fille de Victor Gonzalez, de m’avoir confié pour cette étude les archives de la maison Gonzalez concernant l’Oratoire du Louvre.
* renseignement aimablement communiqué par Bernard Dargassies, repreneur de la société Gonzalez.
Bibliographie
Norbert Dufourcq, Les monuments historiques au service des orgues de la France, Les monuments historiques de la France, bulletin trimestriel, n° 2/3, 1962, L’Oratoire du Louvre, p. 172-175.
Roland Galtier, La facture d’orgues en France de 1800 à 1870, ANRT, Lille, 1997.
Nicolas Gorestein, L’orgue post-classique français, Chanvrelin, Paris 1987-1990.
Claude-Rémy Muess, Les orgues et les organistes des églises réformées de Saint-Louis et de l’Oratoire du Louvre à Paris : 1791-1980, in Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme, 1981, pp. 125-177.
Félix Raugel, Les grandes orgues des églises de Paris et du Département de la Seine, Fischbacher, Paris 1927.