L’Oratoire, du temple à la paroisse
|
|
|||||
|
Population |
Électeurs |
Population |
électeurs |
population |
Oratoire |
11850 |
1111 |
4548 |
531 |
3200 |
Saint-Esprit |
2844 |
568 |
3500 |
||
Pentemont |
2773 |
260 |
3300 |
307 |
4000 |
Sainte-Marie |
5770 |
541 |
5500 |
604 |
8400 |
Batignolles |
3250 |
303 |
9800 |
665 |
11000 |
Plaisance |
1898 |
178 |
3100 |
361 |
4000 |
Passy |
1066 |
100 |
3600 |
186 |
2700 |
Belleville |
2336 |
220 |
3700 |
266 |
4700 |
total |
28923 |
2713 |
37392 |
3488 |
41600 |
Tab. 1 : population parisienne réformée estimée en 1873, 1892 et 1905, électeurs en 1873 et 1892.
De fait, le tourbillon spirituel entourant le temple nuit à la vie chrétienne, cette fois, de nombreux fidèles. Plusieurs logiques et temporalités vont, à cet égard, se croiser et souligner l’imperfection croissante des cadres accoutumés pour aboutir à la naissance d’une paroisse.
Comme l’a rappelé André Encrevé, Consistoire et conseil presbytéral de Paris ont modifié les limites paroissiales.
Depuis l’extension de 1860, cinq paroisses sont nées : Oratoire (première et seconde section), Pentemont (I. II), Sainte-Marie (I, II), Batignolles (Belleville et Saint-Denis) et Plaisance. Les temples de Sceaux et Vincennes sont directement rattachés au conseil presbytéral. La vie paroissiale de la « première paroisse » (Oratoire I, II) se déploie en réalité à la chapelle Saint-Lazare (ouverte en 1847), puis au Saint-Esprit (ouvert en 1868).
A la mort d’Athanase Coquerel père, le 10 janvier 1868, le conseil presbytéral divise la paroisse officieuse, le 3 mars 1868, en trois sections dirigées par les pasteurs J.-H. Grandpierre, Louis Rognon (1826-1869) et Ernest Dhombres (1824-1893) — Montandon restant affecté à l’École du dimanche, à la Salpétrière et à Bicêtre. A leur démission ou mort, Grandpierre est remplacé par Recolin, Rognon par Guillaume Monod (1800-1896) , puis par Eugène Ducros (1823-1899).
En 1874, Passy obtient le XVIe arrondissement relevant jusqu’alors de la seconde section de l’Oratoire, devient alors la 6e paroisse officieuse, et Belleville la 7e. Après le rapport déjà évoqué de Recolin, en mai 1877, le conseil presbytéral rompt le lien entre Oratoire et Saint-Esprit, dédouble l’ancienne première section [confiée à Numa Recolin et Auguste Decoppet (1836-1906)], remodèle les limites des quatre paroisses de la rive droite (Oratoire, Saint-Esprit, Sainte-Marie, Vincennes) enfin abandonne la prédication générale sur fond de menace ritualiste — exprimée par un certain nombre de laïcs . La rotation des pasteurs pour tous les temples du ressort parisien est alors introduite .
L’organisation diaconale évolue elle aussi. Dès 1860 apparaissent 8 sections diaconales décalquant le tissu paroissial officieux, puis en 1866 sont érigés 8 diaconats particuliers reliés entre eux par un Diaconat général qui alloue les crédits et compense les déficits (juillet 1871) — preuve ayant été faite lors du siège de Paris d’un besoin de proximité pour répondre aux besoins et suivre la population migrante . En 1875, Paris compte désormais 10 comités diaconaux : Saint-Esprit (paroisse de l’Oratoire), Pentemont, Sainte-Marie, Batignolles, Passy, Belleville, Plaisance, Vincennes, Montmartre, Neuilly. Malheureusement, 15 des 18 diacres de la première paroisse résident dans la section du Saint-Esprit, avec les conséquences que l’on imagine. Décision est donc prise, en février 1876, de dissocier les sections diaconales de l’Oratoire et du Saint-Esprit: Le nouveau règlement général du 26 octobre 1877 consacre quant à lui et à l’échelle parisienne le double principe de la délocalisation des secours et de la localisation des diacres .
Bref entre 1876 et 1877, naît une entité ayant « les caractères d’une bonne paroisse » , même si tous ces facteurs additionnés attestent aussi de la volonté évangélique de transformer l’Oratoire en paroisse « comme les autres ».
Pour les libéraux, les élections presbytérales ont démontré à l’inverse depuis 1852 et surtout 1860 la force de leur enracinement à l’Oratoire — au Saint-Esprit et à Sainte-Marie dans une moindre mesure. En témoignent deux séries statistiques : l’une fondée sur la moyenne synthétique des voix exprimées aux élections de 1872 , l’autre étant une estimation réalisée en 1880 par Fernand de Schickler (1835-1909) , pour la direction des cultes non-catholiques .
|
Électeurs libéraux |
Électeurs évangéliques présumés |
Total |
||||
|
1872 |
1880 |
1872 |
1880 |
1880 |
|
|
Oratoire |
384 |
343 |
241 |
245 |
588 |
|
|
Saint-Esprit |
85 |
248 |
102 |
293 |
541 |
|
|
Sainte-Marie |
198 |
215 |
187 |
238 |
453 |
|
|
Pentemont |
97 |
96 |
107 |
190 |
286 |
|
|
Passy |
18 |
46 |
62 |
141 |
187 |
|
|
Batignolles |
79 |
205 |
111 |
366 |
571 |
|
|
Plaisance |
35 |
? |
87 |
? |
417 |
|
|
Belleville |
42 |
? |
106 |
? |
249 |
|
|
total |
|
|
|
|
3282 |
|
Tab. 2 : électeurs presbytéraux libéraux et évangéliques (estimations 1872 et 1880)
Les libéraux cultivent donc l’espoir d’une adéquation entre territoire et électorat. Les élections de 1872, opérées avec les conditions électorales de 1852, écartent tous les libéraux. En revanche, celles de 1874 requièrent que l’électeur souscrive aux conditions religieuses synodales (pas encore publiées), le Consistoire de Paris estimant qu’ayant adopté des conditions religieuses en mai 1870, sans les avoir imposées en 1872, ne prend pas les électeurs au dépourvu. Des 640 votants de 1872, l’Oratoire n’en conserve que 192 .
De 1865 à 1882, pas moins de 14 demandes de division sont donc présentées par les libéraux (à Haussmann, au Consistoire, aux Ministres des cultes…). S’en mêleront Napoléon III et Thiers, plusieurs présidents du Conseil, la réunion des « Députés et sénateurs protestants » (en 1876-80) …. Deux grands schémas dominent (avec des variantes) : la partition en deux consistoires (avec ou sans reconnaissance étatique de deux Églises réformées nationales) ; le maintien d’un seul consistoire assorti d’une division en plusieurs conseils presbytéraux (de 5 à 8, égaux entre eux ou avec un chef-lieu comme l’Oratoire).
Le premier schéma a pour lui l’interprétation de l’art. 16 de la loi de Germinal [« Il y aura une église consistoriale par six mille âmes de la même confession »]. Mais cette extrapolation est invalidée par l’arrêt du Conseil d’État du 13-15 novembre 1873. En avril 1877, la « commission Martel » ou « commission des jurisconsultes » , est réunie avec dans l’idée de créer deux consistoires, tout en reconnaissant le principe presbytérien-synodal. Le rapport final suggérera l’unité consistoriale, contre l’attribution d’une chaire pastorale aux libéraux à Paris, et la réunion d’un synode, contre le rejet des conditions religieuses de l’électorat. Las, rien n’aboutit.
En août 1878, de son propre chef, Guillaume Guizot convoque le Conseil central des Églises réformées (qui ne s’est pas réuni depuis l’Empire) afin de nommer des professeurs aux facultés de théologie [Ariste Viguié (1827-1890)et Gaston Bonet-Maury (1842-1919)], mais aussi d’envisager de nouveau la partition des réformés en deux cultes reconnus. Cette option, rejetée de tous bords, cède la place au principe de division presbytérale lorsqu’Eugène Hepp (1838-1908) remplace Guillaume Guizot à la direction des cultes non-catholiques. L’infatigable lobbying de Philippe Jalabert (1823-1907) — leader de la Délégation libérale aux côtés de Fernand de Schickler —, auprès de Thiers (en 1872 et 1873), de Laferrière (en 1877 comme jurisconsulte et en 1879 comme directeur des cultes), de Flourens (en 1880 et 1882, directeur des cultes) ou d’Humbert (vice-président du Conseil d’État en 1882) finit par emporter la décision de l’État : le décret du 12 avril 1880 rétablit les conditions électorales de 1852 ; le décret du 25 mars 1882 consacre la division du Paris réformé.
Huit paroisses officielles — chacune dotée d’un conseil presbytéral et d’un diaconat —, remplacent l’ancien conseil presbytéral unique. Par ailleurs, deux consistoires président désormais aux destinées des temples de Paris et du ressort de Versailles (Seine-et-Oise, Oise, Eure-et-Loir). Mettant un terme à un conflit de près de 25 ans, la puissance publique choisit, par voie autoritaire, le moindre mal : elle donne, en invoquant le droit des minorités, satisfaction aux libéraux à Paris, contre leur acceptation tacite du système presbytérien-synodal officieux pour les évangéliques. En clair, l’État tolère bien deux systèmes d’Églises(s) sous la désignation nominale du culte reconnu des Églises réformées : une Église évangélique ; des églises libérales . Cette révolution temporelle est donc aussi une restauration spirituelle — l’État admettant formellement le droit des Églises à s’administrer selon leurs croyances.
La mise en oeuvre du décret s’effectue sur deux plans : administratif et pastoral. La nouvelle géographie induite par le décret — faisant correspondre arrondissements et circonscriptions presbytérales, sauf pour l’Oratoire et le Saint-Esprit —, impose d’abord l’établissement de nouveaux registres électoraux. Une commission de 12 pasteurs et 24 laïcs s’y emploie. Les élections se déroulent le 14 mai pour l’Oratoire et le 16 juin pour les 7 autres paroisses.
Pourquoi ce décalage ? En raison du statut de l’Oratoire, déclaré paroisse chef-lieu et pouvant, à ce titre, envoyer tous ses Anciens (6) au Consistoire. Les autres paroisses désignent chacune un délégué (7 au total) auxquels s’ajoutent 6 « membres doublants », élus par rotation de ces mêmes sept paroisses, pour équivaloir les 6 représentants de la paroisse chef-lieu. Cette disposition — conforme aux législations antérieures mais contestable —, donne une certaine prime aux libéraux qui, sinon, n’auraient eu que 1 à 2 représentants au Consistoire. En toute logique, mais pas de manière écrasante comme ils l’escomptaient, les libéraux obtiennent à l’Oratoire entre 209 et 219 voix pour leurs candidats, contre 197 à 205 pour les évangéliques. Partout ailleurs ils sont défaits. A l’échelon parisien, les libéraux ne retrouvent que 751 électeurs contre près de 1300 en 1872, la perte estimée pour l’Oratoire étant de 150 environ. Lassitude des querelles ecclésiastiques, incertitude du lendemain, départs, prime donnée à la salle St-André — orchestrant une sorte de « librisme » libéral —, mais peut-être aussi habitudes prises à la prédication évangélique, tous ces facteurs se sont combinés.
Sans réelle surprise, la nouvelle majorité entend nommer un pasteur à l’Oratoire. Le choix, préparé de longue date, se porte sur Ariste Viguié. Son prestige — ancien président du consistoire de Nîmes, pressenti pour être sénateur sous l’Empire, modéré —, se double d’un avantage pour tous : professeur à la faculté de théologie de Paris, il ne peut cumuler deux fonctions officielles. Pasteur auxiliaire, il n’a même pas à être entendu par le Consistoire. Mais celui-ci renforce, le 30 juin, la déclaration de concorde voulue par Auguste Decoppet et à laquelle se rallie sincèrement Numa Recolin. La nomination est expressément assortie de l’obligation pour Viguié ou tout autre pasteur invité de lire la liturgie en son entier . Bref, la chaire de l’Oratoire résiste à l’aile unitarienne ou déiste du libéralisme. La conciliation permet aussi de conserver les 9 diacres évangéliques de l’ancienne organisation territoriale (dont 3 membres du Consistoire) et d’en nommer 11 nouveaux. Quoi qu’il en soit, l’Oratoire devient d’autant plus le temple libéral parisien que la salle Saint-André est fermée en avril 1883, et que Charles Wagner débute tout juste son ministère rue des Arquebusiers. Surtout l’auditoire déborde des limites assignées et dès 1883, on invite tous les libéraux parisiens à participer aux collectes du temple. La paix est-elle donc revenue ?
En réalité non. La « minorité évangélique » de l’Oratoire délègue aux synodes officieux laïcs et pasteurs. De leur côté, les libéraux font élire des « conseils presbytéraux officieux » dans la plupart des paroisses parisiennes. Aux élections de 1883 — imposées par le calendrier national de renouvellement de la moitié des conseillers —, les libéraux tentent de présenter partout des « listes de conciliation » pour accroître leur représentation au Consistoire. Ils perdent ainsi un siège à l’Oratoire, mais commencent déjà à creuser l’écart au scrutin de 1886 — 47 voix séparant le dernier élu libéral du premier évangélique. Lors de la décennie suivante, l’assemblée de Lyon (2-5 novembre 1896) contribue à esquisser un rapprochement dans la famille huguenote et sa défense commune par la Commission fraternelle des Églises réformées . Mais la titularisation du pasteur J.-E. Roberty (1856-1925) — appelé à remplacer Ariste Viguié, mort en novembre 1890, en qualité d’auxiliaire à l’Oratoire —, est rejetée 10 fois par le Consistoire de 1891 à 1902. A l’inverse, Théodore Monod (1836-1921), remplace sans mal Numa Recolin, disparu en octobre 1892.
Dans ces conditions, l’Assemblée générale des représentants des Églises Réformées libérales de France conforte à quatre reprises la dimension de vitrine libérale du temple (5-8 mai 1886, 5-8 mai 1889, 5-8 mai 1896, 7-9 juin 1898 ). Cependant, si le « Comité central libéral de l’Église réformée de Paris » tient ses séances annuelles, dites « réunion privée des protestants de Paris amis de la cause libérale » à la Société de géographie, les choses changent. Par exemple, aux conférences pastorales générales [évangéliques] des 17-18 avril 1888, tenues à l’Oratoire, Tommy Fallot prend longuement la parole (voir annexe) sur l’engagement social des pasteurs. Avec la rupture du bloc évangélique , l’émergence du « centre-droit » — de tendance chrétienne-sociale —, relance le dialogue. En dépit de ses échecs, Roberty peut ainsi compter sur 12 à 13 soutiens au Consistoire (sur 30 membres) et, en 1903, l’Oratoire fait figure de symbole national avec les « trois tendances » représentées en son sein à travers Decoppet (évangélique modéré), Théodore Monod (« centre-droit ») et Roberty (libéral) . La conférence du Comité d’action sur le terrain moral et social tenue au temple en mars 1905 par Wilfred Monod (1867-1943) et Louis Trial (1850-1934) marque alors et de manière éclatante l’autonomie du « centre-droit » à l’égard de l’appareil évangélique et son rapprochement avec les libéraux .
De prime abord, l’Oratoire conserve donc un statut singulier. Outre qu’il continue à accueillir les réunions du Consistoire et reste siège du Diaconat général, sa vocation symbolique, voire « proclamatoire » — au sens où l’entend Maurice Agulhon —, perdure. En 1885 et 1887, la remémoration de la Révocation et de l’édit de tolérance, y est l’occasion de rencontres d’importance. Le 17 juillet 1889 semble confirmer cet élan avec l’inauguration de la statue de Coligny, due au sculpteur Gustave Crauck et à l’architecte Scellier de Gisors, au chevet de l’édifice . Lancé en 1881 par Eugène Bersier, soutenu par le Comité Coligny, au terme d’une assez longue procédure d’acquisition du terrain, l’hommage patriotique à Coligny est à dessein décalé du 24 août (jour de Saint-Barthélémy) à ce jour du 17 juillet sentant bon le centenaire de la Révolution. Pour autant, si en 1885-89, tout le « Paris protestant », voire la France protestante, se pressait à l’Oratoire, en 1898 la proposition du pasteur Gout (1832-1905) de saluer l’édit de Nantes en ce seul temple, qui accueillerait culte et conférences, est rejetée. On préfère de discrètes assemblées paroissiales .
De fait, dominent à partir de 1882 des indices de déplacements d’intensité vers la sphère paroissiale. Quelques signes ne trompent pas : la holy week est moribonde ; on préfère désormais tenir les assemblées (plus confidentielles) aux sièges des sociétés, voire les faire coïncider avec des « excursions » ; et puis l’offre de conférences ou de « causeries » s’est démultipliée sur fond de tentations plus séculières. Enfin, chaque temple veut maîtriser son propre agenda d’activités, de consécrations ou d’actes pastoraux. Par exemple, si le père Hyacinthe Loyson,( 1827-1912), « vieux-catholique », avait pu prendre la parole à l’Oratoire le soir du dimanche 12 janvier 1873 aux côtés des pasteurs Guillaume Monod, Gout, Dhombres et de l’historien Rosseeuw Saint-Hilaire (1805-1889, libriste) , en 1885 sa demande d’intervenir pour quatre conférences est rejetée. Le conseil presbytéral, assez partagé, entend éviter de diviser un troupeau très différent de celui des autres temples et, comme le dit Schickler : « Nous n’avons pas à unir notre cause à la sienne » .
De fait, la vocation paroissiale change. Comme le dit, en 1903, le pasteur Théodore Monod , l’Oratoire peut se prévaloir d’être : une église, centrale, un milieu , où l’ « on est bien », où l’on travaille . Le ministère de la parole requérant dés lors engagement et action, le renforcement de l’encadrement pastoral est à comprendre, non comme un signe de cléricalisation, mais comme l’émergence des travailleurs chrétiens. Venu très tard à la paroisse-lieu-de-vie, l’Oratoire rattrape son retard, voire innove.
Dès 1895, le pasteur Decoppet crée le premier diaconat féminin parisien — la Société de bienfaisance des dames de l’Oratoire —, salarie un agent spécial et décide d’attribuer les secours aux nouveaux pauvres après les avoir reçus lui-même . Si l’on ne s’interroge pas encore sur les mobiles de la désaffection masculine , la paroisse doit satisfaire un nombre croissant de besoins qu’exprime L’Oratoire [la « Feuille Rose »], dès 1895. Après le tableau des services religieux du trimestre, le bulletin paroissial s’ouvre sur les nécrologies puis une longue méditation, que suit le « mode d’emploi » paroissial (instruction religieuse, cours pour adultes, école du dimanche, école du jeudi, cercle amical des jeunes filles, œuvre du trousseau, chœur, bibliothèque circulante…) auxquels se greffent le détail des actes pastoraux accomplis et quelques « communications » diverses intéressant directement la vie du temple et son rayonnement. Enfin, un guide pratique mêle bulletin d’annonces (pour des emplois : offres et demandes) et recommandations communautaires pour divers commerces ou établissements. A comparer avec le tableau impressionnant de l’offre de services sociaux et culturels figurant dans le Paris protestant de Decoppet en 1876 ou Les Oeuvres du protestantisme français publiées par Frank Puaux en 1893, la liste est chiche. Mais c’est que le système palliatif commence à être remplacé par l’État social, laïcisé.
Finalement, que sait-on des fidèles eux-mêmes ? Comme l’indiquait Recolin dans son rapport de 1877, la paroisse était réputée pauvre. Deux documents corrigent un peu cette approche : le registre électoral de 1883 (permettant d’identifier les professions de 439 individus) ; le remarquable carnet de visite, établi en 1894 par Decoppet , et indiquant la profession de 192 paroissiens (sur 236 familles représentant 380 fidèles visités).
|
1883 |
1894 |
Domestiques ou ouvriers |
6 % |
7 % |
Employés |
20 % |
35 % |
Artisans et petits commerçants |
27 % |
19 % |
Commerçants et industriels |
25 % |
17 % |
Professions libérales et hauts fonctionnaires |
13 % |
18 % |
Banquiers, rentiers et propriétaires |
9 % |
4 % |
La relative modestie du recrutement social — qui tendrait à s’accentuer dans la première section —, est commune aux évangéliques et libéraux, comme le prouve l’analyse des électeurs de 1873, encore vivants en 1883 . Outre la fonction artisanale et commerciale du quartier, ces chiffres reflètent aussi les origines géographiques de fidèles en phase d’intégration économique. Si un tiers des électeurs de 1883 est natif de Paris, 40 % viennent de Suisse, mais moins de 12 % du Midi. A la pliure des siècles, entre couches populaires et classes moyennes, la paroisse vraie n’est donc pas faite du public huppé qu’on lui prête, ou qu’on lui prêtera.
Lorsque vient le temps de la Séparation, l’Oratoire a pu accomplir son destin paroissial. Il résiste à l’épreuve de 1905, étant l’une des 17 nouvelles associations cultuelles avec 12 (bientôt 15) et non plus 6 conseillers laïques . Comme le dit J.-E. Roberty : « au 31 décembre 1906, 732 noms, dont 382 électeurs ou électrices et 350 adhérents ou adhérentes » (1500 personnes) forment l’Église. Naguère divisée, voire meurtrie par un long conflit, elle a pratiqué une forme originale de tolérance, partagée avec la Société d’Histoire du Protestantisme Français autour d’une même invocation d’Eph., IV, 3 appelant à « conserver l’unité de l’esprit par le lien de la paix ». Comme on a pu le voir, s’accomplit à partir des années 1890 une double vie : des réunions des instances administratives ou de direction s’y tiennent à l’écart (sacristie du temple ou maison presbytérale) ; le temple attire à lui l’auditoire protestant du quartier et le public libéral parisien . Pour autant, il n’est pas (ou plus) le lieu assigné des grands cultes, rassemblements ou manifestations (au croisement du spirituel et du temporal). Preuve est faite d’un refus viscéral d’épiscopalisme de la part des troupeaux — en raison de leur pratique ordinaire et de leur attachement à la commodité des lieux —, contre une tentation pastorale perceptible pendant plus d’un demi-siècle.
Patrick Harismendy
Professeur d’histoire contemporaine
Université européenne de Bretagne – Rennes 2
UMR CNRS Cerhio 6258
extrait du livre du bicentenaire
« Jusqu’à quel point les pasteurs peuvent-ils faire partie des associations laïques ?
Le pasteur doit, si c’est possible s’occuper exclusivement du salut des âmes. Mais pour sauver les âmes, il faut les rassembler ; à quoi nous ne réussissons qu’en entrant en contact avec le peuple et en comprenant ses préoccupations. Les Églises actuelles sont comparables à des poulies folles qui tournent sans communiquer leur mouvement aux autres rouages. Si les Églises n’engrènent pas avec la masse, elles sont condamnées à la plus belle mort. Voilà ce que les pasteurs ont pour tâche de faire comprendre aux laïques.
D’une manière générale, le Chrétien doit s’occuper des questions sociales, se pénétrer des aspirations du peuple, se faire le serviteur des humbles et des petits et répondre à cette soif de justice qui dévore notre génération. Dira-t-on que les Chrétiens doivent rester étrangers aux questions sociales ? Alors, pourquoi les pasteurs vont-ils dans les hôpitaux, dans les prisons et chez les malheureux ? S’il en doit être ainsi on conviendra qu’on ne peut alors éviter certaines questions, telles que le rapport du vice et de la misère, les funestes conséquences du chômage etc. La détresse sociale existe et nous ne pouvons y fermer notre cœur.
Au fond, pour M. Fallot, la question sociale se ramène à la question du milieu. D’excellents Chrétiens voient l’influence du milieu sur le salut des individus. Pour eux, c’est Dieu qui appelle ceux qu’il veut. Sans croire que les individus soient le produit du milieu et sans nier l’action de Dieu, on doit considérer l’influence du milieu comme l’action immanente de Dieu. Les parents s’occupent beaucoup de l’influence du milieu lorsqu’il s’agit du développement physique et moral de leurs enfants. Il importe, par exemple, que le foyer soit constitué et on ne peut s’en préoccuper sans songer au salaire, aux heures de travail, à la prévoyance, à l’épargne etc.
Nous devons nous efforcer de créer un milieu social qui soit le parvis du ciel. Voilà comment se légitime l’action des pasteurs dans les questions sociales.
M. Fallot pense qu’on peut prendre part aux associations laïques et y professer sa foi, sinon toujours en paroles, du moins par les actes. C’est du reste dans les associations que se manifeste l’esprit du Christ, parce qu’elles développent l’amour qui se sacrifie. Il importe de connaître les questions sociales qui seront au point de rencontre entre le peuple et l’église. Le peuple est un blessé bien malade ; ne nous conduisons pas à son égard comme des lévites. Plus on descend dans le peuple et plus on est frappé de sa générosité native et de ses aspirations au bien. Certainement, il est exploité par des politiciens malhonnêtes mais il les abandonnera bien vite, quand il se verra en face d’hommes vraiment pénétrés de l’esprit de Christ. »
. Pour le détail — fort complexe — de cette affaire : Patrick Harismendy, « La division du Paris réformé protestant en paroisses officielles (1860-1882) », BSHPF, II/1990, p. 235-290, 1990/III, p. 421-487 [art. issus d’un mémoire de maîtrise : Religion, sociologie, politique – Naissance et affirmation d’une paroisse réformée parisienne : L’Oratoire du Louvre (1870-1885), Paris IV [dir. J.-M. Mayeur], 1985 : un exemplaire s’en trouve à la SHPF ; un autre au Centre d’Histoire du XIXe siècle, Paris I – Paris IV].
. Patrick Harismendy, « “Église”, temple et paroisse dans l’espace réformée », in Alain Croix, Patrick Harismendy (édit.), « Espaces et Histoire », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2003/4, p. 139-149.
. Il y a une certaine ironie à ce que les oratoires [décret du 10 brumaire an XIV, décret du 31 octobre 1829 ; circulaire du 10 juillet 1842] désignent les temples mineurs, par opposition aux « églises consistoriales » quand on pense à Paris et Nîmes.
. Philip Nord, The Republican Moment. Struggles for Democracy in Nineteenth-Century France, Cambridge (Mass.)-Londres, Harvard University Press, 1995.
. Au sujet des affaires de Caen : André Encrevé, Protestants français au milieu du XIXe siècle – Les Réformés de 1848 à 1870, Genève, Labor et fides, 1986.
. Patrick Harismendy, Le Parlement des Huguenots – Organisations et synodes réformés au XIXe siècle, Rennes, PUR, coll. Carnot, 2005.
. André Encrevé, « Évangéliques et libéraux au synode de 1872 », in Jean Baubérot et alii, Vers l’unité, pour quel témoignage ? (La restauration de l’unité réformée 1933-1938), Paris, Les Bergers et les mages, 1982, p. 29-49.
. AN F19 10330 : élections ; SHPF, Registre de délibérations du conseil presbytéral de Paris, séance extraordinaire du 1er avril 1874, p. 430.
. En nov. 1872 sont désignés : Louis Vernes (président), Bois, Bastie, Cazenove, Laurens, Mettetal et, seul libéral, le nîmois, Pelon ; en déc. 1873 : Louis Vernes (Président), Laurens (vice-président), Dhombres, Cazenove (secrétaires), Charles-Louis Frossard (archiviste), Alfred André, Bastie, Bois, Breyton, Paul Gaufrès, Mallet, Mettetal, Monnier, Pernessin, Vernes d’Arlandes, Vaurigaud.
. André Encrevé, « Les deux aspects de l'année 1876 pour l’Église réformée de France », Actes du colloque Les protestants dans les débuts de la Troisième République, Paris, 1979, p. 371-410 ; Id., « La fondation de la faculté de théologie protestante de Paris, Études théologiques et religieuses, 1977, n° 3, p. 337-370.
. SHPF, Rapport des pasteurs de Paris sur leurs sections, 1877, 26 fol. : Numa Recolin, « Rapport sur la section de l’Oratoire », fol. 5.
. La liturgie d’Eugénie Bersier a été publiée en 1874 sur fond de querelle ritualiste en Grande-Bretagne. Une « Société du chant de l’Oratoire » est créée en 1875 mais sans réel succès.
. Patrick Harismendy, « La naissance des paroisses officielles … », loc. cit., BSHPF, 1990/2, p. .274-276.
. SHPF, Registre de délibérations du conseil presbytéral, n° 5, 15 juin 1877, propos de Louis Vernes, p . 117.
. Banquier allemand, il opte pour la France après 1872, étant depuis longtemps engagé dans l’Union libérale, puis l’un des leaders de la Délégation libérale et président de la SHPF.
. La qualité de sa composition (voulue par le ministre Martel) en souligne l’importance : J. Dufaure (ancien Président du Conseil), F. Andral (vice-président du Conseil d’État), H. Mercier (premier président de la Cour de cassation), Ch. Giraud (ancien ministre), M. Reverchon (conseiller à la Cour de cassation), A. Valette (professeur à la Faculté de droit), Ed. Laferrière (maître des requêtes au Conseil d’État).
. Sur ce dualisme ecclésiologique (un système centralisé, une fédération d’Églises) : Patrick Harismendy, Le parlement des huguenots…, op. cit.
. Désignent six conseillers presbytéraux : Saint-Esprit, Sainte-Marie, Pentemont ; cinq : Batignolles, Passy, Bellevile, Plaisance.
. Auguste Decoppet [Paris protestant, Paris, J. Bonhoure, 1876, p. 105 et sq.] consacre le chap. 1 de sa seconde partie intitulée « Cultes indépendants se rattachant à l’Église réformée de France » à la « Fraction libérale de l’Église réformée de Paris ».
. Une seconde assemblée se réunit, toujours à Lyon, les 8-11 novembre 1899 [Samuel Mours, Daniel Robert, Le protestantisme en France du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Librairie protestante, 1972, p. 333-337].
. Il s’agit du double libéral du synode évangélique mais ses ambitions disciplinaires ou réglementaires sont bien plus modestes.
. Le Protestant libéral, 18 juin 1898 : comptes-rendus (discret) des fêtes de l’édit de Nantes, (abondant) de l’Assemblée générale libérale.
. Nous avons montré dans Le Parlement des Huguenots combien se bloc était, en réalité, illusoire en associant depuis les années 1840 trois courants distincts.
. J.-E. Roberty, « La situation morale du protestantisme libéral », in Comité central libéral de l’Église réformée de Paris, Communication à nos souscripteurs et à nos amis, Paris, Agence des œuvres libérales, p. 10.
. Comité central libéral de l’Église réformée de Paris, Communication à nos souscripteurs et à nos amis, Paris, Agence des œuvres libérales, mai 1903, p. 6.
. Née de la Commission fraternelle, cette structure s’est d’abord nommée : Commission d’action protestante évangélique sur le terrain moral et social, puis Commission évangélique d’action sur le terrain moral et social (1901) pour devenir Comité d’action en 1903 [Patrick Harismendy, « Les Protestants français face à la Séparation », in Jean-Pierre Chantin, Daniel Moulinet, La séparation de 1905 – Les hommes et les lieux, Paris, éd. De l’Atelier, 2005, 224 p., p. 125-140].
. A l’impossible « commémoration » de ces tragédies, on préfère, comme on le sait en milieu protestant, parler de « culte civique du souvenir » ou de « célébration ».
. David El Kenz, « Le massacre de la Saint-Barthélemy est-il un lieu de mémoire victimaire ? », in David El Kenz et François-Xavier Nérard (dir.), Les lieux de mémoire victimaire en Europe du XVIe au XXIe siècle, actes du colloque international, Université de Bourgogne, Dijon, 18-20 novembre 2009 (à paraître).
. Temple de l’Oratoire, Registre de délibérations du conseil presbytéral de l’Oratoire, n° 1, 4 déc. 1885, p. 200 ; sur tout l’affaire : Patrick Harismendy, Religion, sociologie… op. cit., p. 273-284.
. Théodore Monod, « Le présent », in L’oratoire – Son passé, son présent, son avenir. (service annuel de rentrée), Paris, L’Oratoire, 1903, p. 19-23.
. Contre 8 temples officiels et 28 sections auparavant [Catherine Sengel, La Séparation des Églises et de l’État – Une chance pour le protestantisme français, thèse de l’École des Chartes, 1992, p. 180].
Le Synode général des Eglises réformées de France se tint au temple du Saint-Esprit, en juin 1872, présidé par François Guizot