La prophétie et la sagesse
Notre Dieu, tu as bien mis
dans ta Bible la prophétie pour nous secouer, nous réveiller,
nous révolter, nous relever, nous qui toujours baissons
la tête et les bras, et qui mettons le cur en berne.
Tu es comme le photographe qui nous ordonne de crier, de rire
et de vivre, car sans lui, sans toi, nous resterions moroses,
comme les enfants assis sur la place, pour lesquels on joue de
la flûte et ils ne dansent pas, auprès desquels on
entonne un chant funèbre et ils ne pleurent pas (Luc 7,
32).
Oui, ô Dieu, sans la prophétie nous resterions
assis, comme si rien ne se passait, ni en arrière, ni au
milieu, ni en avant. Sans la prophétie la vie est grise,
lhistoire est plate, la terre est creuse, nos vies sont
des feuilles mortes que naspire aucun vent.
Mais tu veux bien que jajoute aussi, ô notre Dieu
: quand il ny a que la prophétie, la parole frôle
le délire, les annonces messianiques titubent entre le
fanatisme et la puérilité. Il y a des jours où
il suffit que jentende : cest prophétique,
pour savoir que cest menteur, bluffeur, meurtrier et raté.
Heureusement, mon Dieu, que tu as aussi mis dans ta Bible la
sagesse et tous ces proverbes qui sont si peu prophétiques
et tellement terre à terre que nos pieds sy retrouvent
et que nos mains les tâtent comme des bons fruits dans le
temps présent.
Oui, ô Dieu, sans la sagesse nous resterions debout à
toujours gesticuler, comme ces agités qui croient quà
force de prédire ils vont produire et quen criant
ils se feront mieux croire. Sans la sagesse la vie est bouffie,
enflée comme une baudruche.
Nous te remercions, notre Dieu, que dans ta Bible, dans nos
vies, dans nos amours, il y ait la prophétie et la sagesse,
un temps pour senflammer et un autre temps pour séteindre,
mais pour durer, un temps pour Esaïe, pour Jérémie,
pour Ezéchiel, et un temps pour Salomon, pour lEcclésiaste,
pour le Siracide, un temps pour que je me lève et un temps
pour que je massoie, un temps pour la hâte et un temps
pour la halte.
Ô Dieu, je te remercie davoir autant de temps différents
que jen ai besoin pour vivre toute ma vie.
Texte dAndré Dumas
dans « Cent prières possibles », Ed. Cana,
1991.