« Elles s’éloignèrent promptement du sépulcre, avec crainte et avec une grande joie »
Matthieu 28:8
Crainte et joie sont mêlées dans le for intérieur de ces femmes qui viennent d’être les premiers témoins de l’événement Pâques. Le professeur Rudolf Otto s’intéressant au phénomène religieux constate que la proximité du sacré produit des sentiments analogues : la fascination et la terreur. Ces sentiments contrastés provoquent le frisson qui est un signe visible de notre fréquentation du sacré, du numen (une manière de nommer le divin à l’œuvre dans notre histoire). Ainsi Jacques dira-t-il que les démons frissonnent en présence de Dieu (Jacques 2:19) à la manière des gardes du tombeau qui tremblent.
L’expérience personnelle du sacré est l’expérience de quelque chose qui nous dépasse dans l’espace et dans le temps : « il n’est point ici » « il vous précède ». Le sacré est ce qui excède. Comme le disaient Sophocle et Goethe avant que cela devienne un slogan du journal L’Equipe, « c’est énorme ». De là vient toute la difficulté à en rendre compte, à l’exprimer de manière compréhensible par autrui. L’expérience du sacré excède notre personne, notre connaissance, notre intelligence et, paradoxalement, nous touche de manière très intime. Nous avons besoin d’en parler et nous ne savons pas comment en parler. C’est là qu’est le véritable mystère de la foi, dans ce mouvement entre le rationnel et le non-encore-rationnel qui nous a fait goûter à un niveau d’existence encore jamais éprouvé jusque là. Les premiers mots pour en rendre compte seront donc exceptionnels, ils essaieront de dire quelque chose de surnaturel, d’incroyable « un ange du Seigneur descendit du ciel ». Ensuite viendra le temps de l’interprétation et des formules qui permettront de communiquer cette expérience exceptionnelle : passer du désir d’adorer le corps, l’enveloppe « saisir ses pieds », « elles l’adorèrent », « ils l’adorèrent, mais quelques uns eurent des doutes » au partage actif de cette expérience de résurrection « allez », « dire », « enseigner ».
Pâques est l’expérience chrétienne du sacré qui nous fait sortir des situations figées, de nos sépulcres et nous fait entrer dans l’ordre de la communication, de la communion, de la fraternité. Douloureuse expérience de la liberté qui est effrayante. Exquise expérience de la liberté qui est réjouissante. Entre ces deux pôles : la vie, notre vie.