Nous avons appris en classe le principe de non-contradiction, selon lequel une proposition ne peut être juste et fausse à la fois. Bien des démonstrations reposent sur ce principe très utile en mathématique. Mais, dans la vie, ce principe est souvent bête et méchant. Quand des personnes ont des positions différentes, contrairement à ce que nous avons souvent envie de penser, il n’y a pas nécessairement une personne qui a raison et l’autre tort. Plusieurs cas se présentent et peuvent se combiner :
- Les deux peuvent avoir raison, mais dans des domaines différents. Par exemple les frites sont à la fois bonnes (pour celui qui les aime) et mauvaises (pour la santé, si on en abuse). Autre exemple, si l’on recueille des témoignages sur le président de la république, les avis seront en partie différents selon que l’on interroge sa fille, son père, son premier ministre ou le chef de l’opposition…
- Parfois des avis dépendent du goût de chacun, sans explication possible. Si telle personne adore le foot et n’aime pas le rugby, et qu’une autre personne pense l’inverse, il n’y en a pas une qui a raison et l’autre tort. Et l’on peut avoir été un ardent footeux dans sa jeunesse et devenir passionné de golf plus tard sans se renier soi-même.
Dans le domaine théologique et religieux, il y a ainsi des différences de points de vue, des différences de situations, et des différences de sensibilités. C’est bien normal car Dieu est une réalité unique en son genre, une réalité encore plus riche et complexe qu’un être humain ou même que la terre habitée.
Puisque c’est ainsi, à quoi cela sert-il de discuter entre personnes de religions différentes ou ayant des façons différentes de vivre la religion ?
En acceptant que d’autres personnes puissent avoir une autre religion que moi sans être dans l’erreur par ce seul fait, en acceptant cela, je suis amené à me souvenir qu’il y a une différence entre l’idée que je me fais de Dieu et Dieu lui-même. Mon point de vue n’englobe pas tout l’être de Dieu. C’est déjà très utile en soi, mais cela m’aide aussi à me préparer à l’idée que me réformer un petit peu ne serait pas une si mauvaise idée
En écoutant ce qu’un autre nous dit et en osant dire quelque chose à l’autre, chacun a une chance de progresser. Car mon point de vue, même subjectif, peut s’affiner ; mes goûts, même légitimes, peuvent évoluer. Il y a aussi certaines de nos erreurs et de nos illusions qui peuvent être démasquées à l’occasion de ce dialogue et ne l’auraient pas été sinon.
Cette découverte des autres religions aide à vivre avec les autres en les comprenant mieux, c’est fort utile dans nos familles et dans notre société qui sont de plus en plus mixtes.
À notre niveau, ce dialogue fait avancer la paix, alors que certains ont tendance à durcir leur position, à se replier dans un communautarisme et dans la diabolisation des autres.
Dans une société qui est à majorité athée, souvent même sans idéaux, sans philosophie de vie, un témoignage commun de personnes de religions diverses est important. Nous pouvons reconnaître que les religions ont été trop souvent le prétexte d’affrontements, même si dans les siècles derniers ce sont des idéologies athées qui ont été infiniment plus meurtrières. Il est temps que le monde voie que Dieu est source de vie et de paix. C’est quand on divinise sa religion ou son idéologie, sa culture ou ses intérêts que commencent les problèmes.
Dans chacune des religions, il existe des façons différentes de vivre sa foi, avec des courants libéraux, voire très libéraux, avec des courants traditionalistes, intégristes, voire sectaires. Le dialogue entre personnes de religions différentes fait entendre la voix de croyants sincères et ouverts alors que ce sont en général les courants fanatiques qui font ordinairement grand bruit.
Le clivage le plus important est probablement là, paradoxalement. Il est plus facile de dialoguer entre un juif libéral, un musulman libéral et un chrétien libéral qu’entre un chrétien libéral et un chrétien intégriste, ou entre deux chrétiens intégristes de différentes obédiences ! Il y a là, peut-être, le plus difficile des dialogues intereligieux.