Ce dossier pose
une question qui peut sembler étrange, car il est indiscutable
que dans l'Évangile, la foi et le service de l'autre sont
deux choses indissociables. Jésus ne dit-il pas qu'aimer
Dieu de tout son être et aimer son prochain comme soi-même
sont deux commandements semblables ? Au cours de son dernier repas,
Jésus n'a t-il pas donné à ses disciples
à la fois le geste de la Cène et celui du lavage
des pieds, le premier évoquant la parole et la vie qu'il
nous offre, le second nous invitant à être serviteur
les uns des autres ?
Le service a donc certainement un avenir qui se
confond avec l'avenir de la foi chrétienne.
- La foi stimule notre intérêt pour les autres,
elle éclaire notre intelligence sur les priorités
qui pourraient être les nôtres et les actions possibles,
libérant ainsi notre créativité.
- Et réciproquement, nous sommes amenés à
recevoir un véritable enrichissement spirituel et existentiel
dans le service de l'autre.
Mais ce service de l'autre peut prendre bien des
formes, il peut être une action individuelle au service
de parents ou de voisins, il peut être un engagement dans
une association caritative protestante ou non, dans un syndicat,
dans un parti politique. Cet engagement au service de l'autre
peut également se faire dans l'église, de multiples
façons. Cet engagement au service de l'autre peut concerner
une ou plusieurs des multiples dimensions de la personne humaine
: la santé, la place dans la vie sociale, l'épanouissement
personnel et relationnel, la foi, l'éducation
À
l'Oratoire du Louvre, particulièrement, nous considérons
comme une richesse la diversité des approches et des expressions.
Donc, oui, l'entraide chrétienne a évidemment
un avenir. Mais quand on évoque le christianisme social,
on pense plutôt à une certaine forme qu'a prise le
service de l'autre à partir du XIXe siècle, avec
un engagement très fort des églises, en tant que
telles, dans l'action sociale, mouvement que décrivent
bien plusieurs auteurs dans ce dossier. Ce mouvement est-il encore
d'actualité ? Pourquoi ? Avec quelles évolutions
?
De profonds changements sont intervenus entre le
début du XXe siècle et le début du XXIe sur
le plan social (congés payés, retraites, chômage,
CMU, RMI, CSA
) mais aussi dans le domaine des idées
et du statut de la religion dans la société. Ces
changements font que bien des questions sont à revisiter
en ce qui concerne les relations entre l'Eglise et l'action sociale.
Des personnes se demandent pourquoi ne pas laisser l'Etat gérer
entièrement l'action sociale ? Et puisque bien des uvres
" laïques " sont tout aussi généreuses,
efficaces, imaginatives et humaines que les uvres protestantes
ou d'origine protestante, quelle serait la spécificité
d'une action sociale chrétienne ?
Certaines personnes avancent que l'intérêt
des associations caritatives protestantes par rapport aux uvres
laïques est de donner un témoignage visible de l'Évangile
dans le monde par des uvres sociales. Cette idée
me semble dangereuse, car le pauvre est alors exploité
comme panneau publicitaire, ce qui ne me semble pas acceptable,
même si c'est pour l'Évangile, ou plutôt surtout
pas de cela au nom de l'Évangile !
Avant de voir deux grands services que peut apporter
une uvre protestante, je voudrais évoquer un autre
risque qu'elle nous fait courir, c'est que nous en soyons fiers
de cette belle association que cela nous démotive d'agir
nous-mêmes : le service du prochain ? Oui, " nous "
avons créé la Clairière en 1911
et
puis il y a la Fondation John Bost, l'Armée du Salut, et
la permanence de l'Entraide le mercredi
oui, sommes-nous
tentés d'ajouter, nous faisons beaucoup de choses pour
les pauvres. Or, le service de l'autre, comme le dit Jésus-Christ,
est indissociable de la foi. Et quand Jésus parle de service
mutuel, il s'agit d'une relation avec l'autre, d'un contact de
personne à personne où quelque chose d'essentiel
se tisse, appelons ce quelque chose " amour " si l'on
veut (même si ce mot est très ambigu). C'est donc
bien de soutenir financièrement des associations caritatives,
mais l'acte de service direct ne doit pas pour autant être
réservé à quelques personnes, mais c'est
à chacun d'entrer dans l'action, à sa mesure, avec
une vocation particulière lui faisant reconnaître
que telle personne lui est confiée pour l'aider ou être
aidé par elle.
Un premier grand intérêt des associations
d'entraide, protestantes ou non, est de nous accueillir comme
bénévole. Quand un chrétien, ayant ouvert
les yeux sur son entourage direct et ayant fait ce qu'il a pu,
a encore du temps et de l'amour en réserve il trouvera
dans ces associations un lieu d'engagement et de service utile,
un lieu d'enrichissement personnel dans des relations privilégiées
avec les personnes bénévoles et avec les usagers.
Si l'action sociale était entièrement gérée
par l'administration ou par des entreprises commerciales, même
fort compétentes, cela n'existerait pas.
Les uvres caritatives chrétiennes
ont un intérêt supplémentaire, un intérêt
spécifique que n'ont pas les autres uvres, c'est
de prendre en compte toutes les dimensions de la personne humaine,
y compris la dimension spirituelle. Certes, il est possible de
concentrer l'action sur seulement une ou deux de ces dimensions,
par exemple la santé du corps, ou l'insertion dans le monde
du travail, ou le logement, ou les papiers
mais les dimensions
de l'être humain sont extraordinairement liées entre
elles au point qu'il est souvent indispensable d'agir en parallèle
sur tous les plans pour avancer vraiment. La différence
entre une anthropologie athée et une anthropologie chrétienne
est de prendre ou non en compte la dimension spirituelle de l'homme.
Dans une uvre caritative chrétienne, tout le monde
est accueilli sans distinction, qu'il soit chrétien, animiste,
musulman, hindouiste, juif, athée
comme dans n'importe
quelle uvre laïque. Le propre d'une uvre caritative
chrétienne est l'existence d'une aumônerie. L'existence
même de cette aumônerie est un message offert à
chacun lui disant qu'il est digne d'avoir sa propre recherche
de Dieu ou de la refuser. Le simple fait de rendre possible ce
questionnement et ce choix est d'un grand service pour la personne,
particulièrement pour celle qui est déjà
démunie dans sa santé, ou dans son insertion sociale,
ou dans toute autre dimension.
Et aujourd'hui, plus encore qu'il y a un siècle,
il me semble qu'une des pauvretés les plus dommageables
pour les individus et pour notre société est la
pauvreté sur le plan spirituel. Il y a là une urgence
sociale.
Et donc oui, à mon avis, le christianisme
social a encore un grand, très grand avenir.
Marc Pernot
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