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Feuille Rose N °782
de mars 2010
sommaire

Le christianisme social a-t-il encore un avenir aujourd’hui ?

Ce dossier pose une question qui peut sembler étrange, car il est indiscutable que dans l'Évangile, la foi et le service de l'autre sont deux choses indissociables. Jésus ne dit-il pas qu'aimer Dieu de tout son être et aimer son prochain comme soi-même sont deux commandements semblables ? Au cours de son dernier repas, Jésus n'a t-il pas donné à ses disciples à la fois le geste de la Cène et celui du lavage des pieds, le premier évoquant la parole et la vie qu'il nous offre, le second nous invitant à être serviteur les uns des autres ?

Le service a donc certainement un avenir qui se confond avec l'avenir de la foi chrétienne.

  • La foi stimule notre intérêt pour les autres, elle éclaire notre intelligence sur les priorités qui pourraient être les nôtres et les actions possibles, libérant ainsi notre créativité.
  • Et réciproquement, nous sommes amenés à recevoir un véritable enrichissement spirituel et existentiel dans le service de l'autre.

Mais ce service de l'autre peut prendre bien des formes, il peut être une action individuelle au service de parents ou de voisins, il peut être un engagement dans une association caritative protestante ou non, dans un syndicat, dans un parti politique. Cet engagement au service de l'autre peut également se faire dans l'église, de multiples façons. Cet engagement au service de l'autre peut concerner une ou plusieurs des multiples dimensions de la personne humaine : la santé, la place dans la vie sociale, l'épanouissement personnel et relationnel, la foi, l'éducation… À l'Oratoire du Louvre, particulièrement, nous considérons comme une richesse la diversité des approches et des expressions.

Donc, oui, l'entraide chrétienne a évidemment un avenir. Mais quand on évoque le christianisme social, on pense plutôt à une certaine forme qu'a prise le service de l'autre à partir du XIXe siècle, avec un engagement très fort des églises, en tant que telles, dans l'action sociale, mouvement que décrivent bien plusieurs auteurs dans ce dossier. Ce mouvement est-il encore d'actualité ? Pourquoi ? Avec quelles évolutions ?

De profonds changements sont intervenus entre le début du XXe siècle et le début du XXIe sur le plan social (congés payés, retraites, chômage, CMU, RMI, CSA…) mais aussi dans le domaine des idées et du statut de la religion dans la société. Ces changements font que bien des questions sont à revisiter en ce qui concerne les relations entre l'Eglise et l'action sociale. Des personnes se demandent pourquoi ne pas laisser l'Etat gérer entièrement l'action sociale ? Et puisque bien des œuvres " laïques " sont tout aussi généreuses, efficaces, imaginatives et humaines que les œuvres protestantes ou d'origine protestante, quelle serait la spécificité d'une action sociale chrétienne ?

Certaines personnes avancent que l'intérêt des associations caritatives protestantes par rapport aux œuvres laïques est de donner un témoignage visible de l'Évangile dans le monde par des œuvres sociales. Cette idée me semble dangereuse, car le pauvre est alors exploité comme panneau publicitaire, ce qui ne me semble pas acceptable, même si c'est pour l'Évangile, ou plutôt surtout pas de cela au nom de l'Évangile !

Avant de voir deux grands services que peut apporter une œuvre protestante, je voudrais évoquer un autre risque qu'elle nous fait courir, c'est que nous en soyons fiers de cette belle association que cela nous démotive d'agir nous-mêmes : le service du prochain ? Oui, " nous " avons créé la Clairière en 1911… et puis il y a la Fondation John Bost, l'Armée du Salut, et la permanence de l'Entraide le mercredi… oui, sommes-nous tentés d'ajouter, nous faisons beaucoup de choses pour les pauvres. Or, le service de l'autre, comme le dit Jésus-Christ, est indissociable de la foi. Et quand Jésus parle de service mutuel, il s'agit d'une relation avec l'autre, d'un contact de personne à personne où quelque chose d'essentiel se tisse, appelons ce quelque chose " amour " si l'on veut (même si ce mot est très ambigu). C'est donc bien de soutenir financièrement des associations caritatives, mais l'acte de service direct ne doit pas pour autant être réservé à quelques personnes, mais c'est à chacun d'entrer dans l'action, à sa mesure, avec une vocation particulière lui faisant reconnaître que telle personne lui est confiée pour l'aider ou être aidé par elle.

Un premier grand intérêt des associations d'entraide, protestantes ou non, est de nous accueillir comme bénévole. Quand un chrétien, ayant ouvert les yeux sur son entourage direct et ayant fait ce qu'il a pu, a encore du temps et de l'amour en réserve il trouvera dans ces associations un lieu d'engagement et de service utile, un lieu d'enrichissement personnel dans des relations privilégiées avec les personnes bénévoles et avec les usagers. Si l'action sociale était entièrement gérée par l'administration ou par des entreprises commerciales, même fort compétentes, cela n'existerait pas.

Les œuvres caritatives chrétiennes ont un intérêt supplémentaire, un intérêt spécifique que n'ont pas les autres œuvres, c'est de prendre en compte toutes les dimensions de la personne humaine, y compris la dimension spirituelle. Certes, il est possible de concentrer l'action sur seulement une ou deux de ces dimensions, par exemple la santé du corps, ou l'insertion dans le monde du travail, ou le logement, ou les papiers…mais les dimensions de l'être humain sont extraordinairement liées entre elles au point qu'il est souvent indispensable d'agir en parallèle sur tous les plans pour avancer vraiment. La différence entre une anthropologie athée et une anthropologie chrétienne est de prendre ou non en compte la dimension spirituelle de l'homme. Dans une œuvre caritative chrétienne, tout le monde est accueilli sans distinction, qu'il soit chrétien, animiste, musulman, hindouiste, juif, athée… comme dans n'importe quelle œuvre laïque. Le propre d'une œuvre caritative chrétienne est l'existence d'une aumônerie. L'existence même de cette aumônerie est un message offert à chacun lui disant qu'il est digne d'avoir sa propre recherche de Dieu ou de la refuser. Le simple fait de rendre possible ce questionnement et ce choix est d'un grand service pour la personne, particulièrement pour celle qui est déjà démunie dans sa santé, ou dans son insertion sociale, ou dans toute autre dimension.

Et aujourd'hui, plus encore qu'il y a un siècle, il me semble qu'une des pauvretés les plus dommageables pour les individus et pour notre société est la pauvreté sur le plan spirituel. Il y a là une urgence sociale.

Et donc oui, à mon avis, le christianisme social a encore un grand, très grand avenir.

Marc Pernot

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