La théologie n'est pas
qu'un exercice de salon. Parce que Dieu ne s'est pas fait livre
mais chair, la bibliothèque ne saurait être le seul
lieu où Dieu se rencontre. Plus que cela, le quotidien
est le lieu où s'examinent nos discours sur Dieu, sur l'humanité
car une belle théologie qui ne résiste pas à
l'épreuve de notre vie n'est pas une bonne théologie.
De ce point de vue, il me semble que la misère est un lieu
d'expérimentation particulièrement efficace pour
éprouver nos discours théologiques.
1. Dieu n'est pas tout puissant
A voir la misère qui s'abat sur notre monde, nous ne
pouvons que constater l'impuissance de Dieu à rendre notre
monde semblable à une oasis où tout ne serait que
plaisir et harmonie. Tous les jours nous pouvons voir que Dieu,
seul, ne peut agir sur les situations qui brisent les vies : Dieu
ne peut pas supprimer la misère qui touche des personnes
qui ne sont pas plus mauvaises, pas plus méchantes, pas
plus paresseuses que d'autres.
Certains diront alors que la misère est une manière
pour Dieu de faire valoir sa justice qui n'est pas la justice
de l'Homme.
2. La misère n'est pas une malédiction divine
Selon une logique de la rétribution, la misère
serait une malédiction divine censée sanctionner
les méchants aux yeux de Dieu. Cette idée, nous
la trouvons dans la bouche de personnages que l'on rencontre au
détour des textes bibliques (par exemple les disciples
qui demandent à Jésus si un homme est aveugle de
naissance parce qu'il a péché ou si c'est parce
que ses parents ont péché
et qui n'envisagent
pas un seul instant qu'il puisse être innocent de sa misère
physique). Cette idée, on l'entend encore de nos jours
dans la bouche de ceux qui considèrent que le SIDA est
un fléau voulu par Dieu.
Il en faudra du temps à Job, il en faudra de la détermination
à Jésus pour essayer de faire entendre que le malheur
que nous subissons n'est pas la conséquence d'un jugement
divin sur nous. Non, les personnes tuées par la chute d'une
tour à Siloé n'étaient pas spécialement
plus coupables que d'autres (Luc 13/4).
3. La misère n'a pas de valeur rédemptrice
Si la misère, la pauvreté, ne sont pas des malédictions
pour punir l'homme, elles ont parfois été comprises
comme des leçons " de vie " envoyées par
Dieu pour l'aider à grandir à se fortifier, selon
le principe que " ce qui ne nous tue pas nous renforce "
Mieux, elle a été envisagée comme un moyen
par lequel Dieu communique avec nous. C'est le point de vue défendu
par l'un des " amis " de Job, Elihu.
Certes, subir une épreuve, être dans l'affliction,
être dépouillé, nous permet d'être parfois
plus ouvert : la souffrance nous fait quitter les attitudes trop
arrogantes et nous rend plus disponible pour les autres. De là
à y voir une pédagogie de Dieu
il n'y a qu'un
pas que certains n'hésitent pas à franchir. D'ailleurs,
Job lui-même, au commencement de sa chute libre, lorsqu'il
perd tout, réagit en disant : " Dieu a donné,
Dieu a repris, béni soit le nom de Dieu ". La misère
relèverait de la providence divine : une manière
pour Dieu de nous faire accéder à une spiritualité
plus haute.
Si Dieu se sert de la misère pour éduquer l'Homme,
alors il est sadique ! on peut considérer que cette pédagogie
est terriblement efficace
mais, dans ce cas, pourquoi les
textes bibliques continueraient-ils à présenter
Dieu comme celui qui redresse ce qui est tordu, qui fait droit
à l'opprimé, qui s'occupe du malheureux ? pourquoi
le Christ s'efforcerait-il toujours d'arranger les situations
désespérées qu'il croise, si tout cela était
effectivement une pédagogie divine ?
La vie chrétienne a souvent été comprise
comme étant nécessairement un chemin de croix, parce
qu'on a compris l'invitation à porter sa croix comme l'obligation
de souffrir tout au long de sa vie alors que la croix de Jésus
désigne le fait que le Nazaréen n'a jamais abdiqué
son projet d'amour envers les hommes, qu'il n'a pas fui ses responsabilités,
qu'il est resté fidèle à sa vocation jusqu'au
bout de son chemin personnel. On peut toujours faire de Jésus
un modèle de souffrance. Les évangiles en font un
modèle de fraternité active.
James Woody
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