Jonas : désapprendre la peur(Jonas 1:1-3:3) Culte du dimanche 28 décembre 2014 à l'Oratoire du Louvre Nous ne savons rien du présent de Jonas, en revanche nous constatons qu’il refuse l’avenir que lui indique l’Eternel. Il va fuir non seulement la vocation que le propose l’Eternel, mais il va fuir aussi le face à face avec le monde, avec Ninive, la capitale du Royaume Assyrien. En fuyant la face de l’Eternel, Jonas fuit ce qui advient. Il tourne résolument le dos à son avenir. Que faire de la peur ? La peur est utile : elle est un symptôme qui nous alerte, qui nous rend plus vigilants, qui nous évite de nous mettre inconsciemment en danger. Mais si la peur devient notre maître, si elle prend le contrôle de notre vie, elle nous tétanise et entrave notre existence. La peur doit être un compagnon qui veille avec nous sur les risques possibles, mais elle ne doit pas régler notre vie quotidienne. Alors, comment désapprendre la peur, comment neutraliser l’angoisse qui provoque la peur ? DescendreLe récit de Jonas ressemble à une véritable chute libre. Il semble tomber de Charybde en Sylla. C’est le scénario classique de ceux qui sont saisis par l’angoisse, qui sont menés par la peur et qui vont de mal en pis. C’est la chute libre comme en vivent la plupart des personnes qui soignent leur angoisse à grand renfort d’addiction – addiction à des produits ou des comportements qui ont servi un moment à calmer les angoisses puis qui ont pris toute la place. Le récit de Jonas me fait penser à l’un des récits de personnes alcooliques que l’on trouve dans le Gros Livre des Alcooliques Anonymes (p. 245), celui d’un habitant du Sud des Etats-Unis. Il raconte qu’aux alentours de Noël sa nouvelle femme est partie avec toutes ses affaires et les meubles. Le propriétaire n’a pas tardé à la chasser de l’appartement vide, après quoi il a perdu son emploi. Voilà un scénario qui a tout de la chute libre lui aussi. Pour autant, si nous reprenons le récit de Jonas, ce n’est pas de chute dont il est question. Le texte hébreu n’utilise pas le verbe nafal « tomber, chuter », mais le verbe yarad « descendre ». La différence est de taille. La chute est subie alors que la descente est voulue. La descente est un choix ; Jonas va vers le bas, et ce bas a du sens. A première vue, Jonas subit le déroulement de l’histoire, mais le rédacteur nous dit autre chose : Jonas ne subit pas, il y a du sens dans son aventure. Quel est le sens de ces descentes successives jusque dans le ventre du poisson ? L’approche que le psychanalyste Bruno Bettelheim fait des contes de fées peut nous aider à comprendre ce qui se joue dans cette scène conçue clairement à la manière d’un conte qui offre le matériel nécessaire pour comprendre comment nous pouvons nous débrouiller avec la vie. Bruno Bettelheim analyse le conte « les trois plumes » dans lequel Simplet, le fils jugé « simple d’esprit » va réussir sa mission, contre toute attente, mieux que ses deux autres frères réputés « intelligents et instruits ». Sa réussite vient du fait qu’il découvre une trappe qui donne sur un escalier dont il descend les marches, sous terre, jusqu’à rencontrer le monde animal sous la forme d’une grenouille qui lui donnera ce dont il a besoin pour gagner l’épreuve. Bettelheim suggère que rejoindre ce monde animal est nécessaire pour triompher : en rejoignant cet animal, Simplet rejoint sa nature animale, rejoint son inconscient, ce qui est particulièrement utile pour relever les défis qui se présentent. Au lieu de s’en tenir à la seule instance intellectuelle consciente, au lieu d’en rester à la surface des choses comme ses frères, Simplet va au plus profond de son psychisme pour exploiter son inconscient, son animalité qui lui permettra de prendre le dessus. La descente de Jonas me semble relever d’une telle démarche qui explore le psychisme pour trouver le matériel nécessaire pour faire face au monde, pour faire face à l’avenir. D’étape en étape, Jonas va au plus profond du monde jusqu’à rejoindre sa propre vérité et s’en nourrir. Cependant, ce n’est pas l’animalité brute que Jonas rejoint. Et c’est peut-être une différence à noter entre la perspective biblique et la perspective freudienne portée par Bettelheim : Jonas ne rejoint pas seulement son animalité figurée par le poisson. Jonas, en se mettant à prier, rejoint également le divin. La symbolique du poissonAvant d’interpréter un peu plus ce moment dans le ventre du poisson, interrogeons-nous sur le choix du poisson qui joue, dans ce passage, un rôle encore inédit. Les poissons sont des animaux dont il est question dès le premier récit de la création. Ce sont des animaux qui ont un destin particulier par la suite, lors du déluge, puisqu’ils seront épargnés par la montée des eaux. Les poissons constituent l’espèce témoin du déluge, de la gestion de la méchanceté (Genèse 6/5 ; Jonas 1/2) et donc du mal surmonté, sur le plan symbolique. Il sera à nouveau question du poisson dans les évangiles, lorsque les disciples pêcheurs seront appelés à être pêcheurs d’hommes, lors des différentes parties de pêche et dans l’épisode étonnant où une pièce est trouvée dans un poisson du lac de Galilée (Mt 17/27). Il y a une idée d’emboîtement, de poissons gigognes : la pièce est mangée par le poisson qui est mangé par l’homme, mais encore le poisson est mangé par l’homme qui est pêché par l’homme, autrement dit le poisson est mangé par le poisson qui est mangé par le poisson. Les poissons donnent donc à penser sur deux plans : celui du mal surmonté et de l’emboîtement. C’est l’avaleur avalé. L’avaleur avalé sera un thème important par la suite, puisque le poisson chrétien, ICHTUS, sera avalé par ses disciples, de façon institutionnalisée (la cène) pour faire face à la méchanceté, au mal dont le jugement de Jésus et la croix sont les symboles. En rejoignant le poisson, Jonas rejoint effectivement ce qui va lui être nécessaire pour faire face à la méchanceté et donc faire face à l’avenir (il ne sera pas donné d’autre signe que celui-ci). La prière de JonasJonas se met à prier. Cela signifie qu’il ne se considère pas seul. Cela signifie que Jonas n’est pas seul avec son animalité : il se tient face à l’Eternel dont il avait cherché à s’éloigner à tout prix. Il se tient face à un tiers qui symbolise tous les autres tiers, qui symbolise d’autres que lui, Ninivites inclus. Cela montre que le parcours de descente de Jonas a été un travail personnel utile, mais qui n’a pas été accompli dans la solitude. En indiquant la part que Dieu prend dans les épisodes de l’histoire de Jonas, le rédacteur indique la présence nécessaire du tiers dans ce travail personnel. Alors que Jonas aurait pu arrêter son travail en profondeur en cours de route, Dieu désigne cette puissance de vie qui s’efforce inlassablement de nous aider à dépasser nos limites naturelles, de nous rendre capables de franchir les barrières derrières lesquelles notre histoire bloquée, de permettre de trouver les ressources pour faire face à la vie. Le vent qui souffle, c’est la rouah, l’esprit qui porte l’homme jusqu’à son point d’accomplissement, son humanité véritable. Si Jonas peut prier Dieu, c’est parce que sa longue descente lui a permis d’être confronté à l’humanité, depuis le prochain le plus éloigné –le Ninivite qu’on ne voit pas- jusqu’au compagnon d’infortune avec lequel on partage la même galère. L’Eternel est ce qui a provoqué une communauté de destin, communauté capable de faire accéder Jonas à une autre dimension de sa vie. Les descentes successives ne sont pas une chute libre car, à chaque étape, le tissu humain se resserre, le visage de l’autre se fait plus proche, plus sensible. L’autre devient plus réel, moins fantasmé. Dès lors, l’autre cesse d’être aussi menaçant qu’on le craignait. Et, au bout de ses descentes, Jonas ne va pas se contenter d’un face à face avec lui-même, avec sa nature primale ; il va aussi s’ouvrir à l’universel figuré par l’Eternel à qui il s’adresse. Son animalité n’est pas la seule qui va lui permettre de remonter à la surface et de faire face à la suite des événements. En se tenant face à Dieu, Jonas reconnait qu’il tire son existence d’un autre que lui-même. Il reconnait ce besoin de l’autre ; il reconnait la part que l’autre prend dans notre construction personnelle. Jonas reconnait le réseau d’interactions qui le relie aux autres L’habitant du Sud des Etats-Unis rejoint en cela la trajectoire de Jonas. Car, étant allé au bout de soi, au bout de ses résistances et de ses possibilités, il était retourné dormir chez sa mère qui avait averti un ami, Jackie, qui lui a rendu visite un soir. Il raconte qu’il ne se souvient plus ce qui s’est dit, mais peu importe, car ce qui a compté, c’est qu’il y avait devant lui un homme, tout comme lui, avec le même type de trajectoire chaotique, avec les mêmes déconvenues. Jonas sait qu’il ne s’en sortira pas seul, au même titre que l’alcoolique entamera sa remontée lorsqu’il reconnaitra qu’il ne peut pas s’en sortir seul. La pratique des Alcooliques Anonymes, d’ailleurs, intègre cette altérité dans la référence à une puissance extérieure à soi, qui intervient dans l’amélioration de la situation. Cette altérité est incarnée par le groupe, par le parrain, qui ne laisse pas la personne seule ni avec son angoisse, ni avec son animalité. Jonas est un conte biblique qui parle à notre peur de l’avenir pour nous révéler que nous sommes en mesure de surmonter cette peur. La grâce qui nous est faite est de pouvoir transfigurer notre réalité en nous faisant aimer la vie quotidienne, en portant un autre regard sur notre environnement. La grâce qui nous est faite est de redonner de la valeur à cette part de notre personnalité si souvent enfouie profondément et à laquelle nous avons si peu accès alors qu’elle nous permet de transformer nos actions en œuvres. C’est en allant au bout de son angoisse, en traversant son désordre intérieur de part en part sous les impulsions du divin, que Jonas se réconcilie avec son intimité, avec sa personnalité, et qu’il peut à nouveau faire face au monde, affronter la vie en étant désormais guidé par la parole de l’Eternel qui est une parole qui ouvre un avenir débarrassé de la méchanceté, un avenir purifié du mal. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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