Être content de soi, et en faire quelque chose( Luc 9:23-27 ; Psaume 139:12-14 )(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 3 août 2014 Si quelqu’un veut marcher à ma suite, Malheureusement, ce verset a été utilisé bien trop souvent pour nous appeler à renoncer à nous-mêmes, nous vider de notre personnalité, de notre volonté, de nos goûts, et même de l’estime de nous-mêmes pour nous laisser entièrement emplir par le Christ. Cette interprétation s’inspire peut-être de spiritualités orientales appelant à la négation de soi pour se fondre dans une unité transcendante. Mais cette interprétation est aux antipodes de tout ce que fait et dit Jésus tout au long de sa vie. Sans cesse, il valorise la personne qu’il rencontre et nous appelle à faire de même. Au gré de ses rencontres, il valorise, il relève, il pardonne, il encourage, il envoie en mission, il libère pour que chacun puisse suive son propre chemin. D’ailleurs, quand Jésus quitte son métier d’artisan pour se lancer dans son ministère public, il explique sa démarche dans la synagogue de sa famille, il annonce qu’il est envoyé par Dieu pour : Annoncer une bonne nouvelle aux pauvres; Et effectivement, à chaque page de l’Évangile nous le voyons libérer la pensée personnelle de chacun, appelant explicitement chacun à utiliser chaque jour sa propre intelligence (Marc 12:30), il passe son temps à stimuler notre réflexion avec ses paraboles, avec ses incessantes questions et avec ses paroles impossibles à accepter au pied de la lettre comme celle que nous écoutons encore aujourd’hui. Et chacun des gestes de guérison que Jésus opère signifie une émancipation pour celui qui en bénéficie. Il guérit des aveugles pour nous dire que son projet est effectivement que nous puissions voir par nous-mêmes le monde et avoir notre propre point de vue. C’est tout le contraire de l’invitation aliénante à devenir une marionnette dans les mains de Dieu. Le Christ vient au contraire pour le droit de chacun à voir de ses propres yeux, la capacité à entendre, un cœur pour faire des choix personnels. D’ailleurs le passage que nous lisons ce matin s’ouvre sur cet appel à notre propre choix « Si quelqu’un veut marcher à ma suite ». Même ce choix est libéré par Jésus quand il s’adresse ainsi à la foule de ses auditeurs plus ou moins convaincus. Jésus guérit aussi nos articulations pour que nous puissions nous lever d’un bond, comme ces infirmes guéris par Jésus. Se lever c’est littéralement ressusciter, et c’est pour nous ressusciter qu’il nous appelle, non pour adopter la crucifixion quotidienne comme mode de vie. Jésus guérit nos mains non seulement pour que nous puissions donner notre substance mais aussi pour prendre ce qui nous est offert, il nous appelle à nous dépenser pour servir ceux qui en ont besoin mais aussi à accepter d’être servi par lui, Jésus, et par ceux qui nous aiment. Ces guérisons qui émaillent l’Évangile nous disent que ce n’est pas simplement une sagesse qu’apporte Jésus, ce n’est pas simplement de belles promesses, c’est encore moins un appel à vivre moins, mais que Christ est une force venue de plus grand que l’humain, qu’il est un ensemencement qui ne se reçoit que dans la prière, car il est d’une autre dimension. Il est donc hors de question de lire cette parole solennelle de Jésus comme s’il nous invitait à renoncer à nous-mêmes, ou à nous renier nous-mêmes, à nous nier nous-mêmes, nous vider de notre personnalité, de notre sensibilité. Ce geste serait un mauvais geste, contraire à tout l’Évangile. Comment ? Le Christ nous appellerait à porter un regard de respect et de bienveillance sur les autres, et nous serions donc la seule personne que nous devrions considérer comme indigne de notre considération ? Le Christ cherche à relever, libérer, créer et guérir chacun, comment est-ce que suivre le Christ ne comprendrait pas de suivre ce regard bienfaisant du Christ sur notre personne, nous invitant à nous regarder nous-mêmes positivement, et à être capable de reconnaître notre valeur, ce qu’il y a de bon dans notre cœur, dans nos talents, et de pouvoir l’exprimer ? Et si Jésus ne peut pas s’empêcher de soulager la souffrance de ceux qu’il croise, non seulement les souffrances morales des coupables, des abattus, des indécis, des orgueilleux, mais aussi les souffrances physiques de toutes sortes, celle des malades, celle des coupables, celle des rejetés, celle des fous et celle des pauvres… si Jésus est ainsi celui qui travaille comme il peut pour lutter contre la souffrance, il est hors que question de voir une apologie de la souffrance dans cet appel « à prendre chaque jour sa croix ». Jésus ne dit pas : heureux ceux qui souffrent ils gagnent plein de bons points auprès d’un dieu qui adore nous voir souffrir ! Mais au contraire, Jésus annonce : « Heureux les affligés car ils seront consolés »(Mt 5 :4) et « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. »( Mt 11:28) Alors oui, la souffrance existe, elle traverse nos vies, avec une grande injustice. Avec Christ toute souffrance doit être combattue quand c’est possible, sinon portée, ensemble quand c’est possible, sinon, avec lui. Et il nous dit que celui qui souffre ne vaut pas moins pour autant, qu’il n’est pas abandonné de Dieu même s’il est abandonné de tous. Quand Jésus travaille pour cette œuvre de libération, il est dans le droit fil de ce qui est annoncé par les plus grands passages de la Bible Hébraïque. À commencer par la création de la femme et de l’homme selon la Genèse. Le projet de Dieu est de faire une personne capable de créer librement, à son image à lui, Dieu. Voyant le boulot Dieu s’écrit « Ah voici, cela c’est très bon »(Gen 1 :31). C’est cette parole qu’il nous faut entendre, elle nous dit que Dieu est content de nous voir, qu’il nous trouve « très bon » et qu’il nous bénit, et qu’il veut pour nous une vie comme dans un « jardin des délices », qu’il nous donne ce monde, cette vie pour que nous les gardions, certes, mais aussi que nous puissions les cultiver, poursuivre selon notre génie propre son œuvre de création. Alors bien entendu, le récit de la Genèse se poursuit en expliquant que ce n’est pas parce que nous sommes un être absolument merveilleux (comme le dit le Psaume 139), que nous pourrions nous prendre pour Dieu, ou pire, prendre notre propre désir comme objet de notre adoration et comme critère du bien et du mal. Mais c’est autre chose. L’histoire d’Abraham nous donne un second exemple, immense, de la conception biblique non seulement de notre valeur personnelle mais aussi du regard positif que Dieu nous invite à avoir sur nous-mêmes. Alors qu’Abram n’a encore rien fait de particulier Dieu le bénit et lui promet qu’il sera bénédiction pour une multitude. Et il lui donne cette mission bien connue « Lech-Lecha : Va, pour toi, hors de ton pays et de la maison de ton Père vers le pays que je t’indiquerai… »(Gen 12 :1) Il y a bien marqué « va pour toi », ou « va vers toi » ce qui est invraisemblablement gommé dans bien des traductions de la Bible. « Va pour toi », va pour ton bonheur, pour faire quelque chose de ta vie. Va pour toi et non dans la négation de toi, non dans le sacrifice, non dans la souffrance volontaire, non pour la mort mais pour la vie, va par la bénédiction et pour être bénédiction, car c’est même de cela que tu es capable. Lech-Lecha « Va pour toi-même » signifie aussi « va vers toi-même » car avant Abram n’était pas vraiment lui-même mais seulement le produit de son environnement. Nous avons là une piste de ce que peut vouloir dire Jésus avec cette idée de se renier soi-même, Abram quitte effectivement ce que les autres, ce que la vie, ce que le hasard avaient fait de lui. Dieu lui faisant prendre conscience de sa valeur et de sa dignité, Dieu lui permet d’entrer dans un cheminement pour qu’il se réalise lui-même. Un peu plus loin dans la saga d’Abraham, le projet de Dieu est exprimé ainsi « Marche devant ma face et sois parfait ! J'établirai mon alliance entre moi et toi, et je te multiplierai, je t’augmenterai énormément beaucoup » (17:1-2) Ce détournement de nous-mêmes n’est donc pas un appel à renoncer à ce que nous sommes mais à entrer dans cette actualisation de nos extraordinaires capacités, d’en faire quelque chose d’immense par la bénédiction de Dieu. Le nom d’Abram ne veut pas dire « misérable ver de terre » mais au contraire « Père élevé », ce qui est loin d’apparaître dans le début de l’histoire, il est pourtant, même s’il ne le sait pas encore, une personne ayant une vraie grandeur et ayant une capacité de donner la vie. Et effectivement, il deviendra plus tard Abraham « Père d’une multitude ». Par la foi, ses yeux peuvent voir, ses oreilles entendre, son cœur et sa tête peuvent saisir cette réalité méconnue. Abram prend conscience de sa valeur et de sa capacité, il se met en route. Pendant des chapitres, il ne sera pas content de sa vie qui n’est pas à la hauteur de ce qu’il pressent ainsi, il s’en plaint à Dieu amèrement (ce qui est permis) il y travaille maladroitement, puis il entre enfin dans une juste collaboration avec Dieu, non contre Dieu comme Adam, non contre son frère comme Caïn, non sans Dieu comme d’autres, mais avec Dieu. Cette histoire nous montre aussi un Abraham qui entend une 2nde fois ce Lech-Lecha « va pour toi, va vers toi » l’appelant à « élever son fils » et il comprend va « sacrifier ton fils », à l’image de ces bons apôtres qui lisent ces paroles de Jésus comme un appel à se sacrifier afin d’être élevé par Dieu, comme s’il fallait dire non à nous-même pour pouvoir dire oui à Jésus. Mais là encore, dans cette Bible extraordinairement riche de sens, l’histoire d’Abraham nous apprend que c’est une folie. Car nous ne sommes pas un monstre mais plutôt un enfant. L’appel de Dieu disait à nouveau à Abraham sa valeur, le souffle de Dieu était encore une bénédiction, encore un appel pour qu’Abraham devienne toujours plus lui-même, jour après jour, pas à pas, palier par palier, en qu’il soit source de vie. Puisqu’il est Abram « Père élevé » c’est en étant un Père et en élèvant son fils qu’Abraham est lui-même. Adam nous disait la difficulté qu’il y a à prendre conscience de sa propre dignité sans s’idolâtrer soi-même. Abraham nous apprend à ne pas nous lasser si nous errons un peu dans ce cheminement vers nous-même. Job, lui, a conscience de sa valeur, mais des catastrophes surviennent et il crie à l’injustice, il se révolte contre Dieu et contre la vie elle-même. C’est vrai que la vie est parfois extrêmement cruelle, mais pas Dieu et cette histoire de Job nous aide aussi en nous parlant de cela pour le traverser. Moïse, lui, a conscience de sa valeur et son envie d’être utile, mais il va tâtonner avant de trouver son propre talent, non par la violence mais par une force inconnue dont il doute d’abord. Grâce à Dieu, par la foi, il s’interroge d’un « qui suis-je ? », il découvre que c’est par la théologie et la mystique qu’il libérera son peuple, par la relation intime avec Dieu qui sera source de prodiges. David a conscience de sa valeur, invisible à ceux qui ne regardent pas au cœur, ils veulent le charger de l’armure de Saül, mais c’est avec ses propres armes, avec son talent, avec sa foi, avec la force de la louange à Dieu qu’il va pouvoir accomplir ce qu’il est, et être source de bénédiction pour une multitude, malgré ses faiblesses, travaillant dessus avec l’aide de Dieu. Jésus lui-même, a une vraie conscience de ce qu’il vaut et quand il se lance publiquement avec cette prédication à Nazareth il sort tout juste d’une période de réflexion intense sur lui-même, où il est tenté d’utiliser ses extraordinaires capacités pour dominer les autres, ou au service d’une petite vie pépère, ou de profiter de l’extraordinaire bienveillance de Dieu à son égard… mais comme Abraham, Jésus connaît un cheminement qui va lui permettre d’accoucher de lui-même. Et c’est alors, nous dit le récit, que les « saints anges » le servent (Marc 1 :13) autrement dit la Parole de Dieu, sa présence, son Esprit ou sa gloire… qu’importe la façon d’en parler pour dire cette puissance divine qui nous permet d’avancer vers nous-même, et pour cela là, nous ne pouvons être que seul. Jésus nous donne la vision d’une audace libérée de la crainte. Nous sommes un être extraordinaire, aimable, aimé, béni mais aussi fait pour être bénédiction à notre façon. Si nous le voulons, nous dit-il, nous pouvons nous mettre en route et faire quelque chose de tout ça, de nous et de notre vie. Parce que c’est ça qui nous ressemble, parce que la vie est là, parce que des personnes extraordinaires sont là, parce que ce monde en vaut la peine, et que Christ nous en donne l’envie. En lui, nous sommes libérés de la nécessité de nous idolâtrer nous-mêmes, Dieu déjà chante nos louanges, qu’y ajouter de plus ? Nous sommes du même coup libérés de l’envie d’être en compétition avec les autres, ou de faire nos preuves. Nous sommes libérés de la peur des catastrophes et des trahisons, ces croix ne nous coupent pas de la vraie vie qui vient de plus grand que ça, de Dieu. Nous sommes libérés de devoir sacrifier à Dieu pour lui plaire, ni un mouton, ni notre vie, ni nos idées, ni notre liberté… au contraire son projet et sa joie est de nous voir riche de tout cela. Nous sommes libérés de vouloir être un autre que nous ne sommes pas : une idole, un frère, un père, une image idéale… libéré de cette folie de vouloir imiter le Christ alors qu’il est unique dans sa vocation. Mais simplement, grâce à lui, avancer vers nous-mêmes avec Dieu et être bénédiction, à notre façon. Il n’est jamais trop tôt, et il n’est jamais trop tard pour « avancer vers soi-même » à la suite du Christ. Un peu plus, jour après jour. Amen. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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