Être parent de Jésus, c’est être poète de Dieu(Marc 3:20-22, 31-35) (écouter l'enregistrement - culte entier - pas de vidéo cette fois-ci) Culte du dimanche 13 juillet 2014 à l'Oratoire du Louvre « Chers frères et sœurs » est une expression des plus ordinaires dans la vie de l’Eglise. Nous employons volontiers le terme de frère ou de sœur pour nommer celui qui se tient avec nous dans la communauté chrétienne, qu’il soit un chrétien de longue date ou qu’il soit fraîchement baptisé. Le frère, la sœur, sont des expressions usuelles que nous utilisons de façon machinale sans forcément réaliser à quel point cette expression est subversive, à quel point elle met en question les structures fondamentales de l’anthropologie, c’est-à-dire à quel point elle interroge l’identité humaine en remettant en cause la filiation naturelle. C’est ce que ce texte nous propose de faire : réformer notre compréhension de la filiation et donc de la fraternité. Sortir du ghettoTout commence par un choc que les copistes puis les traducteurs se sont efforcés d’atténuer. En effet, la parenté de Jésus, que certains copistes ont essayé de remplacer par « les scribes et les autres » (codex de Bèze), vient pour saisir Jésus car ils disent, selon les traducteurs, « il est hors de sens » (Darby, Segond), « Il a perdu la tête » (TOB) ou encore « il a perdu le sens » (Bible de Jérusalem). L’évangile selon Marc, le plus ancien des évangiles retenus dans la Bible, nous offre une version plus crue, plus choquante lorsque nous l’entendons dans sa forme originelle puisque les parents de Jésus disent la raison pour laquelle ils veulent le saisir de la manière suivante : « il existe ». Jésus existe et cela ne peut pas durer. Si nous nous souvenons qu’au verset précédent Jésus vient d’entrer dans une maison, que ses parents disent qu’il existe est d’autant plus frappant qu’exister signifie se tenir hors de. On reproche à Jésus de se tenir dehors, lui qui vient d’entrer dans une maison. La scène du conflit entre Jésus et sa famille biologique est bien campée : il lui est reproché de ne pas tenir la place que sa famille lui avait attribuée. Jésus sort de la destinée qui lui avait été assignée, il va jusqu’à entrer dans une nouvelle maison ce qui, dans la pensée antique, désigne aussi bien le bâtiment que la famille (nous dirions en français la maisonnée). La famille biologique n’accepte pas que Jésus soit entré dans une autre famille et elle décide donc de le saisir pour le remettre dans le ghetto familial qu’il n’aurait pas dû quitter, selon eux. Ces premiers termes du conflit nous aident à mieux comprendre l’origine de nos propres conflits familiaux. Et les traducteurs qui ont interprété l’expression « il existe » nous apportent leur contribution personnelle. Lorsque nous disons de nos enfants, de nos frères et sœurs, de nos cousins, qu’ils ont perdu la tête ou qu’ils ont perdu le sens des responsabilités, qu’ils ne sont plus eux-mêmes, qu’ils sont hors d’eux-mêmes, n’est-ce pas d’abord le constat personnel qu’ils ne sont pas là où nous les attendions ? N’est-ce pas d’abord une manière de dire qu’ils ne correspondent pas à l’image que nous nous en faisons ou, pour être encore plus précis : ils ne font pas ce que nous attendons d’eux. La liberté de l’autre est toujours un problème, surtout lorsque nous ne sommes pas vraiment libres nous-mêmes. Lorsque nous nous sentons prisonniers des liens biologiques, lorsque nous ne vivons que pour entretenir l’image modèle de la famille idéale qui, soit dit en passant, ne se trouve pas dans la Bible mais dans l’imaginaire que chaque époque construit de manière consciente ou non, dès qu’un individu prend quelque liberté cela devient insupportable. Et notre première réaction est de ramener à la bergerie la brebis qui s’en va, contrairement au père de la parabole de Luc (15) qui laisse aller son fils cadet, alors que l’aîné, lui, est prisonnier des liens du sang. Ce passage biblique révèle que notre compréhension du réel est parfois contaminée, une fois de plus, par le narcissisme : le fait de tout évaluer, de tout analyser à partir de soi. Les parents de Jésus pensent qu’il est en dehors alors qu’il vient d’entrer dans une maison : cela montre bien qu’il est hors de leur pouvoir, hors de leur sphère d’influence et que c’est cela qui les tracasse. Oui, Jésus existe, Jésus est hors de Jésus, au sens où il est hors du Jésus que sa famille s’est mise en tête. Jésus est un homme libre, qui est sorti du ghetto de la famille biologique. Il n’est pas perdu pour autant : il est entré dans une autre maison. Faire la volonté de DieuDans cette maison, l’identité familiale est pensée dans d’autres termes que le biologique. La subversion est ici : alors que la famille biologique de Jésus considérait avoir un droit sur lui, le fait de vouloir le saisir signifiant bien l’idée qu’ils avaient la main sur lui, Jésus neutralise toute idée que les liens du sang octroient le moindre droit. Il va plus loin en posant qu’il y a des liens qui sont plus vrais que les liens du sang, puisqu’il affirme que la foule qui se tient autour de lui est sa famille véritable. Arrêtons-nous un instant sur cette scène et actualisons-là. Je me tiens au milieu de vous et je puis affirmer que vous êtes ma famille réelle. Vous-mêmes, vous êtes en mesure de vous tenir au milieu de cette assemblée et d’affirmer que c’est là votre famille réelle, pour une part au moins. Ceci pour dire que la foi chrétienne n’accorde pas de valeur supérieure à la consanguinité. La foi chrétienne n’accorde, d’ailleurs, pas plus de valeur à la religion, à la région, à la nation ou à la moindre délimitation tracée de main d’homme. Paul le rappellera : l’identité de l’être humain qui se place devant Dieu transcende aussi bien le sexe que la nation, la culture, la religion. Se tenir devant Dieu, c’est sortir du narcissisme, étant entendu qu’un groupe, une société, peut être collectivement narcissique. Le nationalisme est un narcissisme. L’intégrisme est un narcissisme. L’égoïsme est un narcissisme. Revenons à la scène de l’évangéliste. On dit à Jésus que sa famille se tient dehors, ce qui montre bien que le dehors, le dedans, est très relatif. La famille de Jésus l’appelle dehors pour qu’il rentre à la maison, lui qui vient justement d’y entrer. Vous voyez le formidable quiproquo auquel nous sommes conviés. De tels quiproquos ont lieu à chaque fois que les interlocuteurs adoptent des référentiels différents. Ce qui est dehors pour l’un peut être dedans pour l’autre. Ce qui peut être une cause d’angoisse pour l’un peut être un bol d’air pour l’autre. Ce qui peut être la fin de l’histoire pour l’un peut être le début d’une histoire pour l’autre. Il en va de même pour la question de l’identité. Jésus va opérer un changement de référentiel. Ici, l’identité cesse d’être déterminée par le passé, par la naissance, par la certitude du sang ou le milieu social d’origine. L’identité, dans la perspective de Jésus, est construite à partir de notre présent et de ce que nous en faisons. Que notre identité soit détachée du passé a pour conséquence que notre identité n’est plus figée. Du coup, il est possible de naître dans un milieu non-croyant et de devenir chrétien (ou l’inverse). Il est possible de parler une autre langue que la langue maternelle. Il est possible d’un avoir un autre métier que celui de ses parents. Il est possible d’avoir un modèle familial différent de ses parents. Il est aussi possible d’être soi sans rester campé sur les mêmes positions, sur les mêmes convictions, tout au long de sa vie. Notre identité se joue dans notre manière d’habiter la maison où nous nous tenons, ici et maintenant. Les véritables frères et sœurs de Jésus, sa mère, sont donc ceux qui font la volonté de Dieu. Cela mérite d’être entendu avec le texte grec car « faire » traduit le verbe « poien » que l’on retrouve dans poésie, poète. Ceux qui veulent être de la famille de Jésus, sont donc appelés à poétiser la volonté de Dieu. Les disciples de Jésus sont les poètes de Dieu, celles et ceux qui mettent en mots, en rimes, en rythme, non pas les paroles de Dieu, mais sa volonté, ce qui suppose, là encore, un degré de liberté puisque la volonté de Dieu ne peut s’exprimer qu’au travers des interprétations que nous pouvons en donner les uns et les autres. Etre de la famille de Jésus ne consiste donc pas à être les gardiens d’une liste de paroles que nous répéterions inlassablement, mais à être les interprètes d’une volonté, d’un désir. Le poète est celui qui resitue la vie dans toute l’étendue de ses possibilités. Etre disciple de Jésus, ce n’est pas autre chose, selon l’évangéliste Marc. La volonté de Dieu qui s’exprime dès les tous premiers versets de la Genèse par le désir de rendre le monde vivable est ce que nous pouvons incarner à notre tour. Etre de la parenté de Jésus, c’est poétiser le monde, poétiser le quotidien, poétiser les relations personnelles, poétiser les projets, poétiser les lieux de vie, poétiser les conflits, poétiser les souffrances et les échecs, poétiser notre identité. Poétiser, c’est le contraire de saisir, le contraire de laisser en l’état. Poétiser, c’est souffler sur les braises du foyer, c’est souffler sur les potentialités de la maison, c’est attiser le feu qui couve en nous, ce désir ardent de mettre en rime paix et justice, amour et liberté, éducation et responsabilité, respect et enjoiement. Poétiser, c’est faire droit aux possibilités qui sont à notre disposition, c’est mettre en œuvre les interactions possibles pour embellir notre maisonnée. C’est opter pour un référentiel qui n’est pas aligné sur mes étroitesses d’esprit. C’est adhérer à cette idée qu’appartenir à la famille chrétienne, c’est se tenir à part des déterminismes. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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