Sauver les vielles outres, aimer le vin vieux(Luc 5 :27-39)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 4 janvier 2015 Cette parabole de Jésus composée de deux très courtes images va nous permettre de réfléchir ce matin au passage à une nouvelle année. Parfois, avec une nouvelle année, nous aimerions faire table rase du passé, comme ce Lévi dont par le ce récit, qui « laisse tout, se lève et suit Jésus » (5 :28). Mais manifestement cette démarche résumée en trois mots n’est pas à comprendre matériellement. Car s’il quittait tout, comment pourrait-il donner un grand festin juste après ? et pour ce qui est de « suivre Jésus », c’est plutôt Jésus qui va le suivre chez lui, dans sa maison et dans son groupe de collègues. Ce texte ne nous invite donc pas tant que cela à faire table rase du passé, mais à le vivre différemment. La suite du texte aussi, mérite que l’on se penche de près sur ce qui est dit dans le rapport de notre vie passée et de notre vie future. En particulier cette très courte parabole de Jésus sur les vins et les outres en peau de chèvre. Elle a été souvent comprise comme si Jésus nous invitait à nous détourner des réalités anciennes pour « faire toutes choses nouvelles » comme le dit l’Apocalypse (21:5). Mais en réalité, ce n’est pas ce qui est écrit ici. Jésus ne nous dit pas de jeter nos vielles outres et de nous détourner de notre vin tourné pour recevoir de lui des outres neuves et du vin nouveau... Au contraire, ici Jésus nous invite à faire attention à nos vieilles outres, à les respecter, à ne pas les brutaliser et à ne pas nous précipiter vers le vin nouveau. Je trouve savoureux que pour nous expliquer cela, Jésus fasse appel à notre expérience d’amateurs de bons vins, sachant bien qu’un Romanée-Conti 89 a des chances d’être meilleur qu’un Beaujolais nouveau. Bien sûr, ce n’est qu’une image dans la bouche de Jésus, et rien ne nous oblige à aimer le vin, mais avec cette façon de parler de Jésus nous sommes loin de l’austérité de Jean-Baptiste ou de ces maîtres de sagesse qui imposent l’austérité comme chemin d’élévation. Jésus, lui, nous propose la joie et la fête d’une noce comme chemin d’élévation, non pas vers Dieu mais avec Dieu. Qu’est-ce que Jésus veut nous dire avec cette parabole où il nous invite à soigner nos vieilles outres et aimer le vin vieux ? Qu’est-ce que ça nous dit pour nous aider à solder l’année ancienne et ouvrir une nouvelle année ? Pour le comprendre il est utile de comprendre ce que les mots veulent dire. Nos éditions de la Bible nous aident, Luc ayant traduit l’hébreu ou l’araméen de Jésus en grec, puis ce grec a été traduit en français pour être imprimé dans ce livre. Mais il nous reste à traduire les images utilisées ici par Jésus. Ce qu’évoque le vin dans ce contexte n’est pas très difficile à comprendre pour quelqu’un qui a lu la Bible ne serait-ce qu’une fois, car cette image revient à de nombreuses reprises. La vigne est une image de notre vie humaine en ce monde. Elle produit du fruit quand il y a une bonne collaboration entre notre travail, qui consiste à soigner la vigne, et la bénédiction de Dieu qui fait pousser avec ce qu’il faut de bonne terre et d’humidité. Les vendanges sont une image du jugement, les grappes son recueillies avec soin, elles sont pressées pour recueillir la moindre goutte de bon jus et éliminer ce qui n’est pas utile comme les bouts de bois, les pépins, la peau du raisin. Mais le vin est quelque chose de bien différent du simple jus de raisin, il y a cette fermentation qui représente ce quelque chose d’extraordinaire qu’apporte Dieu par son Esprit pour transformer le meilleur de nous-mêmes en quelque chose non seulement de nourrissant et de rafraîchissant mais en quelque chose de réjouissant, de vivifiant. L’image même du vin, si importante dans l’Évangile, nous invite donc à ce travail pour soigner notre vigne, pour la tailler, la soutenir, la bichonner, la protéger des animaux sauvages, en comptant sur la bénédiction de Dieu. C’est un soin quotidien tout au long de l’année que nous invite cette image, sachant nous adapter en fonction de la saison, attentifs aux circonstances. L’image du vin nous invite aussi à ce travail de vendange et de pressage des grappes. C’est un travail de mémoire et de jugement, un temps où l’on va chercher dans sa vigne les fruits qui y ont poussés, pour ensuite les presser, garder le bon jus et éliminer le reste. On peut le faire ce travail utilement chaque jour au soir de sa journée. Mais une année qui se termine et une nouvelle année qui s’ouvre nous invite à un temps de bilan. Un temps de mémoire et de jugement, un temps pour recueillir tout ce qu’il y a de bon fruits dans l’année passée, le presser pour garder le meilleur, puis l’exposer à cette fermentation que seule Dieu peut apporter pour en faire du vin. Du bon vin. Il y a un passage des évangiles qui montre tout particulièrement ce travail de mémoire qui ouvre à la vie, c’est quand après la mort de Jésus Marie-Madeleine se met en route à l’aube d’un nouveau sabbat, nous dit l’Évangile selon Jean (20:1). Elle va au tombeau de Jésus, littéralement « au mémorial », pour garder sur ce qui a été vécu avec lui. Christ se rend présent dans ce travail de mémoire et c’est alors que Marie Madeleine va être ressuscitée, qu’elle va se lever et porter cette vie nouvelle vers les autres. Le travail de vendange, de pressage et de fermentation du vin nous invite à ce travail de mémoire, de jugement, et de résurrection avec Dieu. Jésus nous dit de soigner les vielles outres et d’apprécier le vin vieux. Cela nous invite à garder, goûter apprécier tout ce qu’il y a de vivant et de bon dans cette année passée. Elle a été en partie douloureuse, difficile, certains d’entre nous ont été terriblement endeuillés, nous avons peut-être été abandonnés, trahis, nous avons forcément commis plein d’erreurs, de maladresses, peut-être même un crime… Christ est là pour nous de toute façon, comme un médecin est là pour ceux qui sont malades. Et puis notre année n’a pas été seulement mauvaise, elle a été bonne, aussi. Certainement, et de multiples façons. Il y a donc à vendanger dans la vigne de l’an passée, il y a de bonnes grappes à presser, avec du jus à transformer en vin. Dieu a fait ce travail tout au long de l’année pour nous. Il n’a pas laissé pourrir, lui, pas une seule de nos étincelles de foi, d’espérance et d’amour, ni le moindre instant de bonheur et de grâce que nous avons vécus ou que nous avons pu procurer à un autre. En tout cas, lui, Dieu, a gardé précieusement cet être que nous sommes et qui lui importe tant. Quel que soit notre âge, que nous soyons bébé ou centenaire, nous sommes en ce monde comme une vieille outre de peau remplie d’un bon vieux vin. Le temps du vin nouveau, ce sera un autre temps qui n’est même plus le temps du Messie mais dans un au-delà de l’histoire, nous dit Jésus lors de son dernier repas avec ses disciples. Et ce vin nouveau-là il n’en n’est pas la question pour aujourd’hui, de toute façon nous ne pourrions ni le comprendre ni le supporter, et vouloir supprimer le vieux vin de notre vie en ce monde pour le remplacer par le vin nouveau de la vie future est la folie des intégristes, et cela ne peut faire qu’éclater l’outre de peau que nous sommes, et même le vin nouveau que nous aurions attrapé serait répandu inutilement. Aujourd’hui, nous dit Jésus, la question est celle de cette outre de peau de chèvre qu’est notre vie ensemble en ce monde, qu’il convient de chérir, et ce vin vieux que nous avons produit en collaborant ensemble et avec Dieu, et de goûter ce vin pour nous réjouir et pour réjouir ceux qui nous entourent comme le fait Lévi. Rien ne l’oblige à organiser ce festin, le Christ ne lui a pas dit de le faire, ce n’est pas non plus l’heureux caractère de ses collègues, ils sont pénibles. Mais Lévi organise spontanément ce festin, à cause de cette joie que lui donne le bon vin produit par Dieu avec ce qu’il était hier. Il se sent comme à une noce, une fête de mariage. L’idée même de jugement de Dieu a longtemps fait trembler. C’était à cause d’une certaine idée de la justice qui était déjà celle des intégristes de l’époque. Mais la justice de Dieu, leur explique Jésus, c’est celle du médecin qui s’approche de l’homme pour le soigner et non pour le punir d’être malade, évidemment. Ce jugement est un service où Dieu nous aide à visiter notre histoire comme un vigneron qui ne manque pas une grappe, même cachée sous une feuille, et qui en fera du bon vieux vin. « Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier » nous dit la Loi de Moïse (Exode 20:8). Nous pouvons aussi nous souvenir de notre année passée et la sanctifier. Bonne et saine idée que ce temps de récoltes et de sanctification de notre temps. De sorte que le temps n’est plus comme un ennemi, mais comme une vigne pleine de belles grappes qui ont été transformées par Dieu en vin dans nos outres. Et l’année qui s’ouvre est comme une vigne pleine de promesses, que nous allons soigner avec l’aide de Dieu. 2015 sera un cru d’exception. Mais le texte nous annonçait 1 parabole, et cette parabole comprend 2 histoires, celle qui nous encourage à apprécier toute la valeur de notre vin vieux et nos bonnes vielles outres. Mais la première histoire nous invite au contraire à ne pas sacraliser notre vieux manteau déchiré, mais à revêtir du neuf. Là aussi, l’image du vêtement est un grand classique de la Bible. Cette image était bien plus facile à saisir en hébreu puisque le même mot dgb (bégued qui se traduit en grec imation himation) signifie le vêtement, l’apparence, mais aussi la tromperie (racine : bagad). Et c’est vrai que nous avons une tendance à nous bricoler des identités foireuses comme Adam et Ève après s’être pris pour des petits dieux. C’est touchant en réalité, un peu puéril. Dieu comprend, et il se penche vers nous pour nous aider. Jésus parle d’un vêtement tout neuf que nous aurions la bêtise de déchirer, ce vêtement est carrément haute couture puisque c’est Dieu qui nous le fait sur mesure et nous l’offre. C’est le vêtement d’enfant de la noce. Oui, nous sommes enfant de ces noces royales, celle de Dieu et de l’humanité, scellées en Christ. Jésus nous aide à lâcher l’illusion de ces apparences que nous nous bricolons, nous les sacralisons tellement. Ce n’est pas que ça fâche Dieu quand nous déchirons des pièces dans le vêtement neuf qu’il nous offre. Jésus ne nous menace pas de cela, il fait juste appel à notre bon sens. D’abord à notre sens du style, ce vêtement tout bricolé que nous rapiéçons est d’un mauvais goût atroce, nous valons mieux que ça ! Et puis c’est du gâchis de tailler quelque chose de génial pour faire un truc qui ne tient pas debout. Personne ne ferait ça. Finalement, nous dit Jésus. La vie ne devrait pas être si compliquée. Si nous utilisions un peu notre bon sens, celui que nous avons tiré de notre expérience de vie quotidienne, nous vivrions vraiment bien. Nous serions dans une bonne dynamique. Oui au vêtement tout neuf, ça, oui, en cette nouvelle année nous pouvons nous laisser revêtir de notre cape royale d’enfant de Dieu. Après cela, nous n’avons plus besoin de vouloir épater Dieu, ni d’épater les autres ni d’essayer de nous épater nous-mêmes en rapiéçant notre vieux vêtement tout bricolé. Le faste, les manières, les sabbats, les jeûnes, les rites, les cultes et les sacrements ne sont pas faits pour ça. Ils sont faits pour travailler dans notre vigne, pour y travailler avec Dieu. Et là aussi, c’est finalement tout simple, et ça ne devrait pas être triste, ni difficile, mais joyeux, nous dit Jésus. Car nous ne sommes pas seuls, et ce travail est comme une noce où nous serions les amis du marié, à table avec lui à manger et à boire, à prendre des forces et à boire du vin vieux. La notion de jugement faisait peur, elle est finalement un soin qui nous rend acteur d’un festin de noces. L’idée de conversion ou de repentance est aussi revisitée, ici. Oui, nous avons des progrès à faire, nous sommes à la fois juste et pécheur, et Jésus nous appelle à un changement de mentalité. Mais dans la bouche de Jésus la conversion ou la repentance est toujours l’occasion d’une fête joyeuse (Luc 15). C’est une gourmandise que de se tourner vers Dieu, de chercher Dieu, c’est un délice de manger à sa table, de penser à lui, de le prier. C’est un plaisir d’inviter nos collègues en humanité, mêmes s’ils ne sont pas toujours trop sympas, dès lors que Christ est là, avec nous, il prendra notre défense s’il arrive que nous en prenions plein la figure. Il est bon et joyeux de ne plus avoir à faire semblant de valoir quelque chose dès lors que nous sommes quelqu’un grâce à Dieu. Le jugement de Dieu, la conversion de l’homme ne sont pas des choses difficiles, mais ce sont des dons de Dieu. D’autres choses sont difficiles dans ce monde et dans notre vie, oui, vraiment. Des choses dures ont été vécues cette année passée, dans notre monde, dans notre corps, dons notre tête ou notre cœur. Des choses terrifiantes se lèvent dans notre appréhension devant l’année qui s’ouvre. Mais sur tout cela aussi nous pouvons travailler avec Dieu. Comme nous le pouvons, pour le meilleur, à notre mesure, avec notre bon sens tiré de notre propre expérience revisitée avec Dieu. Et c’est bon de travailler avec lui à transformer tout ce qui arrive, bon comme mauvais. De pouvoir le presser pour en retirer l’amertume des pépins et l’immangeable de la rafle. Puis de laisser Dieu fermenter cela avec son Esprit, de patienter quelques semaines, quelques mois tout au plus, le temps que le vin s’oxyde et perde son côté trop acide et tannique, qu’il prenne de la rondeur, et devienne ce vin vieux. Le vin de la fête de l’alliance avec Dieu. Ce vin qui nous donne de voir les choses tout différemment, ré enchantant notre monde, et nous donnant l’envie de donner une sacrée fête chez nous comme Lévi le fait ce jour-là. C’est seulement si l’époux nous était enlevé, si nous perdions la foi comme les disciples quand Jésus est crucifié, alors là oui, nous pourrons jeûner comme Jésus nous y invite ici, ou prier toute la nuit à l’écart des autres comme Jésus lui-même le fait un peu plus loin dans le texte (Luc 6:12), ou exercer l’aumône, visiter ceux qui seuls (Matthieu 25:35-36), et tout autre exercice utile pour faire du bien et favorables pour nous ouvrir ensemble à cette source de vie qu’est Dieu. Nous avons largement assez de bon sens pour savoir que faire dans ce cas-là. Et ce que nous ferons avec sincérité portera du fruit. Excellente année de grâce pour vous, une année de joie partagée. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire
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