L’épreuve de l’énigme(2 Chroniques 9:1-12) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 5 octobre 2014 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, nous venons d’entendre le récit de cette femme étrangère qui vient éprouver avec des énigmes le roi Salomon, un homme blanc de plus de 60 ans (peut-être), un héritier. Le texte raconte qu’elle lui a dit tout ce qu’elle avait dans le cœur. J’aimerais voir avec vous en quoi l’énigme a sa place dans notre vie. Accueillir l’énigme, l’étrangetéSalomon, la figure du croyant, est ici confronté à deux choses qui n’en sont qu’une : l’étrangeté et l’énigme. Recevoir une énigme, c’est être face à l’inconnu, face à quelque chose qui nous est étranger. L’énigme est quelque chose qui nous résiste. Par exemple, comment faire passer un disque de diamètre 12 centimètres à travers un carré dont la diagonale fait moins de 9 centimètres ? Cela nous semble impossible. Cela nous résiste. Cela nous malmène. Cela nous révèle que nous n’avons pas le pouvoir sur toutes choses. Tout ne se passe pas immédiatement tel que nous le voudrions. La reine de Saba, à sa manière, est une figure énigmatique, dont nous ne savons rien. L’énigme, c’est elle. Le premier verset le dit sans aucun doute : la reine de Saba vient avec des énigmes pour éprouver Salomon et ce qu’elle va lui dire, c’est ce qu’elle a dans le cœur. Elle est elle-même l’énigme. Elle est une énigme comme nous le sommes toutes et tous, à vrai dire. Chaque personne que nous rencontrons, chaque personne que nous connaissons est une énigme. Il est illusoire de penser que nous pouvons connaître quelqu’un parfaitement, que nous pouvons le connaître par cœur. Même au sein de notre famille, un frère, une sœur, un parent est, au moins en partie, une énigme, un peu étranger, un peu étonnant, ne correspondant jamais tout à fait à l’idée qu’on s’en fait. C’est que nous avons une vie intérieure qui est toujours en évolution. Nous avons des choses dans le cœur, comme la reine de Saba ; ces choses, ce sont nos idées, nos passions, nos révoltes, nos convictions... Et tout cela évolue, change, en fonction de notre réflexion, de nos expériences, de nos mises à l’épreuve. Salomon qui fait bon accueil à la reine de Saba et à tout ce qui occupe son esprit fait donc bon accueil à l’étrangère qu’elle est, figure de toutes les étrangetés, de tout ce qui ne nous ressemble pas, de tout ce qui est pour nous une énigme. Nous pouvons penser que c’est cela qui explique la sagesse de Salomon, et sa renommée par delà Jérusalem et même par delà la Bible : Salomon est un homme curieux de la vie ; c’est une personne ouverte à l’inconnu ; c’est une personne qui accueille les énigmes au lieu de s’en protéger, au lieu de les laisser aux portes de son palais. Salomon est sage parce que sa sagesse ne repose pas sur ses seules connaissances. Plier, joindre ce qui est distantMais accueillir ne suffit pas. La rencontre de Salomon avec la reine de Saba est la rencontre de ce qui ne va pas de soi. Deux extrêmes se rejoignent alors que sur le papier, ils n’avaient rien à faire ensemble, car le roi d’Israël n’a pas à fréquenter les étrangères, qui sont réputées idolâtres. Mais Salomon n’a rien à faire des réputations. Un peu plus tôt, il avait déjà reçu deux prostituées qui se disputaient un enfant. Pour Salomon, il n’y a pas de mauvaise réputation, mais des occasions à saisir, des énigmes à explorer. C’est comme ce carré de moins de 9 cm de diagonale, réputé infranchissable par un disque de 12 cm de diamètre. Salomon ne se serait pas contenté de le mettre chez lui, dans un coin. Il aurait fait face. C’est ce que dit le texte hébreu au sujet de Salomon et de la reine de Saba. Quand il est traduit, au verset 2, que Salomon expliqua tout ce qu’elle disait, le verbe Nagad indique à la fois le fait de révéler, mais aussi de faire face, de s’opposer, à l’image de celle qui doit être Neged avec Adam, dans le récit de la Genèse. L’explication, la révélation vient d’un face à face où les opposants s’accordent. Si nous reprenons notre énigme, nous constatons qu’il est possible de plier ce carré et de joindre deux points opposés, car la vie n’est pas limitée à deux dimensions seulement. Même ce qui est écrit dans la Bible ne devrait jamais être limité aux mots ou aux lettres, car rien ne saurait être maintenu à plat et figé définitivement. Avec Salomon et la reine de Saba deux univers se rencontrent et se mêlent. De même que la droite et la gauche de notre Eglise se retrouvent et travaillent ensemble. Nagad, ce n’est pas l’opposition où l’on se regarde en chiens de faïence, mais la tension qui surmonte les clivages. Il n’y a pas d’un côté les orthodoxes et de l’autre les libéraux. Il n’y a pas d’un côté les femmes et de l’autre les hommes. Il n’y a pas d’un côté les jeunes et de l’autre les anciens. Il y a une coopération des différentes composantes qui peuvent être tout aussi bien différentes dimensions de la vie. Et l’ensemble coopère à la réalisation du projet ou à la résolution de l’énigme. Il n’y a pas d’un côté l’expert et de l’autre l’ignorante : il y a deux partenaires qui travaillent ensemble. Voilà pourquoi la reine de Saba peut s’émerveiller aussi bien de la sagesse de Salomon que du bonheur des gens de sa maison. Chacun est pris au sérieux comme cette étrangère l’a été. Salomon ne l’a pas humiliée, il a accueilli l’énigme qu’elle est et la rejointe dans son univers pour conjuguer ses forces, ses talents avec les siens. Élargir l’horizonAu terme de cette rencontre, la reine de Saba et le roi Salomon ont élargi leur horizon. C’est le troisième point que je relève. Ils ressortent tous deux plus riches qu’au début du conte. La reine a ouvert les yeux sur des aspects de la vie qu’elle ne comprenait pas jusque là ; le roi a reçu des cadeaux parmi lesquels des aromates uniques en leur genre et du bois de santal dont il fit des instruments qui n’avaient jamais été vus jusque là en Israël. Un arc diplomatique semble se tendre jusqu’à Tyr, en Phénicie, où règne Houram qui est mentionné. Le texte s’évertue à montrer que l’accueil de l’énigme et son traitement ont eu un effet particulièrement bénéfique pour les héros de l’histoire. L’élargissement de l’horizon est d’ailleurs la véritable issue de l’énigme, de même que l’élargissement du carré replié sur sa diagonale ouvre l’espace nécessaire pour faire passer le disque qui, jusque là, était bloqué par une vision trop étriqué de la situation. C’est dans cet élargissement que nous pouvons voir une forme de transcendance. Souvent, lorsque nous pensons transcendance, lorsque nous disons Dieu, lorsque nous parlons de spiritualité et mystique, nous pensons verticalité. Mais la transcendance, nous le voyons ici, n’est pas forcément à rechercher dans les hauteurs. La transcendance, le divin, s’éprouve dans l’exploration du vivant, dans l’accueil de l’énigme, dans le face à face avec l’étrangeté qui élargit notre horizon, qui élargit l’espace de notre tente pour reprendre une formule biblique. Ici la reine de Saba parle de Dieu au moment cet horizon s’est élargi pour elle, au moment où ses yeux ont vu la qualité de la vie au palais de Salomon, cette abondance qui n’a rien d’historique (il suffit de comparer un peu plus loin le verset 16 avec l’autre version qui se trouve en 1 R 10 pour constater les écarts de valeur), mais qui traduit l’abondance de vie, le sentiment de bien être, la béatitude des personnes. C’est au moment où elle a le souffle coupé que la reine de Saba parle de Dieu, littéralement quand il n’y eut plus de souffle en elle, le mot hébreu Ruah signifiant aussi l’esprit. La reine de Saba n’eut plus d’esprit ; la traduction grecque a rendu cela par « elle devint hors d’elle-même », une expression que l’on retrouve aussi à la Pentecôte, justement, quand il est question de l’effusion de l’Esprit. La reine de Saba n’avait plus d’esprit au sens où elle n’avait plus son esprit, car c’est un nouveau souffle qui l’animait désormais. L’expérience du divin, l’expérience mystique, fut une transcendance qui lui fit passer les barrières qui séparent habituellement les hommes entre eux. L’expérience de Dieu se fit à travers cette mise en relation avec un environnement élargi. Elle a découvert une qualité de vie qu’elle ne soupçonnait pas jusque là : « et voici qu’on ne m’a pas raconté la moitié de la grandeur de ta sagesse. Tu surpasses ce que ta réputation m’avait laissé entendre (v. 6) ». Il y a clairement transcendance. Elle a aussi découvert une nouvelle communauté à laquelle elle se sait désormais appartenir, et dont le vrai roi est l’Eternel, selon sa propre profession de foi (v. 8). Il y a, là aussi, transcendance car la royauté, le gouvernement, la justice, la sagesse, ne sont pas l’affaire d’un seul homme, pas même Salomon, mais une perspective qui dépasse toute contingence humaine, tout intérêt particulier, tout esprit partisan. Nous découvrons ce que l’énigme a de bon : en nous éprouvant, l’énigme nous fait intuitionner plus que ce que nous sommes habitués à expérimenter ; l’énigme nous fait découvrir des perspectives plus larges que ce à quoi nous sommes habitués ; l’énigme nous fait accéder à d’autres dimensions de l’histoire, de l’existence. Et la grâce qui nous est faite, c’est d’être mis au contact d’une multitude d’énigmes vivantes, tous ces êtres capables de renouveler notre vie personnelle, ce qu’avec un vocabulaire religieux nous nommerions une dynamique de la résurrection. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
Pasteur dans la chaire de
|