La conversation est la porte d’entrée de Dieu(Jean 4:5-42)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 28 septembre 2014 Dans la Bible, la majorité des textes ne sont pas des enseignements ou des prières, mais des conversations. Pourquoi ? Dieu passe son temps à entrer en conversation avec les hommes selon la Bible, avec Ève et Adam, puis avec Caïn, avec Noé, avec les habitants de Babel, avec Abraham, avec les prophètes… Pour Jésus aussi, il semble que la conversation soit pour lui la meilleure des façons de nous permettre d’accoucher de ce nouveau nous-même que Dieu espère. C’est ce que note Kierkegaard, rapprochant Jésus et Socrate même si en Jésus se joue bien plus que de devenir seulement plus sage. Mais c’est exact que Jésus agit la plupart du temps comme nous le voyons ici avec cette femme Samaritaine. Le ton est celui de la conversation, avec des phrases courtes, ou chacun parle à son tour et rebondit sur ce que dit l’autre. Jésus parle de ce qui les entoure. Il y a un puits, alors ils parlent de puits et de sources. Il a soif et elle vient chercher de l’eau, ils parlent de soif et d’eau. Mais Jésus oriente la conversation en utilisant ce réel prosaïque comme parabole des réalités spirituelles et du salut que Dieu donne. Non pour théoriser mais pour creuser en nous une soif nouvelle. Plus loin dans ce texte, les disciples reviennent d’avoir été faire les courses de nourriture, et Jésus s’inspire de ces circonstances ordinaires pour parler de nourriture et, leur montrant les champs de blé environnant il parle de moisson et de moissonneurs pour les ouvrir eux aussi à quelque chose de neuf qui vient de Dieu. Pourquoi est-ce que la Bible, et particulièrement Jésus, cherchent à communiquer ainsi, dans une conversation avec chacun ? Si le salut était une certaine connaissance à avoir, si le salut était une Vérité à croire, si le salut passait par des choses à faire, ou une certaine idée de la justice… il aurait été plus efficace pour Dieu de produire une révélation massive et spectaculaire de la vérité. Par exemple avec une vision, ou avec une table de pierre tendue du haut des cieux, ou un texte dicté à un secrétaire méticuleux ? Ce serait bien plus clair, net et sans bavures ? Indiscutable. Au contraire, une conversation est quelque chose d’intime entre deux personnes, quelque chose de tout imprégné de la vie quotidienne. Ces conversations de Jésus sont ainsi trop individualisées et subjectives pour être transformée en un code de loi, pour en faire discours surplombant les circonstances particulières de nos vies, ou une connaissance qui nous écraserait en appelant à la soumission de notre savoir pour adopter certaines connaissances, ou de nos actes pour entrer dans un moule idéal. Le ton même de la conversation dit déjà quelque chose de Dieu et du Christ qui utilisent le mode de la conversation pour communiquer le salut. Ce n’est qu’avec quelqu’un dont on se sent proche que l’on peut entrer dans une conversation. Et c’est là aussi quelque chose de l’Évangile qui se manifeste dans ce Dieu qui chemine avec nous, ce Dieu avec qui l’on a le droit de bavarder est un Dieu qui ne nous prend pas de haut. Oserait-on bavarder ainsi avec le président des Etats-Unis, bavardant de la fontaine qui coule sur la place, et de la santé des enfants, et de nos projets de vacances, des courses au supermarché ou de la moisson qui approche ? Nous avons dans ce ton de la conversation déjà une révélation sur Dieu, ce Dieu que l’on appelle en hébreu l’Emmanuel, Dieu avec nous. Ce Dieu qui rend possible cette proximité, cette amitié, cette confiance, un Dieu qui pardonne et qui aime. Mais là aussi, en analysant cette attitude, je transforme en connaissance sur Dieu ce qui dans ce texte une expérience de Dieu. Une conversation avec lui. Jésus ne nous communique presque aucun savoir sur Dieu, ni d’ailleurs sur le salut qu’il apporte. Ce n’est certainement pas faute de penser Dieu car Jésus est manifestement un très fin théologien et philosophe. Mais il choisit de ne pas faire de discours construit sur Dieu, ou sur le salut. Parfois, au détour d’une remarque, comme en passant, Jésus laisse échapper un mot sur le fait que Dieu est bon, qu’il aime jusqu’à ses ennemis, il laisse supposer que Dieu est comme un berger s’occupant de chacune de ses brebis comme si c’était sa fille, ou comme un vigneron… mais rien de vraiment construit, ni sur Dieu, ni sur le salut qu’il apporte… Ce n’est que plus tard que des théologiens entreront dans cette recherche d’un savoir sur Dieu. Jésus manifeste l’amour de Dieu, mais il faudra attendre une lettre de Jean, peut-être 50 ans plus tard, pour voir prononcer ces mots lumineux « Dieu est amour ». Alors, qu’est-ce que Jésus cherche à apporter avec une telle conversation ? Il aurait pu faire le professeur devant cette femme et lui révélant quelques bonnes vérités éternelles et essentielles. Jésus aurait pu agir en posant un geste fort, un geste qui montre l’importance de l’amour du prochain et du service de l’autre. C’est comme cela que nous aurions interprété un récit qui nous montrerait Jésus se lever malgré sa fatigue, roulant une lourde pierre comme le fait Jacob pour donner à boire à Rachel et son troupeau. Le récit aurait pu nous montrer Jésus luttant contre le mal comme Moïse protégeant Tsiporah. Non, Jésus est assis sur le puits, il est fatigué, il a faim et soif, il a laissé ses disciples partir faire les courses de nourriture. La femme survenant, il choisit de lui faire la conversation. Quel sauveur étrange. Quel salut apporte t-il ? Ce n’est pas la communication d’un savoir sur Dieu, ni celle d’un comportement à avoir ou d’une justice plus élevée. Ce que Jésus cherche à communiquer, c’est un pouvoir. C’est le « pouvoir de devenir enfant de Dieu » nous dit Jean dans le prologue de son évangile. Cela rejoint ce que Jésus dit à la femme samaritaine, le salut qu’il apporte c’est qu’ « en elle jaillisse une source ». C’est ce qu’il essaye de faire par cette conversation avec elle. La Samaritaine a raison, il y a là infiniment plus que ce qu’a apporté Jacob comme don de Dieu. Contrairement à ce que disent certains commentateurs de ce texte célèbre, la femme saisit au quart de tour ce que Jésus lui dit dans cette conversation. Elle comprend très bien que Jésus ne parle plus d’eau mouillée, H2O, mais qu’il est passé au sens figuré de l’eau et du puits de Jacob. Ces commentateurs disent que cette femme serait restée au raz des pâquerettes, concentrée sur ses besoins domestiques en eau, et que Jésus manierait ici l’ironie comme Socrate le faisait parfois pour rectifier le savoir de la personne avec qui il discutait. Je me demande s’il n’y a pas un peu de machisme dans l’interprétation de ces commentateurs, comme si une femme avait naturellement du mal à sortir des préoccupations domestiques, et ne pouvait passer au sens figuré comme les rabbins exercés au Midrash. Mais à mon avis, non. Au contraire, la femme saisit très bien que Jésus poursuit cette conversation en parlant de l’eau au sens figuré, l’eau comme bénédiction de Dieu. La preuve, c’est que quand Jésus lui dit qu’avec le don de Dieu qu’il lui transmet, elle n’aura plus soif, elle répond immédiatement : Ah c’est bien, je n’aurai plus à revenir encore et encore à ce puits de Jacob. Si de savants commentateurs pensent que la femme n’a pas saisit que Jésus est passé au sens figuré, c’est que ces commentateurs ne se sont peut-être jamais préoccupés, eux, des tâches domestiques. Car dans le volume d’eau nécessaire à une maisonnée, ce qui sert à boire ne représente pas le dixième ou le vingtième de ce qui est nécessaire pour laver, pour cuire, ou pour donner aux plantes et aux bêtes. Tout le monde savait cela du temps où il n’y avait pas l’eau courante à la maison. La femme a donc certainement compris que Jésus est passé au sens figuré quand il parle du puits de Jacob qui laisse sur sa soif, et que rien ne vaut une source jaillissante au fond d’elle même. Une source de vie éternelle. Le puits de Jacob est plutôt comme ces réservoirs que se constituaient les bergers, ou ces puits creusés qui contiennent un fond d’eau un peu croupissante. Au sens figuré, le puits de Jacob c’est la bénédiction de Dieu donnée à Abraham, bénédiction transmise à Isaac qui la transmet à Jacob, qui la distribue ensuite à ses fils et petits-fils constituant les 12 tribus d’Israël. La foi de cette femme consistait à puiser dans ce réservoir ancien de bénédictions, de puiser encore et encore dans la Torah, grâce à la science des théologiens, capables d’aller chercher le don de Dieu de plus en plus profondément dans cette ancienne réserve de sagesse et de bénédiction de Dieu. Par cette conversation, Jésus ne cherche pas à simplement élever la femme au-dessus des préoccupations domestiques (même si le salut qu’il apporte peut aussi avoir cette conséquence-là). Mais cette conversation cherche à ouvrir en elle-même la source vive de la bénédiction et de la Parole de Dieu. Ce que communique Jésus n’est donc pas un savoir, il serait alors encore dans la logique de l’ancienne alliance, ou la révélation de Dieu et la bénédiction de Dieu sont transmises au peuple par quelques rares champions, un Moïse, un Abraham, un prophète. Non, Jésus communique effectivement, mais quelque chose d’une autre nature. Il donne de l’eau (au sens figuré), une sorte d’eau magique qui perce en nous la source vive, directe, avec Dieu, sa Parole et sa vie. Mais tant que l’eau des puits anciens satisfont notre besoin, nous n’avons pas soif de cette source. Cela dit quelque chose du statut de la théologie, de la morale et de la religion pour Jésus, c’est utile au titre de conversations qui nous ouvrent à l’ultime, mais c’est un problème si ont en fait des réservoirs sacrés, et encore pire si on les prend pour une maîtrise de la source. Jésus ne se présente pas comme étant lui-même la source, bien sûr. Ni ses paroles. C’est Dieu qui est la source. Une source vive qu’il espère ouvrir en nous. Tant que nous pensons que le don de Dieu est un savoir révélé une fois pour toute, tant que nous pensons que le salut est un événement ou un acte comme un sacrifice sur tel lieu de culte, comme une personne mourrant sur une croix… nous n’avons pas soif de cette eau magique qu’apporte le Christ, l’eau qui percerait en nous une source, l’eau qui nous apporte ce pouvoir inouï. C’est à cela que sert la conversation que Jésus mène. Non pas un discours universel, mais une conversation singulière, contingente qu’il veut avoir avec nous. Une conversation qui part de notre vie quotidienne, de ce que nous espérons ou de ce qui nous préoccupe. Il part de cela et il le spiritualise. Une conversation qui part de ces lieux où nous avons l’habitude de puiser pour tenir à peu près bon face à nos soifs de toutes sortes. Il part de cela et nous fait voir plus loin, Il nous fait comprendre que la cruche et le puits auquel nous sommes habituées ne sont pas la source. Une rencontre et une conversation qui nous permet de voir que nous ne sommes pas les seuls à avoir faim et soif, mais que Dieu aussi a soif, il a soif de nous donner la vie. Que Jésus aussi a faim et soif. Faim et soif de faire la volonté de celui qui l’a envoyé, d’accomplir son œuvre qui est d’ouvrir en nous la source de la vie, pour nous et par nous. Voilà les dons de Dieu. Mais comment pourrons entrer en conversation et bavarder ainsi, nous qui sommes à 2000 ans et 3000 kilomètres de Jésus ? Et bien, nous pouvons commencer par bavarder entre nous, frères et sœurs de Jésus, nous parler, nous intéresser aux autres et à leur propre soif, comme le fait Jésus, comme le fait la femme en discutant avec Jésus et ensuite avec les gens de son village. Nous pouvons mettre en conversation notre propre théologie avec notre existence quotidienne, mettre en conversation notre prière à Dieu et ce qui nous passe par la tête et par le cœur. Donc oui, nous pouvons faire de la théologie, comme Jean, comme Paul, comme Saint Augustin, mais sans nous prendre pour la source, sans prendre notre lecture de la Bible ou notre expérience de Dieu comme étant l’eau de la source. Cette eau, c’est la bénédiction, c’est la vie. Quelque chose dont nous pouvons converser mais sans la posséder par un savoir. C’est pourquoi, Jésus nous met en garde : Ne vous faites pas appeler Rabbi (maître) C’est ainsi que Saint Augustin, par exemple, discute avec son fils Adéodat, lui disant que oui, il est utile de discuter avec des mots, mais qu’en définitive seule notre « enseignant intérieur » peut nous parler vraiment de Dieu et que cet enseignement dépasse tout mot. C’est ainsi que la femme samaritaine témoigne auprès de ses proches. Elle témoigne que le Christ lui a enseigné quelque chose par la conversation. Il lui a enseigné qui elle est, sa soif et sa recherche d’eau, et qu’une source en elle peut jaillir. Notre théologie, nos paroles ne sont pas un enseignement sur Dieu, c’est un témoignage, une conversation qui renvoie au Christ, qui lui-même renvoie à Dieu, à la source qui peut jaillir en nous. Dieu est la source. Et le propre d’une source est d’être au-delà de tout. Amen. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire
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Pasteur dans la chaire de
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