Jésus aime l’entreprise(Matthieu 5:1-12) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 7 septembre 2014 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, Jésus aime l’entreprise ! La Bible est praticableTout donne à penser qu’on ne peut pas gouverner le monde avec le sermon sur la montagne et, moins encore, avec les « béatitudes » : Trop utopiste, pas assez pragmatique ! Les béatitudes, pour ne parler que d’elles, donnent parfois le sentiment d’être dans la Bible pour donner raison à ceux qui prétendent que la foi devrait rester dans le registre de l’intime ou à ceux qui sont d’accord pour dire que la Bible a quelque utilité, mais seulement pour permettre le décryptage d’œuvres d’art, sans quoi c’est un livre à fermer et à mettre de côté dès qu’on passe aux choses sérieuses. Au mieux, le sermon sur la montagne serait une belle utopie, le récit sympathique de ce qui sera possible le jour où les gens sérieux auront fait ce qu’il faut, sans se servir de la Bible, pour instaurer un ordre du monde parfait. Les théologiens réformés, Jean Calvin en tête, ont considéré que le message biblique n’était pas pour plus tard, qu’il n’était pas uniquement une sorte de point de fuite qui console les malheureux en leur faisant penser à des lendemains qui chantent. Les théologiens réformés, les protestants réformés, ont le plus souvent considéré que le message biblique était un chemin praticable d’ores et déjà : ce que Dieu nous rend capable de faire dès à présent (ce qui explique que l’ordre liturgique réformé puisse être ‘confession du péché-annonce de la grâce-volonté de Dieu’). Ainsi le théologien suisse Léonhard Ragaz (1868-1945) suggérait de prendre le message du sermon sur la montagne comme le message que l’Eglise doit annoncer à la société, et non comme un texte valable seulement pour les croyants du dimanche matin. C’est dans cet esprit réformé que je voudrais reprendre ce texte des béatitudes, ce texte qui semble aux antipodes du monde réel et le confronter à ce qui lui semble être le plus étranger, le plus antithétique qui soit : l’entreprise - l’entreprise réputée cruelle, avide de chair fraîche et de grosses marges, l’entreprise courtisée par tout le monde ces derniers temps. Testons les béatitudes sur l’entreprise et nous pourrons confirmer que Jésus aime l’entreprise. « Qui peut le plus peut le moins » : si les béatitudes s’avèrent opérationnelles pour l’entreprise, elles nous pourront nous être utiles dans les autres domaines de notre vie. Les béatitudes en entrepriseLes pauvres en espritL’humilité n’est-elle pas la première composante de la réussite ? C’est l’humilité qui permet d’apprendre et donc de progresser. C’est l’humilité, également, qui désarme l’hostilité. Nous pouvons entendre dans cette parole que l’humilité est ce qui fait avancer le royaume des cieux. Cela tient au fait que l’humilité, l’esprit de pauvreté, suscite la générosité, la solidarité, l’entraide. Elle augmente, par conséquent, l’investissement de tous au lieu de quelques uns. Nous pouvons prendre l’exemple d’un service commercial dans lequel le plus odieux, parce que le plus orgueilleux, est aussi celui qui a le meilleur chiffre d’affaire. Peut-on se séparer de ce commercial qui met une ambiance détestable, mais qui a le meilleur résultat ? Une entreprise l’a fait, et l’ensemble des autres chiffres d’affaire a progressé au point de dépasser ce qu’était auparavant le chiffre d’affaire global du service. Les endeuillésAvec les endeuillés, il ne s’agit pas d’encourager les suicides des collaborateurs, mais de donner une place à l’échec, à l’erreur. Bien au-delà du précepte « il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne se trompent jamais », l’erreur est un chemin, sinon le chemin de l’innovation, de la nouveauté, et donc de la progression. A l’opposé, l’interdiction de la faute est un chemin mortel au sens strict du terme. Pour prendre ce point particulièrement au sérieux, je rapporte cette observation faite dans le milieu médical par Amy Edmonson. Dans les services où les chefs se comportaient comme des despotes, beaucoup moins d’erreurs étaient signalées que dans les services où l’ambiance était bonne. Ce n’est pas que la qualité des soins était meilleure, mais les erreurs de posologies voire de diagnostics étaient soigneusement cachées. C’étaient le service où il y avait le moins d’erreur des praticiens, du moins sur le papier. Mais c’était aussi les services où il y avait le plus de complications de santé, le plus de problèmes postopératoires, parce que les problèmes étaient cachés et ne pouvaient donc pas être traités à temps. Plutôt que d’aider l’entreprise à progresser, chacun s’efforçait de se protéger, même si des vies étaient en jeu. Les douxCela se prolonge avec l’évocation des doux, autrement traduit par « débonnaires ». Les « bons » seraient une manière d’avoir un terme plus dynamique. Les doux hériteront la terre, autrement dit, ils ne mettront pas un terme prématuré à l’aventure, contrairement à ce qui s’était passé après la sortie d’Egypte, les colériques étant finalement morts dans le désert, sans pouvoir entrer en terre promise. Les doux inscrivent leur action dans la durée contrairement aux colériques qui castrent, stérilisent, handicapent le projet d’ensemble. Un directeur de site m’avait dit comment il repérait les chefs de service protestants : c’étaient ceux qui avaient le plus de personnels en arrêt de travail. Ne prenant pas en compte la dimension humaine, durs avec les personnes, en véritable situation de harcèlement, ils en arrivaient à faire craquer les agents et, au bout du compte, le service était moins efficace. Ceux qui ont faim et soif de justicePeut-on passer sous silence la question des rémunérations ? Peut-on passer sous silence les écarts abyssaux entre le haut et le bas des échelles de salaire dans quelques entreprises, quand on a faim et soif de justice ? La justice, n’est pas l’égalitarisme ; ce n’est même pas une question de rapport de 1 à 10 ou de 1 à 20. Il faut raisonner en se tenant face à l’ultime, face à l’Eternel dirait le texte biblique et non face à ce que gagne le voisin ou le supérieur. Ce qui est juste doit être pensé au regard des responsabilités individuelles et de ce qui est juste pour vivre : être rassasié, ce n’est pas être gavé. C’est aussi le rapport entre les acteurs de l’entreprise et les actionnaires de l’entreprise qui doit être pensé dans ce lien à la justice car ce ne sont pas les dividendes qui rassasient, dans la bouche de Jésus, mais la justice. Dans un « marché [qui] connaît le prix de toute chose, mais la valeur de rien » pour reprendre les mots d’Hillary Clinton, la justice a pour fonction de replacer chacun face au projet de l’entreprise et face à ce qui est fondamentalement juste pour une société humaine. Les miséricordieuxLes miséricordieux à qui il sera fait miséricorde, cela pourrait donner l’impression d’un retour sur investissement qui s’éloigne de la grâce qui est une dynamique du don : une logique d’investissement et du retour sur investissement. Jusqu’à présent, nous avons pu constater que tous les comportements cités n’étaient pas sans effet. A la manière de la Parole de l’Eternel qui féconde l’existence (Es 55/10-11), ce que nous faisons, ce que nous entreprenons ne laisse jamais le monde en l’état, ni les êtres indifférents. Ce qui peut nous préoccuper, c’est d’envisager quels sont les effets qu’auront notre comportement. Si nous espérons être au bénéfice de la miséricorde, alors c’est la miséricorde qui doit nous animer. Certes, il y a ici une logique d’équivalence, mais en terme d’éveil, à l’image de la parabole du Royaume qui raconte qu’un semeur est sorti pour semer, sans calculer, sans expertiser. Il a semé à tout va, image de la miséricorde qui n’est pas un investissement limité, ciblé sur des bonnes terres, c’est-à-dire limitée à quelques uns, ce qui reviendrait à aimer ceux qui sont aimables. Dans les années 70 le psychologue Frank Smith a montré le pouvoir des attitudes au travail sur « l’effort librement consenti ». Faisant une étude sur les 3000 employés de Sears à Chicago, il a constaté que le jour où la ville fut touchée par une tempête de neige, ce sont ceux qui étaient satisfaits par leurs supérieurs qui avaient été présents en dépit des conditions épouvantables. L’amour du prochain suscite la transcendance et le désir de faire de son mieux. Les cœurs pursRefuser le machiavélisme, la manipulation, les rumeurs, voilà ce qui caractérise les cœurs purs. Oser la confiance, pratiquer la reconnaissance... Dans quelles circonstances voit-on Dieu ? Jamais, si l’on en croit Jean (Jn 1/18). Il est pourtant des récits de face à face avec l’Eternel, notamment au sujet de Moïse et puis il y a cette alternative proposée dans l’épître de Jean (1 Jn 4) qui proclame que l’amour manifeste Dieu. Les cœurs purs sont ceux qui ne font pas écran à l’amour divin, mais qui lui sont perméables. Le cœur pur ne cherche pas à garder pour lui l’amour qu’il a reçu. Il n’enterre pas dans son jardin secret la grâce qui le touche n’offrant que le mépris autour de lui. Le cœur pur ne met en place aucune stratégie, aucune combine pour priver quiconque des bienfaits de l’amour. Il ne garde pas les informations pour lui, il ne prive personne des moyens nécessaires pour accomplir sa tâche. Soli Deo Gloria, c’est consacrer son temps à l’ultime, et seulement à l’ultime. Les faiseurs de paixEst-il besoin de dire que les conflits sont facteurs de déclin dans les entreprises ? Les artisans de paix, les médiateurs, les agents de conciliation, sont autant de personnes qui vont éviter les grèves, celles-ci étant le symptôme d’un problème non réglé avant d’être la cause d’une perte d’activité. Mais l’Evangile va plus loin que le statu quo, car être fils de Dieu, c’est s’inscrire dans le dynamisme divin qui est créateur. Les artisans de paix ne sont donc pas tant ceux qui neutralisent les problèmes, que ceux qui créent les conditions d’une vie en plénitude. Permettre à chacun de pouvoir contribuer à l’élaboration du projet d’ensemble, autoriser chacun à prendre la parole et, qui sait, entendre des paroles créatrices, à la manière de ce que Genèse 1 raconte, des paroles qui organisent un peu mieux le monde de l’entreprise, des paroles qui rendent le monde un peu plus vivable, un peu plus juste. Les persécutés pour la justiceEt nous voilà à nouveau avec la question de la justice et, cette fois, de ceux qui sont persécutés en son nom. Comment protéger les donneurs d’alerte, ceux qui vont relever des dysfonctionnement en égratignant des orgueils mal placés, mais en sauvant du même coup des réputations, des personnes, des situations, des matériels, des projets. Il ne fait pas toujours bon dire sa part de vérité. Peut-on cesser de tuer le messager ? Oui, certainement, par ce que c’est à la condition d’entendre ce qui pose problème qu’il est possible de régler le problème, et c’est à la condition d’être libre d’agir pour la justice que l’environnement dans lequel on se trouve ne se transforme par en enfer (et qu’il est donc royaume des cieux). Dans cette perspective, on comprend qu’un syndicaliste soit un salarié protégé. Chers frères et sœurs, nous constatons que les béatitudes donnent matière à penser l’éthique en entreprise ; elles nous donnent les moyens d’aimer l’entreprise, c’est-à-dire de prendre soin de la vie en entreprise. De ce point de vue, il est donc légitime, en régime chrétien, de dire j’aime l’entreprise. « Qui peut le plus peut le moins », rappelai-je : les béatitudes constituent donc un manifeste très opérationnel pour repenser notre quotidien aussi bien que notre vie sociale ou professionnelle. Confrontées à notre réalité, nous découvrons que les béatitudes peuvent être à la fois un horizon et un chemin praticable qui nous permet de réinvestir notre présent avec cet élan de grâce qui rend plus humain ce qui est parfois réputé inhumain. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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