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Feuille Rose N °781
de décembre 2009
sommaire


Éthique et Bible chez Ricœur

 

Il n'y a pas que la morale explicitement édictée qui compte

Ricœur, souvenons-nous en d'abord, est un philosophe et non un bibliste ni un théologien. La place qu'il accorde aux textes bibliques parmi ses références philosophiques ou littéraires est telle, néanmoins, qu'elle ne peut pas ne pas avoir inspiré d'une manière ou d'une autre son idée de l'éthique, de ce qui est bon, juste, ou simplement sage. La Bible n'est pas pour lui sans incidence éthique: toute " lecture " est déjà une manière d'interpréter éthiquement le texte dans nos existences, et nos morales les plus sécularisées ne sont pas sans références bibliques, au sens d'un code immémorial qu'il est bon de connaître, d'autant plus qu'on prétend le critiquer. Mais pour autant l'articulation entre la Bible et l'éthique ne saurait être univoque, comme si à chaque situation correspondait un verset-slogan unique et sans appel, et comme si le lecteur-interprète (au sens où un musicien interprète une partition) n'était pas responsable de son interprétation toujours singulière. Ainsi n'est-on pas obligé d'adopter une position dogmatique dans laquelle, sous un calvinisme dévoyé, on saurait ce qu'est l'éthique chrétienne, ni d'adopter la position inverse, sous un luthéranisme dévoyé, qui prétendrait que l'Evangile est sans effet éthique.

Dans une étude sur le récit de la Passion, Ricœur rompt aussi avec la tradition d'un Grand Récit, où la Bible entière ne serait qu'une Histoire du Salut sinon une Théologie de l'Histoire qui donnerait à chacun sa place et résoudrait tous les problèmes. L'originalité de Paul Ricœur est de montrer qu'il existe une grande diversité de genres bibliques (récits, lois, fables, psaumes, prophéties, proverbes, dialogues, liturgies, lettres, etc.), dont chacun d'eux développe un rapport spécifique au temps: l'antériorité de la " torah " qui est toujours déjà là s'oppose au temps brisé de l'irruption prophétique, et à l'éternelle quotidienneté de la sagesse. Chacun d'eux déploie une manière spécifique de camper les personnages mais aussi les lecteurs, dans leur rapport au prochain, à Dieu, au monde. Entre l'extrême singularisation dans l'interprétation de la Loi pratiquée par Jésus, pour qu'elle soit juste avec chacun, et cette sorte de cosmos représenté dans l'Apocalypse et d'où tout individu a disparu, le sujet n'a pas la même place. Ainsi il n'y a pas que la morale explicitement édictée qui compte: il y a aussi la distribution des rôles que l'intrigue narrative met en scène, et aussi ce que le texte fait faire pragmatiquement au lecteur, et sur lequel Calvin a tellement insisté notamment dans sa lecture des paraboles. Le sujet moral est en quelque sorte engendré par ses lectures, et reçoit d'elles (et de la pluralité des positions pronominales: tantôt " je ", tantôt " tu ", tantôt " nous ", tantôt " il ", " eux, " on ") une identité plus subtile et plus large. On découvre alors dans les textes bibliques une grande diversité de postures éthiques, qui vont des plus directement normatives jusqu'aux plus poétiques, voire amorales (c'est à dire où la morale n'est plus du tout le problème).

Or Ricœur estime, du point de vue de l'éthique philosophique, qu'il ne faut pas réduire l'éthique à la norme morale. D'abord parce que le texte ne parle pas directement à la volonté d'agir, mais indirectement à l'imagination, qui propose une autre manière de sentir et d'agir, d'habiter le monde, et qui nous y dispose. Ensuite parce qu'on peut distinguer: 1) ce qui est estimé " bon " et qu'il appelle la " visée éthique ", la promesse partagée d'une vie accomplie, la confiance aux vertus, aux désirs et aux finalités qui animent notre agir; 2) ce qui s'impose comme obligatoire et " juste ", et qu'il appelle les " normes morales ", le recours aux règles qui limitent le mal que nous pouvons nous faire les uns aux autres; 3) ce qui est " sage ", simplement, praticable dans une situation complexe et difficile où les impératifs moraux semblent contradictoires, et c'est ce que Ricœur appelle la " sagesse pratique ". Cette pluralité des angles d'attaque correspond à la diversité des manières d'entrer dans l'expérience éthique et de la communiquer, à la diversité des langages susceptibles de retenir notre responsabilité, d'augmenter notre perception du malheur et notre aptitude au bonheur. On pourrait développer ce bref éloge d'un certain pluralisme éthique, où chaque posture comporte ses points forts et ses faiblesses, sinon ses effets pervers.

Ces trois parties de l'éthique philosophique développée par Ricœur dans Soi-même comme un autre (visée éthique, norme morale, sagesse pratique) me semblent pouvoir être mises en correspondance, discrètement mais résolument, avec quelques-uns des plus importants genres littéraires qui traversent la Bible. Au centre, la " norme morale " correspond à cet axe de la justice caractéristique de la grande tradition deutéronomique, et qui met en avant les prescriptions de la Torah, qui exposent les différences fondatrices (de sexe, de génération, du pur et de l'impur, etc.) et les formes de réciprocité qu'elles organisent et qui sont diverses formules pour ne pas faire à autrui ce qu'on ne voudrait pas qu'il nous fasse. Remarquons que la Loi y est racontée, rattachée à des circonstances (Sinaï) et à une tradition, rapportée en quelque sorte en l'absence du Législateur, et qu'inversement le récit fondateur comporte une dimension morale de fidélité à la parole donnée, et de répartition des rôles dans un scénario constitutif des identités.

L'axe de la Loi et de la norme morale est soumis à un double débordement. D'une part, rompant avec cette tradition normative, et cette sédimentation de commentaires, de controverses et de fables rabbiniques sur le juste, les figures prophétiques font voir un présent plus réel que celui de l'idéologie dominante, l'imminence du terrible, et rouvrent les promesses écrasées et oubliées. Elles rappellent ainsi les espérances premières, l'horizon d'attentes, la " visée éthique " plus originaire que toutes les règles et tous les contrats. Elles racontent aussi, mais autrement: elles ne cherchent plus à légitimer ce qui s'est passé ou ce qui est le cas. Elles montrent la possibilité d'un autre présent. D'autre part, face à l'énigme insoluble de l'excès du mal pour une logique de l'équivalence (dont la Loi est la " mesure d'or "), la sagesse délaisse ce qui est grand, bon et juste, pour s'attacher à tout ce qui est " petit ", qui se sait petit devant la mort, et pour relever les moindres plaintes. Ses narrations sont des petites fables de la vie quotidienne, ou de la quotidienneté de la création du monde. A chaque jour suffisant sa peine, la sagesse proprement immémoriale ne méprise pas les petits arrangements du savoir-vivre, et développe ce sens du présent qui caractérise la sollicitude de la charité ou d'un amour pur qui n'attend plus rien. Ou bien elle se retourne vers la Création dans l'attitude de la louange et la gratitude que " cela soit ".


C'est ce mélange entre un pôle de prescriptions plus ou moins argumentées et discutées (Abraham discutant avec Dieu pour voir à partir de combien de " Justes " Sodome peut être sauvée), un pôle narratif, qui raconte et refigure sans cesse le présent de diverses manières, et un pôle poétique où les psaumes de plainte ou de louange sont tressés avec les chants de l'amour, c'est ce mélange littéraire qui offre à notre existence éthique la diversité des registres sur laquelle elle peut s'exprimer et se former. Quant à Jésus, reprenant à son compte et comme adoptant tour à tour des styles de traditionalité venus de cultures aussi multiples, des postures et des formes de langage et de vie aussi diverses, il semble en les mêlant à un point inouï les avoir portées chacune à ébullition, à incandescence, jusqu'à les bouleverser. Jusqu'à en être crucifié. Nous savons que nous n'irons pas jusque là. Mais cette passion pour vivre en même temps toutes les postures de l'éthique, dans la tension même entre elles, me semblent encore caractériser la démarche de Ricœur, et je crois que nous avons beaucoup à en apprendre.

Olivier Abel

Paru dans Le Christianisme au XXème siècle n°698 du 25 juillet 1999

 

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