Repenser la théologie
[ ... ] Il faut redire, pour
commencer, que l'histoire du christianisme ne fut pas la catastrophe
que d'aucuns veulent nous décrire. LÉglise fut
porteuse du meilleur comme du pire. Certes, elle a contribué
à mettre en place une utilisation de l'angoisse, qu'elle
a parfois nourrie pour en récupérer l'usufruit. La
peur de l'enfer, la peur des fins de millénaires en fournirent
les occasions. Jadis, il était peut-être possible d'agir
ainsi avec la plus entière bonne foi. Il n'en est plus ainsi.
D'aucuns ont récupéré cet ancien schéma,
sans hériter pour autant des mythologies qui lui étaient
associées. Nous sommes alors passés de l'ère
de la naïveté à celle du cynisme.
Devant une telle évolution, il nous revient de repenser
la théologie, loin des présupposés sur lesquels
elle fut fondée. Sans renoncer en quoi que ce soit à
la foi et à l'évangile, il est temps de prendre nos
distances à l'égard des formes culturelles dont disposaient
les premiers chrétiens.
Comment en finir avec la terreur ? Voici quelques pistes à
explorer :
Il nous faudrait penser le mal hors de l'horizon de la menace,
apprendre à l'aborder lucidement sans verser aussitôt
dans le moralisme. Le christianisme n'a pas pour vocation de produire
de la culpabilité, de faire vivre les hommes dans l'esclavage
de la dialectique du péché et de la punition.
Simultanément, il faudrait définitivement rompre
avec l'hypothèse d'un dieu qui récompenserait l'action
morale, mettant en place cette fois la dialectique des bonnes oeuvres
et de la gratification. Une telle exhortation n'a rien de nouveau
: elle revient à rappeler la nécessité de prendre
au sérieux la grâce. Le rôle de Dieu n'est pas
de punir ou de récompenser. Dieu, même si cela me déconcerte
et m'émerveille, nous accepte tels que nous sommes.
Deuxième piste. Nous avons su nous débarrasser des
mythologies accompagnant le mai personnifié. Pourquoi resterions-nous
rivés à celles qui accompagnèrent notre façon
de dire le Christ ? Je veux bien qu'on souhaite maintenir la divinité
du logos et la pleine humanité de Jésus de Nazareth.
Mais pourquoi télescoper les deux au nom d'une obscure histoire
de double nature ? Cela ne conduit-il pas à imaginer un monstre
hybride, qui n'a plus rien ni d'humain ni de divin ? Je veux bien
qu'on affirme que l'esprit de Dieu accompagna
Jésus de Nazareth dès sa rencontre avec Jean le
Baptiste. Pourquoi en déduire un quelconque savoir quant
à son essence ou à sa substance, alors même
que nous n'en saurons jamais rien ?
Nous ne voulons plus d'une mystique du châtiment. Résistons
plus encore à la mystique de la rétribution. Nous
ne voulons plus de la mythologie qui servit à dire le mai
en terrorisant les foules. Cessons de plaquer sur le Maître
de l'évangile des catégories aussi erronées
que celles qui permirent de parler de Satan.
Troisièmement, lorsque nous saurons dire avec force que
l'Evangile nous permet de vivre d?ns un monde qui n'est plus celui
de la terreur, lorsque nous ne croirons plus que la loi nous accuse,
lorsque nous parlerons de la foi en renouant avec la simplicité
de l'existence, alors quelque chose aura bougé.
Nous n'aurons probablement pas appris à vivre sans nos
peurs. Lhumain en nous doit demeurer l'humain. Notre rôle
n'est en aucun cas d'abolir l'humanité, mais bien de l'accomplir.
Mais si nous arrivons à vivre sans projeter sur Dieu nos
angoisses, si nous parvenons à retrouver en Jésus
de Nazareth le visage de lAmi, alors la peur sera pour nous
la marque de quelque objet précieux dont nous serions dépositaires.
Nos peurs seront transfigurées à l'image de celle
des femmes devant tombeau vide. Nous aurons toujours à faire
acte de courage. Mais notre courage n'ira jamais dans le sens de
la crispation ou du rejet de l'autre. Il sera le signe d'une réconciliation
avec nous-mêmes, d'une réconciliation avec l'autre,
d'une réconciliation avec Dieu.
Quand les disciples le virent marcher sur la mer,
ils furent troublés, et dirent :
C'est un fantôme ! Et, dans leur frayeur, ils poussèrent
des cris.
Jésus leur dit aussitôt :
Rassurez-vous, c'est moi
n'ayez pas peur ! (Matthieu 14, 26-27)
Extrait de Au-delà de lidentité,
de
Pierre-Yves Ruff,
Éditions Fischbacher, 1999.
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