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Protestantisme libéral
ou libéralisme protestant
Dans tout groupement humain,
il y a des tendances diverses voire opposées, les tensions
n'y sont pas obligatoirement vécues de façon harmonieuse.
Pour ma part, j'ai toujours pensé que la diversité
loin d'être une faiblesse C'est au contraire une richesse,
et que dans le domaine des idées, elle pouvait même
être un facteur de progrès. Pourquoi s'étonner
qu'il en soit ainsi au sein du protestantisme et qu'il y ait d'un
côté des " orthodoxes " et de l'autre des
" libéraux ". On ira jusqu'à utiliser le
langage politique pour parler d'une " droite " théologique
avec les orthodoxes bien sûr - l'étymologie fait loi
- car ce sont eux les conservateurs, les traditionnalistes, les
tenants de structures autoritaires en matière de foi, de
rites, d'action, l'unité et l'ordre étant plus important
que tout. Bien évidemment les " libéraux "
seront classés à gauche pour leur amour démesuré
de la liberté, et leur méfiance sir-on leur refus
des structures et des hiérarchies. D'un côté
nostalgie de l'absolu, de l'autre sens du relatif et du contingent
; d'un côté pérennité des formes, des
doctrines, des rites, de l'autre, volonté constante de réactualisation,
souci de modernité : presqu'une querelle des anciens et des
modernes.
Mais attention ! Les mots sont très souvent piégés
et entraînent des confusions regrettables. Il est intéressant
de noter qu'aux yeux du catholicisme romain, qui se veut la seule
orthodoxie valable, tous les protestants même " orthodoxes
" sont considérés comme " libéraux
" pour la simple raison qu'ils veulent la Bible comme seule
référence et autorité en matière de
foi et qu'ils rejettent celles du magistère ecclésiastique
tel qu'il s'exprime avec la papauté, garante de la tradition.
Le protestantisme serait donc libéral dans son essence et
l'on aurait ainsi une première approche de l'attitude et
de la sensibilité dites " libérales ", avec
sa répudiation de l'autoritarisme ecclésiastique et
par voie de conséquence des dogmes qu'il impose à
l'obéissance de la foi. On est alors très étonné
de voir les protestants " orthodoxes " reconnaître
les dogmes formulés par les grands conciles cuméniques
des premiers siècles. On appelle " dogme " une
doctrine sanctionnée par l'autorité compétente
comme conforme à la révélation divine et imposée
comme seule explication intellectuelle valable des mystères
de la foi. Pour le catholique, l'autorité compétente
est celle du pape infaillible, ce qui supprime toute discussion
possible. Pour le protestant orthodoxe, l'autorité de la
Bible se substituera à celle du pape, et pour éviter
aussi toute discussion, la Bible est décrétée
infaillible et identique à la Parole de Dieu. Les premiers
réformateurs et l'orthodoxie protestante après eux
ont accepté les dogmes non par obéissance à
l'Eglise, mais par obéissance à la Parole de Dieu.
Ils ont cru de bonne foi les enraciner dans la Bible. Les libéraux,
surtout ceux du XIXe siècle, grâce à une meilleure
-connaissance historique et à une exégèse des
textes bibliques conduite plus scientifiquement, ont contesté
cet enracinement dans la Bible. C'est encore plus évident
de nos jours, où les techniques d'investigation ont été
encore perfectionnées. Pour les libéraux, c'est le
principe même du dogme qui est contesté. Entre une
théologie biblique et une théologie dogmatique, il
y a un hiatus profond.
Les dogmes sont les produits de la tradition ecclésiastique,
nés à une certaine date de l'histoire, dans un environnement
culturel déterminé, vocabulaire et concepts philosophiques
compris, pour répondre à des problèmes précis
; ils ne sauraient demeurer figés et devraient pouvoir disparaître
ou se transformer à une autre période de l'histoire.
Ainsi par exemple du dogme de la " transsubstantiation ",
que les protestants ne reconnaissent pas, mais qui présentement
rend impossible l'intercommunion.
Le pape Jean XXIII, à l'ouverture du concile de Vatican II
souhaitant un " aggiornamento " de l'Eglise a déclaré
" Autre est la substance de la foi, autre sa formulation ".
Les libéraux souscrivent à une telle formule, qui
malheureusement jusqu'à maintenant ne semble pas avoir produit
ses fruits.
De quoi s'agit-il lorsqu'on parle du protestantisme libéral,
ignoré le plus souvent, encore trop méconnu ou dénigré
dans les milieux ecclésiastiques qu'ils soient catholiques
ou protestants. A la suite du pasteur A.-N. Bertrand, je préfère
parler du " libéralisme protestant ". Interrogé
sur ce sujet, il répondit: " Le premier (le protestantisme
libéral) désigne une certaine période de l'histoire
avec ses mérites et ses lacunes ". On la situe dans
la seconde moitié du XIX, siècle et au début
du XXe, on lui reproche subjectivisme et rationalisme excessifs.
On lui doit en exégèse l'introduction de la méthode
de critique historique et littéraire que personne aujourd'hui
ne conteste plus. Le catholicisme connût un mouvement semblable
avec le " modernisme " sanctionné et condamné
brutalement. " Le second, (le libéralisme protestant)
- continue A.-N., Bertrand, - désigne un principe permanent,
un esprit qui traverse toute l'histoire et qu'il importe de préserver
des offensives du dogmatisme et des particularismes étriqués.
" Les lettres de noblesse d'un tel libéralisme remontent
aux origines du christianisme. Tous les " excommuniés
" des grands conciles étaient déjà, sans
doute, des " libéraux ", ils n'avaient qu'un tort;
être minoritaires et avoir de la vérité religieuse
une autre conception que la majorité conciliaire. Aujourd'hui
comme hier, le souci de fidélité au message biblique
est le même dans les deux camps, mais il s'exprime autrement.
Une première constatation s'impose: il n'y a pas une orthodoxie,
mais des orthodoxies, et elles procèdent toutes par anathèmes.
La catholique romaine se surpasse en la matière; puis la
luthérienne, la calviniste, la barthienne, etc. néo-calviniste,
néo-barthienne. A mon avis, leur multiplicité même
les condamne toutes et démontre assez l'impossibilité
de parvenir à jamais à une orthodoxie, tout simplement
parce que toutes les formes existantes de la vie à tous les
niveaux s'opposent à l'univocité.
C'est pourquoi il n'y a pas un libéralisme, mais des libéralismes
théologiques. Le libéralisme étant un esprit
et une méthode n'aboutira jamais à une " orthodoxie
libérale ".
Mais il y a à cela une raison fondamentale qui tient à
la distance qui existera toujours entre le langage et la pensée,
le mot et l'idée. Le mot ne pourra jamais traduire adéquatement
ni parfaitement l'idée de façon définitive
et durable. On ne peut rien là contre. Le langage humain
ne pourra jamais traduire parfaitement les réalités
transcendantes du monde de Dieu dont nous n'aurons jamais ici-bas
la moindre expérience. Ce sera toujours une approche approximative
et une connaissance analogique. Elle n'en est pas moins indispensable.
Le langage est nécessaire à toute communication, les
doctrines aussi pour aider la réflexion et soutenir l'action,
mais acceptons qu'elles soient relatives, contingentes, imparfaites
et constamment réformables.
C'est pourquoi le libéralisme protestant ne croit ni à
la pérennité des rites, ni à l'immutabilité
des formules doctrinales et qu'il proclame avec les théologiens
Sabatier et Ménégoz la primauté et l'antériorité
de la foi sur les doctrines, la foi étant essentiellement
et d'abord confiance en Dieu, disponibilité de tout notre
être, - intelligence, volonté, cur, à
l'action de l'Esprit. Aux yeux du libéralisme théologique,
le christianisme n'est ni une doctrine, ni même une morale,
encore moins un ensemble de rites. Mais une Vie, celle qui émane
de Dieu et qui nous est communiquée en Jésus-Christ,
une vie spirituelle qui bien évidemment engendre une organisation,
un culte, une doctrine, sans rien privilégier.
On dira qu'il s'agit là d'un a-priori philosophique. Ce
n'est pas un a-priori, mais un choix délibéré
et conscient. Tout système de pensée comporte une
philosophie sous-jacente. Le catholicisme a choisi, avec saint Thomas
d'Aquin, le réalisme aristotélicien. Je préfère
Platon, saint Augustin et Pascal. En matière de connaissance
(la critériologie), je préfère l'agnosticisme
kantien et l'existentialisme, et tout cela me conduit à adopter
une morale de situation. Toutes ces options me semblent plus respectueuses
de la vérité. Mais c'est un choix personnel et je
ne dis pas qu'il soit le seul.
On constatera que la différence est grande entre orthodoxes
et libéraux déjà au niveau du langage et du
sens accordé aux mots. La différence se retrouve par
voie de conséquence au niveau de l'explicitation des vérités
de foi et de l'importance accordée aux doctrines ou aux dogmes.
Quand je dis " Dieu ", je crois en Lui, j'ai confiance
en sa " parole " et je m'efforce à la trouver dans
la Bible ; mais je ne sais ni qui Il est, ni ce qu'Il est, ni même
ce qu'Il dit vraiment au travers d'un texte biblique, car Dieu n'a
ni parlé, ni écrit au sens où nous entendons
et comprenons ces mots. Dieu est le seul grand mystère. Si
l'acte de foi est irrationnel, il ne saurait à aucun moment
ni d'aucune façon me faire admettre pour vrai quelque chose
d'absurde ou de déraisonnable. La raison n'est pas le seul
critère de vérité, mais elle est aussi don
de Dieu et ne saurait abdiquer tous ses droits légitimes.
Il est difficile de croire, mais je ne suis pas prêt à
croire n'importe quoi. Ainsi, je ne crois pas au dogme du péché
originel, conçu comme péché d'Adam, transmis
à toute sa descendance, et à la nécessité
du baptême pour en effacer les funestes conséquences
du rejet de l'alliance avec Dieu. Je ne crois pas davantage à
la nécessité du sacrifice expiatoire par la mort de
Jésus sur la croix, pour satisfaire la justice de Dieu bafouée
par le péché de l'homme.
Non seulement de telles doctrines me semblent incompréhensibles,
mais elles sont pour moi scandaleuses et immorales, en raison de
l'idée de Dieu qu'elles engendrent.
La vraie différence entre orthodoxes et libéraux
concerne une lecture et une compréhension différente
de la Bible qui procède de cette différence de compréhension
au niveau du langage, dont nous venons de parler. Ce fut la grande
révolution de l'exégèse protestante dite libérale
au XIXe siècle. Mais déjà au XVIlème
siècle, un oratorien, Richard Simon, avait ouvert la voie
avec son " Histoire critique du Vieux Testament " parue
en 1678 à Paris. C'est lui le père de la critique
moderne. Une " Histoire critique du texte du Nouveau Testament
" commence à paraître en 1689. Pourquoi, en effet,
les textes bibliques échapperaient-ils aux exigences de la
critique historique et littéraire ? Tout le monde sait aujourd'hui
que chaque forme littéraire est porteuse d'un type de vérité
: le mythe, la fable, la légende, le conte ne sont pas l'histoire
et ne se confondent pas avec elle; la poésie n'est pas la
prose : elles n'ont pas les mêmes règles ; ignorer
par ailleurs l'environnement culturel et la date de composition
d'un document est source d'erreur et d'incompréhension. L'important
d'un texte n'est pas ce qu'il dit ainsi les récits de miracles
- mais ce qu'il veut signifier, quand, pourquoi, à qui et
de la part de qui.
Le libéralisme théologique ne refuse pas l'inspiration
biblique, mais il ne croit pas à l'inspiration littérale
des textes. Il n'admet pas l'inerrance des textes bibliques. Ce
n'est pas vrai parce que c'est écrit, et tout ce qui est
écrit n'est pas obligatoirement parole de Dieu. On sait aujourd'hui
que le texte actuel est le résultat de multiples traditions
et documents différents qui se sont transformés au
cours des âges. Certains passages sont contradictoires; il
y a beaucoup de manuscrits différents qui comportent d'innombrables
variantes; il n'y a pas un texte, mais plusieurs textes; il n'y
a pas davantage un discours prophétique, mais des discours
prophétiques différents selon les époques,
les circonstances et les auditeurs ; il n'y a pas un évangile
mais quatre évangiles. Il n'y aura donc pas une théologie
biblique, mais plusieurs possibles.
Le libéralisme théologique l'admet et respecte ce
type de lecture plurielle. Cette méthode, loin d'aboutir
au scepticisme apporte bien au contraire un grand souffle libérateur.
On cesse de faire dire à Dieu ce qu'il n'a pas dit et ne
peut pas avoir dit parce qu'indigne de Lui.
Le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu d'amour, de pardon,
de miséricorde infinie. Il est Esprit, Vérité,
Vie.
La doctrine libérale est : " Evangile et Liberté
".
Pierre FATH
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