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Le glaive de la parole
Prédication de Paolo Ricca pour les 60 ans de « Réforme
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Matthieu 10, 34-39. « Ne croyez pas que
je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu
apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu mettre la division
entre l'homme et son père, entre la fille et sa mère,
entre la belle-fille et sa belle-mère; et l'homme aura
pour ennemis les gens de sa maison. Celui qui aime son père
ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, et celui
qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de
moi; celui qui ne prend pas sa croix, et ne me suit pas, n'est
pas digne de moi. Celui qui assurera sa vie la perdra, et celui
qui perdra sa vie à cause de moi lassurera ».
Quel texte, chers frères
et surs ! Un texte qui nous prend à contre poil, un
texte « rabat-joie » pourrions-nous dire, car nous y
trouvons les mots qui ne nous plaisent pas, les mots que nous naimons
pas entendre.
Jésus parle de « glaive », mais nous ne voulons
pas de glaives, ni matériels ni spirituels. Nous voulons
en faire des socs, comme nous le dit le prophète Esaïe
(2,4). Jésus parle de « séparation »,
mais nous ne voulons pas de séparations, il y en a déjà
tellement. Nous voulons unité, dialogue, compréhension,
nous voulons vivre en bonne harmonie avec tout le monde. Non, nous
navons pas besoin dune déchirure en plus. Jésus
nous dit même quil vient diviser nos familles, qui ont
déjà tellement de problèmes pour leur compte,
cest un miracle quelles tiennent le coup. Il ne manque
plus que Jésus vienne les diviser
Non, ce nest
pas de cela dont nous avons besoin.
Jésus prétend à plus
Mais ce nest pas tout : Jésus nous dit encore que
nous devons laimer plus que ceux que nous aimons le plus,
cest-à-dire que lamour pour lui doit être
plus grand que notre vie. Mais qui y parvient ? Qui en est à
même ? Nous avons de la peine à maintenir en vie notre
christianisme pâle et quelque peu anémique, à
garder une étincelle de foi et à ne pas oublier complètement
Dieu au milieu de mille soucis et tribulations de la vie. Mais ici
Jésus prétend à plus, à bien plus :
il ne suffit pas que nous lui fassions un peu de place, non, il
prétend à la première place. « Qui aime
son père ou sa mère plus que moi nest pas digne
de moi ».
Sil en est ainsi, je crains que bien peu de gens parmi nous
soient dignes de Jésus. Qui insiste dans son propos, et parle
de « croix », cest-à-dire de ce que nous
voudrions en tout cas éviter. Et de « perdre sa vie
pour lassurer », tandis que nous voudrions lassurer
sans la perdre. Voyez-vous, frères et surs, combien
ce texte nous est étranger, combien nous lui sommes étrangers,
combien il nous bouscule, combien il nous met mal à laise.
Mais alors pourquoi ce texte en ce jour de fête ? Cest
tout simplement à cause du nom du journal que nous fêtons,
soit parce quil existe, soit parce quil existe encore,
soit parce quil jouit (me dit-on) de bonne santé. Or
ce journal sappelle « Réforme ». Et «
Réforme », ce nest pas un nom quelconque. Cest
un nom de poids, choisi par une poignée de chrétiens,
sans doute pour cause, un nom chargé dhistoire, bien
plus : chargé de passion passion pour Dieu, pour lhomme
et pour lEvangile. Un nom que nous chérissons plus
que tout autre, aussi parce que cest le nom de notre église
Eglise Réformée de France et que cest
notre nom (nous nous nommons « réformés »).
1. Le glaive de Jésus
Un nom qui est à la fois un rappel et un appel, une décision,
comme la bien dit Karl Barth : « La Réforme en
tant que décision ». Et une tâche. Un nom que,
comme celui de « liberté », nous écrivons
volontiers dans le sillage de Paul Eluard, « sur nos cahiers
décoliers, sur nos pupitres et les arbres, sur le sable,
sur la neige ». Nous lécrivons et nous linscrivons
volontiers sur notre propre vie, car la Parole de Dieu disait
Calvin nest pas là pour chatouiller nos esprits
mais pour réformer nos vies.
Or, on ne peut prononcer ce mot de « Réforme »,
sans penser à la Réforme du XVIè siècle
dont nous sommes issus, nous qui sommes ici. Et on ne peut songer
à cet événement sans précédent
dans lhistoire de lEglise sans évoquer la déchirure
quelle a provoquée dans le corps de la chrétienté
occidentale. Et on en peut évoquer cette déchirure
sans la ramener à cette parole de Jésus que nous avons
choisie, ou qui nous a choisis, pour la prédication daujourdhui.
Or, il nest pas possible daborder tout ce texte dans
une seule prédication. Il en faudrait au moins deux : une
sur le glaive, cest-à-dire la séparation ; lautre
sur la croix, cest-à-dire sur perdre sa vie pour la
trouver. Aujourdhui, nous nous bornons à la première,
et nous larticulons en trois points : le glaive de Jésus
glaive qui blesse glaive qui guérit.
« Je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive
». Quel est le glaive de Jésus ? Ce nest pas
le glaive du guerrier. Jésus est désarmé, et
il ordonne à Pierre qui, lui, est armé, de remettre
lépée au fourreau, car « tous ceux qui
prennent lépée périront par lépée
» (Matthieu 26,52). Le glaive de Jésus nest pas
non plus le glaive de la justice, qui rend à chacun ce qui
lui est dû, qui récompense les bons, et châtie
les mauvais. Non, Jésus nest pas venu faire justice,
il est venu donner justice à ceux qui ne lont pas.
Il nest pas venu punir les pécheurs, mais les sauver.
Il nest pas venu les condamner, mais les justifier.
Le glaive de Jésus nest ni celui du guerrier ni celui
de la justice. Cest le glaive de la Parole. Jésus a
tout fait par la Parole, rien sans la Parole : par la Parole, il
a annoncé le Royaume, chassé les démons, guéri,
consolé, réprimandé, pardonné, ressuscité,
appelé hommes et femmes à le suivre. Tout par la Parole,
rien sans la Parole.
Quand Jésus dit « je suis venu apporter le glaive
», il veut dire « je suis venu placer le glaive de la
Parole de Dieu au cur du monde ». Etre réformés,
publier un journal qui sappelle « Réforme »
veut dire ceci : tout par la Parole, rien sans la Parole. Car la
Réformation dont nous sommes issus et dont le nom de notre
journal se fait lécho, « la Réformation,
dis-je, nous a tout enlevé, et ne nous a, cruellement, laissé
que la Bible », cest- à-dire la Parole.
Cette Parole-là, qui retentit dans la Bible, est toute
notre richesse, et notre pauvreté, car nous navons
rien dautre. Cette Parole-là, qui retentit dans la
Bible, est toute notre force, et notre faiblesse aussi, car nous
navons aucun autre appui. Cette Parole-là, qui retentit
dans la Bible, est toute notre sagesse, mais notre folie aussi,
car nous y puisons toute la connaissance de Dieu et de lhomme,
elle est une source inépuisable, qui nous désaltère,
tout en renouvelant chaque jour notre soif.
Tout par la Parole, rien sans la Parole : tel est le sens du glaive
de Jésus. Tel est son défi, le défi que Jésus
nous lance aujourdhui, que la Réforme au XVIème
siècle a relevé, que nous voulons relever nous aussi
comme Eglise chrétienne et comme journal « Réforme
».
2. Glaive qui blesse
Cette Parole, qui est le glaive de Jésus, est « plus
tranchante quaucun glaive à double tranchant. Elle
pénètre jusquà la division de lâme
et de lesprit
» (Hébreux 4,12). Un glaive,
ça coupe, ça blesse. Oh oui, comme il blesse ce glaive,
qui est la Parole de Dieu ! Comme Jacob, après avoir lutté
toute la nuit avec lange de Dieu, il boitait, il était
blessé. Nous aussi, qui avons écouté un jour
la Parole de Dieu, nous sommes blessés. Nous portons en nous
la blessure de Dieu. Heureux êtes-vous si vous portez en vous
la blessure de Dieu.
Un glaive, ça coupe, ça blesse, ça divise.
Là où la Parole retentit une division sopère.
Quest-ce quelle divise, la Parole de Dieu ? Non seulement
âme et esprit, mais aussi foi et superstition, certitude et
doute, amour et indifférence, espoir et désespoir.
Elle divise en nous le vieil homme, sceptique, agnostique, incrédule,
et lhomme nouveau, généreux, confiant, croyant.
Mais la Parole de Dieu ne divise pas seulement en nous, mais aussi
en dehors de nous. Elle divise ceux qui lécoutent et
ceux qui ne lécoutent pas ; elle divise ensuite ceux
qui lécoutent et la mettent en pratique et ceux qui
lécoutent et ne la mettent pas en pratique. Encore
divise-t-elle le bien du mal, la vérité du mensonge,
la réalité de lapparence, lauthenticité
de la comédie, la foi de lidolâtrie, lespérance
de lillusion.
Or, dans la vie de chaque jour, tout cela nest pas du tout
divisé, séparé, mais au contraire affreusement
mélangé. Tout est mêlé, cest très
difficile de distinguer le bien du mal, la vérité
du mensonge, la réalité de lapparence, Dieu
de lidole. Le diable se plait à tout mélanger,
cest sa spécialité. La Parole de Dieu, au contraire,
pénètre jusquà la division entre le bien
et le mal, et tout le reste. Au XVIè siècle, la Réforme
a réussi cette uvre tellement difficile et tellement
nécessaire de triage, de discernement et de distinction entre
la parole du pape et la parole de Dieu. Entre le rôle de la
foi et le rôle des uvres, entre la valeur de la tradition
et lautorité de lEcriture, entre la gratuité
de la grâce et la liberté du service.
Cette uvre de discernement, de distinction, de séparation,
cest le deuxième défi que Jésus nous
lance aujourdhui et que nous voulons relever comme Eglise
chrétienne et comme journal « Réforme »
: être une poignée dhommes et de femmes qui,
illuminés et guidés par la Parole de Dieu, aident
notre génération à connaître et reconnaître
la différence entre le bien et le mal, entre Dieu et lidole,
entre foi et superstition, entre vérité et mensonge,
etc. Cest peut-être aujourdhui le service le plus
utile que nous pouvons rendre à notre prochain, car le désarroi
est grand et la confusion règne partout.
3. Glaive qui guérit
Mais cette Parole qui coupe, qui blesse, qui sépare, qui
divise, cest aussi la Parole qui convoque, qui rassemble,
qui unifie. La division est nécessaire, car nous-mêmes
nous sommes doubles et il faut que le Christ sépare le vieil
homme de lhomme nouveau. Tout est mélangé en
nous et hors de nous et une purification est indispensable. Cest
là, au fond, le sens profond, biblique, de la division dont
parle notre texte : cest la purification, la sanctification.
La Parole nous est adressée pour nous sanctifier. «
Soyez saints car je suis saint », dit le Seigneur.
Mais la sanctification, elle, nest pas le dernier mot. Ce
dernier mot est la communion. « Quand jaurai été
élevé de la terre, jattirerai à moi tous
les hommes » (Jean 12,32). Il y a un temps pour diviser, et
un temps pour unir. La Parole divise, la Parole unit. Avant elle
divise, ensuite elle unit. Tel est alors le troisième défi
que Jésus nous lance aujourdhui et que nous voulons
relever comme Eglise chrétienne et comme journal «
Réforme » : être disciples et témoins
de cette Parole tranchante, sans lapprivoiser, sans la domestiquer,
sans la normaliser, sans laccommoder à notre médiocrité.
Ainsi quelle garde toute sa capacité de couper, de
blesser, de pénétrer, de séparer. Et en même
temps de savoir la vivre et la proposer comme parole de communion,
comme espace de rencontre, de dialogue et de partage. Le troisième
défi est que la Parole qui blesse soit aussi la Parole qui
guérit, que la Parole qui sanctifie soit celle qui ouvre
celles et ceux qui lécoutent à la communion
plus grande celle que Dieu offre, celle que Dieu est. Car
Dieu est communion.
Paolo Ricca
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