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Loffrande : la généreuse
présence de largent dans le culte
Le professeur Laurent Gagnebin a donné, au cours du
premier trimestre de cette année, une série de
trois cultes placés sous le signe de « LArgent
». Nous publions, ci-dessous, de larges extraits de la
dernière de ces prédications consacrée,
plus particulièrement, à loffrande. Les
lectures bibliques étaient les suivantes : Esaïe
58 (6 à 10), Marc 12 (41 à 42) et I Corinthiens
16 (1à 4). Cette prédication a été
faite à lOratoire le dimanche 19 mars 2006.
Voici donc la troisième
et dernière prédication consacrée au thème
de largent, celle de ce jour portant plus particulièrement
sur largent dans le culte, c'est-à-dire la collecte.
En 1990 a eu lieu dans une des huit Régions de lERF
une enquête au sujet du culte ; une des questions demandait
aux fidèles de hiérarchiser dans un ordre de préférence
la plupart des éléments du culte. La collecte, invariablement,
a été classée en dernier. Cela peut se comprendre
par rapport à certaines parties très importantes du
culte, mais cela est quand même un peu affligeant. Il y a
dailleurs de nombreux traités de liturgie, c'est-à-dire
des livres consacrés au culte tout entier, qui, pourtant,
ne mentionnent même pas cette offrande.
Il faut se réjouir dautant plus quà
lOratoire, la collecte soit véritablement un acte du
culte. Elle nest pas faite à la sortie du temple, un
peu à la sauvette, comme si cétait un acte marginal
; elle nest pas faite non plus pendant le chant dun
cantique, ce qui se pratique très souvent, comme si on pouvait
faire deux choses en même temps quand il sagit de la
quête. Un cantique nest-il pas à sa manière
une prière, une prière chantée ? Aurait-on
lidée de procéder à la collecte pendant
une prière ? Saint Augustin (354-430), parlant du culte,
nous dit que lon chantait un cantique pendant la collecte.
Il y a, on le voit, des erreurs séculaires
La collecte est aussi une liturgie
. Paul attache la plus grande importance à cette collecte
quil veut faire pour les pauvres de lEglise de Jérusalem.
Il en parle dans lEpître aux Romains, dans les deux
Lettres aux Corinthiens, dans lEpître aux Galates. Les
Actes des Apôtres viennent confirmer limportance quavait
pour lui cette offrande. En quelque sorte, Paul veut montrer par
ce geste son allégeance à cette communauté,
à la tête de laquelle se trouve dailleurs Jacques,
le frère de Jésus. Paul sest plus dune
fois, en effet, opposé à des responsables (Pierre,
par exemple) de communautés. Il veut aussi unir avec cette
collecte les Eglises judéo et pagano chrétiennes.
Il écrit alors : « Chaque premier jour de la semaine,
chacun de vous doit mettre à part chez lui largent
quil a pu économiser.» Ce texte est un peu énigmatique et il ne faut pas trop
vite y projeter notre actualité : la collecte du «
culte » dominical. Paul dit en effet «chacun chez lui
». En revanche, ce qui est clair, cest quil demande
que ce geste soit fait chaque premier jour de la semaine, c'est-à-dire
le dimanche. Cest la seule mention que Paul fait du dimanche
dans toutes ses épîtres. Cest donc la plus ancienne
du Nouveau Testament, puisque les épîtres de Paul ont
été écrites avant les évangiles. Mais
dans ces évangiles, les rares fois où il est fait
allusion au « dimanche », au « 1er jour de la
semaine », cest uniquement dans les textes de Pâques,
dans les textes de la Résurrection qui eut lieu, selon eux
le 1er jour de la semaine. Cest incontestable, par conséquent,
quen choisissant ce jour-là pour la collecte, Paul
rassemble dans un même geste une confession de foi, une donnée
spirituelle (la foi de Pâques) et un geste diaconal et matériel
(loffrande).
On peut ajouter à cela une autre indication assez surprenante.
Savez vous que le mot liturgie la liturgie désigne
lensemble du culte, ses différents éléments,
ses différent textes désigne dans le Nouveau
Testament le culte dIsraël et, une seule fois, dans les
Actes des Apôtres au chapitre 13 verset 2, le culte des chrétiens
? Le plus souvent, le mot « liturgie » est utilisé
pour indiquer des actes concrets, des actions diaconales en faveur
des autres et, par exemple, dans la 2ième lettre aux Corinthiens,
chapitre 9 versets 12 et 13, Paul parle de cette fameuse collecte
en lappelant une liturgie. Il parle de procéder à
une liturgie et non pas à une collecte, doù
lembarras des traducteurs qui, bien entendu, ne peuvent pas
traduire collecte par liturgie ; on ne se doute pas que derrière
le mot que nous lisons en français, il y a ce mot emblématique
de liturgie.
Jai consulté une douzaine de traductions, le mot
« liturgie » est rendu par « charge », «
libéralité », « assistance », «
distribution », « offrande », « uvre
de piété » et aussi par « collecte ».
Il semble que le mot le plus adapté pour traduire «
liturgie » soit celui de « service ». On parle,
en effet, pour le culte, dun service divin ; et on peut parler
de la collecte comme dun service humain. Nous sommes ainsi
renvoyés là avec ce mot liturgie à
cette vérité que jévoquais dans une précédente
prédication qui veut, selon Wilfred Monod, quon ne
puisse séparer, dans le christianisme, comme avec ce mot
de liturgie, comme avec lacte de la collecte, le christianisme
spirituel et le christianisme social.
Largent a sa place dans le culte
Le culte ne renvoie pas à une réalité évanescente,
exclusivement intérieure, individuelle, spirituelle. Il a
sa dimension concrète et sociale ; en cela il se veut le
reflet du christianisme tout entier, qui est à la fois la
religion de lEsprit Dieu est Esprit, dit lévangile
de Jean- et la religion de lAmour, de lincarnation
Dieu est amour, déclare la première épître
de Jean. On a parfois affirmé, et cela très justement,
que le christianisme, dune manière très originale,
est ainsi à la fois un matérialisme et un spiritualisme. Religion de lincarnation ! Par exemple, le pasteur et professeur
Maurice Carrez, faisait remarquer quil y a dinnombrables
mentions de repas dans les évangiles et très peu de
mentions de prières. Il y est question de nourriture, des
corps (corps fatigués, corps guéris), il y est question
de largent ; les sacrements eux-mêmes passent par la
matière la plus simple pour nous dire des vérités
hautement spirituelles : leau du baptême, le manger
et le boire pour le pain et le vin de la Cène, cest
là quelque chose de très significatif. Nous ne sommes
pas renvoyés à une sorte de mysticisme éthéré,
exsangue, à un idéalisme abstrait.
Largent est à sa place dans le culte. Il ny
est pas un corps étranger, il ne vient pas là comme
un cheveux sur la soupe ; il est, en effet, lexpression dune
vérité profonde, celle de la diaconie. Les Conseils
de lEntraide ou les diaconats de nos paroisses sont un rouage
central de la vie de nos Eglises ; ils nous renvoient à limportance
de lautre dans notre vie et dans notre culte. Il est tout
à fait légitime que ce soit les diacres, hommes ou
femmes, qui procèdent par conséquent à la collecte
dans le cadre de nos cultes.
Entre la collecte et la Cène
Jaimerais montrer maintenant le lien qui existe entre la
collecte et la Cène. Ce lien existe dès les origines
du culte chrétien. Il y avait, par exemple, dans la «
messe » un moment quon appelle « loffertoire
», cest celui où le prêtre prépare
en forme doblation le pain ou lhostie, et le vin avant
leur consécration. Cest un rite avec ses gestes et
ses paroles, et au moment de cet offertoire, avait lieu aussi une
collecte, une offrande sous forme de biens en nature, dargent,
dobjets précieux. On voulait unir ainsi loffrande
et la Cène. La Cène, on le sait, est une communion verticale qui va
de Dieu à lhomme et de lhomme à Dieu.
Mais il y a une autre communion, tout aussi importante, qui est
une communion horizontale. La Cène exprime, en effet, aussi
une communion entre les hommes par le partage dun repas, le
partage du pain ; cela est aussi une communion décisive.
Cest si vrai que les récits de la Cène dans
le Nouveau Testament sont introduits exactement de la même
manière que ceux de la multiplication des pains, qui dailleurs
est un des rares miracles que lon retrouve dans les quatre
évangiles.
A loccasion de la multiplication des pains, comme de la
Cène, on nous dit que Jésus prend, quil rend
grâce, quil rompt et quil distribue (donne). Chacune
de nos Cènes doit être par conséquent une «
multiplication des pains ». Et cest peut- être
parce quon a perdu un peu ce sens diaconal de la Cène,
que lévangile de Jean, au lieu de raconter la Cène
au moment du dernier repas de Jésus avec ses disciples, nous
raconte un autre événement : Jésus se met à
genoux devant ses disciples, comme un serviteur, comme un esclave
pour laver leurs pieds ; et ce récit est conclu par ces paroles
de Jésus : « Je vous donne un commandement nouveau,
aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »
Limportance de cette dimension horizontale de la Cène
est donc fondée bibliquement, fortement. Elle est fondée
dans lhistoire de lEglise avec lexemple de loffertoire
; elle nest pas une idée nouvelle pour faire droit
à une mode qui serait celle dun christianisme social.
Une fonction sacerdotale
Calvin, dans « Linstitution de la religion Chrétienne
», nous dit magnifiquement de la Cène quelle
est une exhortation. Elle doit, nous dit-il, « inciter et
enflammer à charité ». Il noue ainsi, dans sa
compréhension du sacrement, la dimension verticale et la
dimension horizontale, et écrit : « Jésus Christ
ne peut être aimé de nous, que nous ne laimions
en nos frères. » Il rappelle que Saint Augustin désignait
la Cène en lappelant le lien de la charité .
Doù la signification tout à fait essentielle
et hautement symbolique qui veut que, comme on le fait dailleurs
à lOratoire, on apporte le résultat de la collecte
sur la table de communion. Il ny a pas de raison de sen
étonner ; ce geste est parfaitement adapté à
la table qui est justement une table de communion et non pas un
autel sacré. Au cur du culte chrétien, ce souci
de lautre, qui unit la collecte et la Cène, est si
profondément inscrit que le repas du Seigneur naurait
plus aucun sens sil nétait cautionné,
au moins dans le secret de quelques curs, par cet amour et
sa dimension diaconale. Voyez-vous, jaimerais conclure cette prédication
en vous citant un texte que jai déjà eu loccasion
de mentionner, de Saint Jean Chrysostome, contemporain de Saint
Augustin. Parlant de la Cène, il dit que sur lautel
il y a le corps du Christ, mais que ce corps du Christ est aussi
présent dans chacun de nous et dans la personne de chacun
de nos frères et de chacune de nos surs ; il affirme
: « Qui pratique laumône, exerce une fonction
sacerdotale. » Chaque fois que nous pratiquons laumône,
nous sommes comme le prêtre à lautel. Cétait
en fait une parole extraordinaire parce quelle proclamait
à travers lamour du prochain un sacerdoce universel.
Et comme il voyait le corps du Christ dans chacun dentre nous,
il continuait, comme si chacun dentre nous était un
autel : « Cet autel-là, partout où il test
possible de le contempler, dans les rues et sur les places, et à
toute heure, tu peux y célébrer ta liturgie. »
Partage ton pain avec celui qui a faim
(Esaïe 58-7)
Si tu rassasies lappétit de lindigent, ta
lumière se lèvera
(Esaïe 58-10)
Il vint aussi une pauvre veuve et elle y mit deux petites pièces
(Marc 12-42)
Que chacun de vous, le premier jour de la semaine mette à
part ce quil pourra
(I Corinthiens 16-2)
Laurent Gagnebin
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le professeur Laurent Gagnebin
La "quêteuse", accessoire indispensable de loffrande
dominicale. (photo Oratoire du Louvre)
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