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Le Christ médecin
à travers les images :
l'aveugle de naissance
Dans la littérature antique,
la Lumière est le schème central de tous les récits
racontant l'accès de l'homme à l'intelligence de sa
condition véritable : illumination, révélation
qui trouent les ténèbres, déchirent la nuit
obscure de l'âme. Déjà Platon, dans sa célèbre
allégorie de la caverne brossait le tableau d'une humanité
qui, nativement tournée vers l'obscurité - l'ignorance
originelle- devait se convertir, se retourner vers la source de
toute lumière : le Bien, qui, chez lui, est l'un des noms
de Dieu. Cet enseignement se trouve radicalisé dans le récit
johannique de la guérison de l'aveugle de naissance (Jean
IX) Le thème des yeux de l'âme, particulièrement
parlant depuis Platon dans le Bassin méditerranéen,
se greffe sur celui de la guérison d'une cécité
physique, remanié ici dans un récit issu d'une autre
culture, d'autant plus que Jésus met en uvre l'avenir
espéré par Esaïe : " Alors s'ouvriront les
yeux des aveugles, s'ouvriront les oreilles des sourds ; alors le
boiteux sautera comme un cerf, et la langue du muet éclatera
de joie. Car des eaux jailliront dans le désert
Il y
aura là un chemin frayé, une route, qu'on appellera
la voie sainte
Les délivrés y marcheront
" Esaïe, 35, 5-9.
Le thème s'inscrit en effet dans l'activité plus générale
de guérison qui jalonne le parcours de Jésus qui se
dit Lumière, Vie, Résurrection, mais il a une caractéristique
tout à fait particulière, liée à la
nature même de la révélation, c'est-à-dire
de l'accès subit à l'intelligence du chemin à
emprunter pour vivre en vérité, pour sortir de l'égarement,
de la paralysie ou de la " mort ".
Dans le paléo-christianisme, ce récit d'accès
de l'homme à la lumière a été représenté
de façon régulière dans les bas reliefs, les
effigies ornant les sarcophages, les images liturgiques car il a
accompagné le sacrement du baptême que l'on nommait
aussi phôtismos (de phôs la lumière) ou, en latin,
illuminatio.(cf l'image ci-jointe, détail de sarcophage du
4ème siècle). Si l'iconographie occidentale ultérieure
l'a quelque peu négligé, on peut toutefois citer entre
autres le tableau de Nicolas Poussin (1594-1665) Les Aveugles de
Jéricho, un tableau de Le Sueur enfin, datant du XVIIème
siècle Le Christ guérissant l'aveugle-né, conservé
à Postdam au château de Sans-Souci.
Le Christ médecin est le sauveur des âmes. C'est l'humanité
en général, l'humanité blessée, l'humanité
aveuglée par le péché, qui est séparation
d'avec Dieu, que Jésus, Christus medicus, le Christ médecin,
vient guérir.
"La Vie s'est manifestée dans la chair, disait Augustin
d'Hippone, pour que ce qui n'était visible qu'au coeur puisse
être rendu visible aux yeux, afin de guérir les coeurs.
Car on ne voit le Verbe que par le coeur, tandis qu'on voit la chair
par les yeux. Dans la chair, nous avons pu voir le Verbe, qui s'est
rendu de la sorte visible aux yeux pour guérir en nous le
coeur, qui seul peut le reconnaître"...
Christ médecin, qui rend la vue aux aveugles qui vont à
Siloé (c'est-à-dire à Jésus lui-même
puisque Siloé signifie l'Envoyé), donne tout son sens
à l'exclamation : "heureux celui qui croit sans avoir
vu !". La foi de l'aveugle le sauve, et ses yeux finissent
par voir celui que son coeur avait reconnu. Cela lui est d'autant
plus accessible que sa cécité physique le faisait
plonger sans son intériorité, dans l'attitude par
excellence de la prière. On l'imagine facilement reconnaître
avec le psaume de David : Seigneur, je suis pauvre et mendiant (38
(v.18) . Alors que, dans le chapitre de Jean, ceux qui , dans la
rigidité de leur fidélité revendiquée
à la Loi de leurs pères humains, apparaissent comme
affligés de cécité. Certains d'entre eux entrouvrent
ainsi les yeux lorsqu'ils demandent : " Serions-nous aveugles,
nous aussi ? "
On trouve une imagerie inverse avec le mythe d'dipe.
dipe est une figure pathétique car sa volonté
consciente est bonne. Mais, ses actes objectifs - parricide et inceste-
mettent en scène ce que l'homme doit refouler pour accéder
à la clairvoyance relative à l'ordre humain comme
tel. Son iniquité procède même de sa bonne volonté
: il a fui le Palais paternel pour tenir en échec l'oracle,
et, au moment même où il fuit son destin, il le rencontre
sur son chemin. Ce destin étrange et tragique ne cesse de
mettre en scène l'hybridation de l'homme et de l'animal dont
l'homme ne vient à bout, en sublimant l'animal en lui, que
par l'effort de la prise de conscience. Mais il ne suffit pas de
précipiter le Sphinx du haut des rochers de Thèbes
pour le vaincre, car l'énigme est intérieure. La justice
requiert cette psychanalyse des ténèbres psychiques
originelles. La sagesse oraculaire savait cela fort bien : l'injonction
gravée au fronton du temple d'Apollon à Delphes révélait
à l'homme son manque originel, cette inscience de soi qu'avaient
mise en scène les Tragiques. C'est elle qui inaugura, à
travers l'expérience exemplaire et fondatrice de Socrate,
la démarche de l'homme à la recherche de lui-même,
la connaissance de soi comme esprit étant peu à peu
perçue comme sa vocation spécifique. L'aspect nocturne
de l'oracle se double d'une clairvoyance étrange car il situe
le véritable savoir dans la conscience de l'ignorance qui,
seule, peut déclencher la recherche d'une vérité
invisible parce qu'intérieure, l'intelligence de soi pouvant
seule conduire l'homme à l'accomplissement de lui-même,
le guérir de sa cécité première. C'est
ainsi que la nuit tragique d'dipe, expiant, les yeux ensanglantés,
une faute inconsciente, commence à trouver, avec Socrate,
une ébauche de solution, car si celui-ci maintient que nul
n'est méchant volontairement, il montre le chemin qui mène
à la guérison de l'ignorance fatale. C'est ainsi que
la pensée grecque finit par formuler que la fin, pour l'homme,
est à la fois éthique et contemplative orientée
vers le but de faire échec aux forces du Destin.
La supériorité de l'Evangile est d'annoncer aux
hommes un message de libération qui délie des liens
de la mort spirituelle. Il le fait en figures. Le problème
est que l'homme moderne n'est plus guère sensible au langage
des symboles. Ne lui faut-il pas une révélation sur
la révélation ? Ne faut-il pas lever non plus le voile
et l'opacité du sensible qui enténèbre et engourdit
le sens de l'énergie fondatrice, mais le voile même
des mots, faire irradier intelligemment l'énergie spirituelle
qui dort au creux du verbe des hommes ? faire parler le Verbe divin
?
France Farago
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