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La pensée religieuse
d'Athanase Coquerel
L'influence de la Faculté
de théologie de Genève où il a fait ses études
a préservé Athanase Coquerel fils, des positions extrêmes
présentées par une orthodoxie ombrageuse ou par une
hypercritique desséchante. Ses guides ont été
les précurseurs du libéralisme évangélique
qui, en ne confondant pas la foi avec ses expressions successives,
ont réussi à la dégager de toute solidarité
compromettante avec des formules surannées.
L'influence de Samuel Vincent, l'auteur des remarquables "
Vues sur le Protestantisme " de 1829, est déterminante.
Celle de Vinet, dont l'argumentation lui paraît parfois un
peu trop subtile et dont les tendances séparatistes l'inquiètent,
est moins forte, même s'il admire ses travaux littéraires.
La piété élevée de Channing, le célèbre
pasteur de Boston, son inébranlable confiance dans la liberté
spirituelle, son horreur instinctive de tout dogme imposé
rejoignent les préoccupations d'A. Coquerel qui aime répéter
les nobles paroles de son maître: " A mesure que je vieillis,
je souffre des chaînes qui pèsent sur l'esprit humain
et de l'art par lequel des hommes subjuguent la foule. Je me méfie
de plus en plus des influences de secte et je m'efforce de rendre
plus intimes les rapports qui me lient à l'Eglise universelle
et à tous les hommes excellents et saints. Je me trouve éloigné
de tous, excepté de ceux qui cherchent et qui prient pour
une lumière plus éclatante, pour une manifestation
plus pure et plus effective de la vérité ".
Si A. Coquerel ne redoute pas le mot rationalisme et s'il a des
amis qui s'en réclament, il s'est toujours défendu
de l'être. Il écrit dans le Lien en 1854 : " Appeler
rationnalisme toute hétérodoxie (pensée qui
s'écarte de la doctrine reçue) est une tactique déloyale...
Ce n'est pas pour la froide et fragile raison, c'est pour l'âme
toute entière, toute imprégnée de la foi et
de la vie chrétienne, c'est pour chaque chrétien dans
toute la plénitude de sa spontanéité que nous
réclamons la liberté complète dont nul n'a
moyen de nous déshériter. L'âme prouve sa liberté
en marchant à Dieu et à Christ, altérée,
volontairement subjuguée par la vérité et la
sainteté, l'amour et la grâce. On peut bien à
force d'être superficiel prendre pour des rapports entre notre
pensée et le rationalisme quelques résultats communs
et négatifs de la critique, mais est-il possible de ne pas
voir une différence radicale entre une école qui affirme,
qui part du fond chrétien, des entrailles même de la
réalité chrétienne, et un système de
dénigrement et de rétrécissement dont le point
de départ était l'hostilité à toute
révélation, à toute action divine ". Il
n'est donc pas équitable de considérer Coquerel comme
rationaliste. Il n'entend cependant ni approuver, ni condamner ceux
de ses amis qui appartiennent à cette tendance.
A. Coquerel écrit, toujours dans le Lien : " S'il s'agit
de refaire l'Evangile d'après des idées préconçues,
tout l'Evangile croule et il ne reste que des systèmes quelconques
de philosophie bâtis avec ses débris. Mais la conscience,
le bien et le mal, le sentiment religieux, l'amour et la crainte
de Dieu ne sont pas des idées préconçues :
ce sont des faits préexistants, ce sont des forces créées
par Dieu lui-même. Quand une autorité quelconque voudra
m'imposer un dogme que mon sentiment chrétien trouvera impie,
ma conscience immoral, mon amour pour Dieu blasphématoire,
je le repousserai de toutes mes forces au nom de Dieu lui-même
et de son esprit qui parle en moi par ses voix divines, je ne le
croirai pas, je ne pourrai pas le croire et si, par respect pour
l'autorité de l'Eglise, de la confession de foi ou de la
lettre de la Bible, je me persuade que je le crois, je commets très
certainement, non le péché irrémissible, mais
un péché contre le Saint-Esprit ". On reprochera
à A. Coquerel d'avoir pris la défense de Renan après
sa publication de la " Vie de Jésus ".
Coquerel déclare qu'il neéprouve aucune peur devant
la vérité. Il remercie Renan d'avoir réveillé
l'intérêt pour les questions religieuses. Les résultats
de la recherche n'effrayent pas ceux qui savent que la vérité
finira bien par prévaloir. Renan a fait lire à des
milliers de personnes, absorbées par le cours de la Bourse
ou par les derniers résultats des sciences, des livres où
il traite de l'homme, de Dieu, de la Bible, de la pensée
chrétienne ou de l'art religieux. Coquerel lui exprime publiquement
sa reconnaissance tout en prenant ses distances par rapport à
lui sur des points essentiels tels que la foi en l'immortalité
de l'âme ou la personnalité de Dieu.
La conversion de la France au protestantisme est l'un des rêves
de Coquerel. Il ne demande son accomplissement qu'à la libre
persuation et non à des mesures gouvernementales, comme le
préconisent Edgar Quinet et Eugène Sue. Ce n'est pas
assez d'être des penseurs libres pour être protestants,
encore faut-il être réellement et librement chrétiens.
En toute circonstance A. Coquerel donne l'exemple de la modération,
de la courtoisie et du respect de l'interlocuteur.
S'agit-il de la Bible: Coquerel en nie l'inspiration matérielle,
mais il y voit la source la plus pure de la foi. Il revendique pour
lui le titre de " fils du Livre, legs sublime de mes ancêtres
". S'agit-il de Jésus-Christ: s'il n'admet pas sa divinité
métaphysique, il vénère en Lui le chef et le
maître de l'humanité, le Sauveur, le Fils de Dieu.
Voici ce qu'il écrit en 1861 : " La paternité
de Jospeh n'est ni une question édifiante, ni une de celles
qui entraînent après elle de vastes conséquences.
Personne, à notre avis, ne sera meilleur chrétien
pour y croire, ni moins chrétien pour en douter. Il serait
temps qu'on en vînt à comprendre que ces sortes de
questions, mi-partie de dogme et d'histoire, ne sont pas l'essence
du christianisme et importent infiniment moins que la piété
et la foi, la repentance et l'amour ". A. Coquerel pense qu'on
a trop parlé du christianisme et pas assez du Christ. On
a trop parlé du Christ et pas assez de Jésus. Les
mystiques se sont perdus dans les nuages d'un amour vague, d'une
piété d'imagination, d'une foi qui surexcite l'exaltation
au lieu de diriger la vie.
Jésus au ciel a pris plus d'importance que Jésus
venu dans notre monde pour nous sauver. La réflexion des
théologiens a davantage porté sur la coéternité
et la consubstantialité du Fils que sur sa charité
et sa sainteté. " Etudions Jésus, dit Coquerel,
mais pour l'aimer, pour l'imiter mieux, étudions non le Christ
nuageux des mystiques, non pas le Christ sèchement et audacieusement
mesuré, analysé et défini par les dogmatistes,
étudions le Christ des Evangiles, le Christ historique, le
Christ vivant, aimant, enseignant, plein de force et de douceur,
de grandeur et d'humilité, qui souffre, qui meurt, qui ressuscite
et sauve. "
Il donne en 1852 une définition du protestantisme : "
En principe, c'est la négation de tout intermédiaire
autre que Jésus-Christ lui-même entre Dieu et chaque
âme d'homme... Dire que la Réforme a rendu l'Ecriture
au peuple, c'est dire qu'elle lui a rendu Jésus-Christ. Si
elle a rendu au peuple la coupe de la sainte Cène, c'est
pour que tous boivent le vin qu'elle contient. La coupe sans, le
vin serait inutile; la Bible sans Jésus serait vide, ne serait
rien ". Partisan du port de la robe pastorale, il s'oppose
au pasteur de Pressensé, de la chapelle Taitbout qui est
aujourd'hui la salle centrale de l'Armée du Salut. Il rappelle
qu'il est exagéré de nier tout ce qui est forme dans
le culte. La robe pastorale n'a rien de sacerdotal. Elle a été
portée par les pasteurs du désert. " Les symboles
sont les armes des idées et il ne faut pas renoncer aux symboles
simples et peu nombreux de nos convictions parce que d'autres idées
qui, du reste sont fausses, étouffent sous des symboles accumulés.
" Le sens de la mesure et de l'harmonie que confère
l'Evangile apparaît dans sa conception de la sainte Cène
: " Peutêtre ' si vous aviez vu cette table ouverte à
tous, dit-il dans le Lien en s'adressant à Renan, sans billet
de confession ni autorisation ecclésiastique, et là
tous les rangs unis et confondus, le riche et le pauvre, la femme
du monde, le serviteur, le mendiant réunis au nom de Jésus,
autour de la même table, buvant à la même coupe,
dans une égalité spirituelle parfaite et dans une
même aspiration vers Dieu et vers la sainteté, peut-être
eussiez-vous compris que Jésus a été sage de
ne pas pousser jusqu'au radicalisme extrême son éloignement
pour les cérémonies. "
Si l'on a conservé le souvenir d'A. Coquerel fils en tant
qu'historien grâce à plusieurs de ses ouvrages, notamment
le Précis de l'Histoire de l'Eglise Réformée
de Paris au XVIe siècle ou l'Histoire de Calas, on a parfois
oublié son rôle éminent comme critique d'art.
Coquerel a visité pendant ses vacances les principaux musées
d'Europe. Dans sa conférence sur Rembrandt, il aborde le
problème de l'art plastique : " Rien ne repose mieux
du contact avec les hommes et avec les livres, à la longue
fatigants, que la sereine et riche variété des tableaux,
des gravures, des sculptures ; en les contemplant, l'imagination
se nourrit, le goût s'élève et s'épure,
souvent même le coeur s'émeut, sans que l'esprit ait
la peine de créer ou de suivre des idées enchaînées
l'une à l'autre. Les oeuvres des arts plastiques, comme celles
de la nature, produisent directement sur le spectateur une impression
d'ensemble., instantanée et vive, que la réflexion
peut compléter, modifier, analyser mais qui repose la pensée
du travail successif exigé par la lecture ou par la composition
littéraire. Un livre n'agit sur nous que page par page; toute
lecture est une analyse. La vue d'un paysage, d'une façade,
d'un groupe, fait sur l'âme un effet unique; ce qu'elle perçoit
d'abord est une synthèse. Ainsi agissent en sens inverse
le beau cherché dans l'art ou la nature et le beau dans les
lettres. " Les grands peintres sont pour lui " des vases
d'honneur dans lesquels Dieu à allumé le feu sacré
du génie ". La Transfiguration de Raphaël est,
dit-il, " sublime comme conception et comme exécution,
le comble de l'art et son dernier mot ".
L'auteur des." Solennités religieuses ", recueil
de cantiques destinés au culte, sait que ses jours sont comptés.
L'un de ses derniers textes sera un cantique publié dans
la Renaissance en avril 1875. Il atteste avec une pathétique
éloquence la ferveur de ses convictions chrétiennes
et son inébranlable confiance en Dieu :
Il m'appelle; et j'entends en cette paix profonde,
Où les
bruits de la terre expirent désormais,
La voix qui du néant
a fait sortir le monde
Plus créatrice que jamais
Grand Dieu, je me repens, j'aime, je crois, j'espère,
J'implore
le pardon qu'annonca Jésus-Christ;
Et comme mon Sauveur,
entre tes mains, ô Père Je remets sans peur mon esprit.
Philippe VASSAUX
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