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Jules-Emile Roberty
(1856-1925)
La famille Roberti est originaire
d'Italie, comme la famille Oltramare. Elle est venue se fixer en
Suisse, à l'époque des Guelfes et des Gibelins. De
telles origines ne peuvent que prédisposer les Roberti à
adopter la Réforme au XVIe siècle. Le grand-père
de Jules-Emile Roberty fait prévaloir l'orthographe en y.
Après avoir entrepris le tour de France selon les usages
du compagnonnage, il s'installe comme ébéniste à
Bordeaux où il épouse en 1823 Suzanne Charton, Ils
forment un couple épris de culture et d'une grande rigueur
huguenote. Un de leurs quatre enfants, Emile Roberty, devient Pasteur
à Mantes-la-Jolie, puis à Rouen. Il épouse
une jeune écossaise, Georgina Gordon Paul, fille d'un banquier
et petite-fille de l'amiral Dans-Dundas.
Le fils aîné Jules, Emile, Victor, Louis Roberty naît
à Rouen le 29 octobre 1856. Après des études
secondaires au lycée Corneille, de Rouen, il s'inscrit en
1875 à la Faculté de Théologie de Genève,
plus ouverte que celle de Montauban. Condisciple de Jean Réville,
il restera toujours son ami. Très influencé par le
professeur Auguste Bouvier, dont il fera la biographie, J.E. Roberty
manifeste une indiscutable prédilection pour les disciplines
systématiques à l'image de son maître, auteur
d'une remarquable Dogmatique chrétienne. Sa thèse
de baccalauréat - l'équivalent de l'actuel mémoire
de maîtrise porte audacieusement sur la " Notion de la
dogmatique ". Consacré par son père au vieux
temple St Eloi de Rouen - il y joue volontiers de l'orgue J.E. Roberty
est nommé pasteur à Mantes-la-Jolie, dans la paroisse
où son père a débuté trente ans auparavant.
En 1882, l'Eglise Réformée de Lyon l'appelle à
succéder au pasteur Buisson. Il reste dans cette Eglise pendant
neuf ans et épouse, en 1884, la fille d'un de ses collègues,
Jeanne Illaire. Son ministère à Lyon s'oriente dans
deux directions : les milieux intellectuels qui apprécient
beaucoup sa prédication, le faubourg ouvrier de Vaise où
il prêche un christianisme pratique qui annonce le christianisme
social. On peut trouver un écho de cette préoccupation
dans une brochure datée de 1886 où il raconte ses
impressions à la suite d'une campagne d'évangélisation
à Rive-de-Gier ou il collabore avec le célèbre
Comte, de St Etienne, le seul pasteur, sans doute, à avoir
une statue sur une place publique dans la ville où il a exercé
son ministère. Tout en même temps J.E. Roberty fait
uvre de critique littéraire et artistique en collaborant
à la Vie chrétienne et au Journal de Genève.
La mort inattendue du pasteur et professeur de théologie
Ariste Viguié, le 26 novembre 1890, va le conduire à
accepter sa succession à l'Oratoire du Louvre, alors qu'il
est âgé d'à peine 35 ans. L'audience d'A. Viguié
a été très grande en tant que chef de file
du libéralisme français, apprécié de
tous, même de ses adversaires théologiques. Venu à
Paris en qualité de pasteur auxiliaire, A. Viguié,
bien qu'ancien président du Consistoire de Nîmes, reste
a ce poste jusqu'à sa mort. J.E. Roberty est appelé
à l'unanimité par le conseil presbytéral de
l'Oratoire et confirmé, en tant que pasteur auxiliaire, par
l'ombrageux et très orthodoxe Consistoire de Paris le 20
mars 1891. Cette ratification est faite par quatorze oui, huit non
et six bulletins nuls. En tant que pasteur auxiliaire, JE. Roberty
a à peu près les mêmes prérogatives que
ses deux collègues titulaires, mais il est rétribué
par le conseil presbytéral, et non par l'Etat, et reçoit
un traitement nettement inférieur à celui des autres
pasteurs.
Un étrange conflit entre le conseil presbytéral de
l'Oratoire et le Consistoire de Paris persistera de décembre
1892 à juin 1902. Le Consistoire repousse à neuf reprises
la titularisation de J.E. Roberty. La première fois par 16
voix contre 10, la neuvième et dernière fois par 14
voix contre 12. Ce désaveu officiel s'accompagne de considérations
sur la grande valeur de J.E. Roberty dont la personne est hors de
cause. L'étroitesse doctrinale l'a malheureusement emporté
sur toute autre raison. Rares sont les pasteurs comme A. Duchemin,
de Neuilly, qui osent ouvrir leur chaire au " libéral
" suspect. L'une des conséquences de cette attitude
est que les protestants parisiens ont afflué à l'Oratoire
pour entendre J.E. Roberty.
L'ultime et heureux dénouement de cette regrettable affaire
sera en 1925 l'élection de J.E. Roberty à la présidence
du Consistoire de Paris qui n'avait pas voulu le titulariser. Mais
les hommes et les temps ont changé. Le regret du bon vieux
temps n'est pas toujours fondé ! En janvier 1911 le conseil
presbytéral de l'Oratoire invite les Eglises libérales
et les Eglises modérées à s'unir après
la fameuse rencontre de Jarnac de 1906. Le Synode national, réuni
à l'Oratoire du 25 au 28 juin 1912, répondra à
ce vu.
J.E. Roberty a joué un rôle éminent dans la
vie du protestantisme français. Président de la Société
biblique de Paris, vice-président du comité général
des Eglises réformées, vice-président de la
Fédération protestante de France, il a toujours manifesté
un esprit de mesure et de conciliation; disons même de réconciliation
après les rudes épreuves provoquées dans nos
Eglises par un esprit d'exclusivisme qui s'est beaucoup atténué
par la suite. Ancien aumônier du 14èmecorps d'Armée
pendant son séjour à Lyon, avec le pasteur Jules Aeschimann,
il a manifesté un patriotisme ardent et clairvoyant pendant
la Première Guerre mondiale. L'influence de sa parole a été
considérable. C'est à ce titre qu'il a reçu
la croix de chevalier de la Légion d'honneur en 1920.
Un numéro du Signal a décrit ainsi J.E. Roberty en
1904: " Très mince, très frêle, pas grand,
les cheveux encore blonds et déjà grisonnants, mi-longs
avec une petite ondulation sur les tempes, la barbe en pointe, légère,
sérieuse, des yeux illuminant toute la physionomie; quand
les paupières se soulèvent, on dirait une fenêtre
qui s'ouvre sur des perspectives inconnues ; que sera-t-il ce regard
? Tantôt froid et dur, coupant comme une lame d'acier; tantôt
doux, caressant, indulgent, profond, toujours compréhensif...
Que dire de ses merveilleuses qualités d'invention et de
diction, de sa voix aux sonorités de cloche, de bronze ou
d'or, de son geste sobre, plein de grâce et d'ampleur, de
sa prédication vraiment évangélique sous son
intellectualisme, traduisant, révélant d'une manière
si parfaite, avec une si noble simplicité, une si pure grandeur,
la personne du Maître, du Christ, dont il est l'admirateur
enthousiaste et le fervent disciple. "
JE. Roberty, en raison de ses grands dons, a été
le pasteur qu'il fallait dans des heures difficiles. Ceux qui ont
eu le privilège de le connaître témoignent qu'il
montait en chaire ou entretenait une conversation familière
avec une égale aisance. Homme de la parole plus encore que
de l'écrit, il a laissé plusieurs recueils de sermons.
Les plus connus sont peut-être ses " deux sermons à
mes catéchumènes " en 1898 et " Pour le
respect, l'ordre et la liberté " en 1925. Le premier
recueil est suivi d'une critique de l'Esquisse d'une Philosophie
de la Religion d'Auguste Sabatier. Il partage l'ensemble des vues
théologiques de son ami, mais il lui reproche de ne pas faire
une distinction suffisante entre " la Révélation
par la nature " et " par les grandes consciences "
d'une part, et " la Révélation immédiate
en moi-même " d'autre part. La haute qualité littéraire
de ce qui est sorti de sa plume ne peut que nous frapper par sa
clarté et son classicisme presque parnassien. Son style limpide
et concis avec, chemin faisant, quelques images esquissées
adroitement, explique l'influence qu'il a exercée en dehors
de nos milieux protestants. Ses relations suivies avec Charles Péguy
sont à l'origine d'une brochure publiée en 1916 Ses
anciens catéchumènes aimaient à se regrouper
autour de lui dans une association amicale. Il s'est inspiré
à la fois du Manuel d'Albert Réville dont on peut
d'autant plus souligner la valeur pédagogique et la modernité
qu'il remonte à 1864. Il s'est, semble-t-il, beaucoup servi
des Etapes de la Foi et il a recommandé chaudement l'Initiation
Protestante de Freddy Dürrleman, un livre de base qui n'a guère
vieilli. Avec beaucoup de pénétration pastorale et
de finesse d'esprit, il a aimé recevoir ses visiteurs dans
son bureau, d'abord rue des Pyramides, puis rue de Lille, enfin
rue de l'Oratoire.
Une belle photographie représente LE. Roberty, Wilfred Monod
et John Viénot. Les trois pasteurs de l'Oratoire sont en
robe. Il s'agit, a dit J.E. Roberty, " de fixer une époque
heureuse de la vie de l'Eglise ". Comment mieux exprimer l'entente
fraternelle entre trois serviteurs de Dieu qui, malgré les
décennies qui passent, ont exercé un influence, qui
modèle toujours l'Eglise de l'Oratoire ?
J.E. Roberty a eu beaucoup d'amis. Il a présidé les
obsèques d'Auguste Sabatier, de Decoppet, d'Albert et Jean
Réville, du baron Fernand de Schikler, du doyen Jalabert,
du sculpteur Bartholdi, de Charles Wagner. Celui-ci a été
un ami très proche. Physiquement très différents,
il y a entre eux une sorte de secrète complicité.
Le dimanche 22 novembre 1925, LE. Roberty se trouve dans son cabinet
de travail, au quatrième étage de la maison presbytérale,
il s'apprête à partir pour présider le culte
au Foyer de l'Arne, il sent ses forces l'abandonner et il succombe
le regard ouvert à la lumière éternelle, dans
une douceur et un émerveillement ineffables. Le nom donné
à la bibliothèque de la maison presbytérale
et la belle plaque qui est apposée au mur rappelle le souvenir
de cet homme qui n'a jamais voulu être autre que pasteur.
Son message à l'image de toute sa vie nous exhorte à
prendre courage au service du Christ.
Philippe VASSAUX
Quelques témoignages au sujet de Roberty
Il apportait dans la conduite des affaires ecclésiastiques
cette exquise humilité de l'esprit et du cur qui donnait
tant de charme à sa personne.
A.N. BERTRAND
De cette nature d'élite se dégageaient comme des
effluves de jeunesse vivante et vibrante qui exerçait sur
tous les fidèles, un attrait irrésistible... La diversité
de ses dons s'harmonisait si bien dans l'unité de son ministère
: une intelligence ayant de larges ouvertures sur tous les domaines
de la pensée, un cur chaud et ardent pour les belles
causes, une parole à la fois nerveuse, intensive, un talent
délicat et distingué, toujours original et sûr
de lui-même.
G. BLOT
pasteur à Lyon
Il chantait véritablement la vie immortelle et tels étaient
les accents de cette voix incomparable qu'elle obligeait, pour ainsi
dire, les fronts courbés à se relever et que la légitime
douleur des affligés se diluait progressivement, comme fondent
les brumes, pour laisser toute la place aux lumineux horizons du
monde supérieur.
Wautier d'AYGALLIERS
Il a montré aux plus aveugles qu'une piété
vivante peut s'allier à la plus complète liberté
d'esprit; il a prouvé qu'une Eglise peut se construire et
réunir des âmes diverses, des esprits différents
aux pieds de Jésus-Christ, non pas une Eglise nouvelle, mais
la vieille et glorieuse Eglise Réformée de France
enfin émancipée des servitudes du dehors et du dedans.
John VIENOT
Pendant trente-cinq années, président du haut de
la même chaire, il sut grouper, puis maintenir, un vaste auditoire,
attentif et reconnaissant, qui le suivait avec fidélité
à travers les riches et lumineux paysages d'une prédication
sans cesse renouvelée.
MONOD
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