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Lélection,
une responsabilité grave et magnifique
Dans une année délections
le mot candidat est sur toutes les lèvres. Il vient du latin
candidus : candide, qui indique non un trait de caractère
mais la toge blanche revêtue par celui qui briguait une fonction
dans la cité romaine. Quant au mot élection, son étymologie
nous ramène à lidée de choix, du latin
classique eligere : choisir, en passant par le latin populaire ex
legere : cueillir, choisir, rassembler, qui a également donné
notre beau verbe lire, cest-à-dire assembler les lettres
par les yeux, ou encore cueillir, recevoir comme étant écrit.
Dès le XIIème siècle apparaît pour élire
le sens de nommer quelquun à une fonction ou à
une dignité par voix de suffrage, lequel tardera encore quelques
siècles à devenir universel et à nous permettre
de nous rendre régulièrement aux urnes.
Lacte inaugural : un appel et une libération
Cette idée de choix, puis de responsabilité, se
retrouve quand nous interrogeons la Bible sur le thème de
lélection. Le verbe hébreu bahar, qui signifie
initialement jeter un regard rapide indique aussi bien le choix
au sens usuel du terme que le choix que Dieu porte sur un peuple.
Choix libre, qui peut sembler arbitraire car il ne sappuie
sur aucun critère de qualité ou de mérite,
mais sur la seule inclination de Dieu pour ce peuple. En revanche,
cet arbitraire disparaît avec les termes forts dalliance,
de promesse et de commandements, et donc les thèmes de lengagement,
de la responsabilité et de la fidélité. Le
peuple qui a été appelé par le choix libre
et souverain de Dieu se trouve tenu de lui répondre et de
choisir entre son Dieu et les idoles. Mais ce choix survient au terme dun processus en deux temps
: celui de la marche et celui de lécoute. Lacte
inaugural de lélection est un appel, si lon songe
à Abraham, et une libération si lon considère
Moïse et le peuple hébreu en Egypte. Dans les deux cas
il y a promesse davenir et direction pour les pas : vers cette
terre là-bas !
Une responsabilité à léchelle de lhistoire
Aussi lélection représente une joie mais aussi
une épreuve. Joie dêtre choisi, dêtre
aimé, dêtre libéré
Epreuve
de la singularité, du vis-à-vis avec lInconnu,
de la liberté. Certaines scènes des Hébreux
au désert en témoignent : « Neut-il pas
mieux valu rester en Egypte, où il y avait toit et nourriture
? » (Exode 16,1-3) La réponse de Dieu à ce trop humain regret est donnée
au Sinaï, avec le sceau de lélection que représente
la Torah : enseignement afin de vivre dans la liberté et
la fidélité. Cette Torah comporte à la fois
un récit qui raconte et une loi qui prescrit ou interdit.
Lun ne va pas sans lautre, sous peine de mettre en péril
le fondement de lalliance. Cest le récit transmis
de génération en génération qui porte
la mémoire et le sens de lélection, cest-à-dire
qui permet cette marche du passé vers lavenir.
Cest la loi, sous forme de commandements positifs et négatifs,
sous formes de règles rituelles et religieuses mais également
éthiques, qui atteste ici et maintenant la réalité
de lélection. Il sagit pour le peuple élu
de témoigner concrètement à son Dieu quil
est son Dieu en vivant selon ses préceptes. Mais ce témoignage
na de sens quau milieu et au regard des nations, dans
la lignée dun Abraham père de multitude , annoncé
comme bénédiction pour toutes les familles de la terre.
Dans le cadre du monothéisme, lélection ne peut
se réduire au privilège donnant accès à
une terre promise, elle implique une responsabilité à
léchelle de lhistoire et du monde.
La relecture chrétienne de lélection
Cest tout lenjeu posé par le prophétisme
biblique, qui trouvera son double accomplissement dans le Talmud
pour les juifs et dans lEvangile pour les chrétiens.
Les prophètes, dans le contexte tragique de leffondrement
politique dIsraël et de Juda sous les assauts des grandes
puissances voisines, verront en même temps la responsabilité
historique dIsraël, châtié pour ses fautes,
et lespérance de Dieu à son égard : quil
soit « lumière des nations. » Alors le peuple
élu, toujours confirmé dans sa vocation, aura pour
tâche de signifier, par son attachement à la Torah
et son travail infini dinterprétation, la fidélité
inconditionnelle de Dieu, à travers exils, retour, malheurs,
espérance, persécutions, renaissance
Mais la relecture chrétienne de lélection
se fera autour de Jésus de Nazareth, considéré
comme le Serviteur, lElu de Dieu, le Messie. Il élira
à son tour ses disciples par un choix libre et souverain,
et cette élection trouvera son accomplissement dans leur
foi personnelle en lui, leur communion fraternelle, et leur obéissance
à son enseignement damour. Mais sy ajoute la
mission de proclamation dans le monde, car lEglise, nouvelle
assemblée élue de Dieu, développe un nouveau
rapport à luniversalité, en rupture avec le
judaïsme. Tout homme est appelé à croire en Dieu
et en son Messie. Lélection nest plus liée
à lappartenance à un peuple, mais à la
foi personnelle confessée et mise en actes.
Le sens fondamental de lélection divine
Si lon considère aujourdhui la double élection
biblique, il est permis dy voir une complémentarité
essentielle. Le peuple juif est voué pour léternité
à la tâche de transmettre et dinterpréter
la Torah, aussi bien par létude que par la pratique.
Les chrétiens, libérés pour leur part de cette
tâche, sont consacrés pour léternité
à la proclamation et au témoignage en actes du royaume
de Dieu. Mais le travail de lun comme celui des autres se
fait au bénéfice de lhumanité toute entière.
Il sagit dans les deux cas dun devoir être pour
les autres, pour le monde, « lumière des nations ». Cest le sens fondamental de lélection divine
: le peuple qui consacre sa vie et son histoire à transmettre
et interpréter la Torah veille sur les significations données
par Dieu à la vie de sa création ; lEglise appelée
à proclamer et témoigner de la réalité
du royaume de Dieu maintient vivante lespérance dun
amour vainqueur des forces de mort. Sans ces significations, sans
cette espérance, nul ne peut vivre une vie véritablement
humaine.
Il faut donc retenir de cette exploration biblique quil
ny a pas délection sans choix libre et souverain
de Dieu, et sans la réponse humaine qui consiste à
accomplir en conscience sa vocation, ce pour quoi lon est
fait et élu. Lélection nest pas un privilège,
mais une responsabilité grave et magnifique. Etre choisi,
appelé, nommé, exige que lon réponde
par un oui ou par un non, et que lon en réponde par
la conscience et la fidélité. Mais cela ne peut se
faire quavec laide que Dieu nous apporte chaque jour
de notre vie.
Que vaut la théologie en politique ?
Maintenant ce qui vaut en théologie vaut-il en politique
? Si la liberté est au rendez-vous des élections citoyennes
comme de lélection divine, larbitraire ne lest
pas, car on élit un candidat à lélection,
en fonction de son programme, de son positionnement politique, et
de ses capacités supposées. Pourtant lexpérience
montre que les élus diffèrent sensiblement, une fois
arrivés au pouvoir, des candidats quils ont été.
Et là se retrouve finalement la double thématique
biblique de la fidélité et de la responsabilité. Les électeurs dhier ne veillent-ils pas jalousement
à laccomplissement des promesses électorales
par leur élus ? Cette vigilance est saine, tant quils
ne se transforment pas en procurateurs impitoyables
Le Grand
Electeur Biblique, par son exemple, suggére une autre attitude
: il offre à ses élus, de manière concrète
et incessante, son aide et sa sollicitude, il résiste à
toutes les déceptions sans rompre son alliance mais en exigeant
toujours vérité, justice, miséricorde
Enfin
il ne désespère jamais de lavenir !
Florence Taubmann
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La mémoire et le sens de lélection
(photo Gérard Deulin) |