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Édith Wéber :
de la musique avant toute chose
On peine un peu à l'admettre,
mais comment ne pas le croire puisqu'elle l'avoue elle-même,
Edith Weber a 80 ans. Le monde de la musicologie et celui du protestantisme
ont uni leurs énergies pour célébrer avec éclat
son anniversaire. Un concert d'hommage lui était dédié
par la Neue Bachgesellschaft et la Heinrich SchUtzgesellschaft,
le 31 octobre dernier à l'Église des Billettes.
Dresser un portrait d'Edith Weber en si peu de lignes tient de
la gageure. Faut-il insister sur sa brillante carrière universitaire,
sur sa personnalité énergique et décoiffante,
sur les multiples activités qu'elle entretient ? Paroissienne
de l'Oratoire depuis 1958, elle se complait dans la discrétion
et si nous avons souvent l'occasion de la croiser, nous ne connaissons
guère son itinéraire.
Brillant parcours universitaire
Il convient avant tout de préciser que la musique est au
cour de ses actions et de ses pensées. Une vie consacrée
avec délectation et bonheur à l'étude de la
musique et de I'hymnologie, à la connaissance et à
la transmission de son histoire, cela ressemble de près à
un appel et à une vocation.
Edith Weber est née le 31 octobre 1925 à Strasbourg
dans une famille venue de Suisse au XVIIe siècle, et a suivi
une instruction religieuse réformée et libérale.
L'Alsace ayant connu de près les vicissitudes de la seconde
guerre mondiale, c'est en langue allemande qu'elle a terminé
ses études secondaires. Ce qui lui parut d'abord un pensum
se révéla par la suite un avantage, car comment être
musicologue si l'on n'est pas germanophone ? C'est à Strasbourg
qu'elle entreprit des études supérieures d'anglais
et de musicologie, tout en étudiant le piano, l'histoire
de la musique, l'harmonie au Conservatoire municipal.
Elle rejoint Paris en 1958 et devient l'assistante du professeur
Jacques Chailley, à la Sorbonne. Il n'existait alors qu'un
seul poste d'assistant en musicologie en France. Elle gravit tout
naturellement les degrés de la carrière universitaire
; depuis 1994, elle est Professeur émérite. Il n'allait
pas encore de soi pour une femme de trouver sa place dans les hautes
sphères de l'Université. Edith Weber joua le jeu et
s'amuse encore beaucoup du tailleur austère et du chemisier
qu'elle arborait pour faire concurrence, dans le style sérieux,
au costume trois pièces et aux cravates de ses collègues
masculins.
Les signes extérieurs ont une certaine importance... mais
ne sont heureusement pas la seule caution de la valeur personnelle
et pédagogique, qui lui a valu deux Prix, dont le Prix Pays
Protestants ; elle est membre titulaire du Comité de la SHPF,
correspondant de la Internationale Arbeitsgemeinschaft für
Liturgik und Hymnologie, sans oublier le Comité Protestant
des Amitiés Françaises à l'Étranger,
et sa direction de la Section française de la Société
Internationale Heinrich Schutz...
Une retraite bien remplie
Évoquer les travaux universitaires d'Edith Weber revient
à remplir un volume de bibliographie. Ses thèses sur
la musique mesurée à l'antique ou le théâtre
humaniste et scolaire rhénan, ses livres sur la musique protestante
en langue allemande (Chorals) et française (Psaumes), sur
la méthodologie de la recherche musicologique, la recherche
hymnologique, ou l'influence du Concile de Trente permettent de
cerner plus précisément son champ de recherche. Ce
n'est pas pour autant qu'elle néglige la musique du Moyen
Age ou celle du XVIIIe siècle, ainsi qu'en attestent ses
articles et les colloques auxquels elle ne cesse de participer,
les nombreuses critiques musicales et les émissions de radio
qu'elle anime, toujours axées sur la musique et son rayonnement.
Edith Weber, censée avoir pris sa retraite mais débordant
à la fois d'idées et d'une passion toujours intacte,
multiplie les interventions et les activités, dirige des
thèses, publie des actes de colloques, organise des Séminaires
pour son Groupe de Recherche Patrimoine musical (14501750), des
voyages avec l'Université Inter âges. Rien ne la rebute
ni ne la laisse indifférente. Elle m'accueille dans son bureau,
oasis de tranquillité aux murs tapissés de livres
dont les dos ont cet aspect sympathique et patiné des ouvrages
lus et relus, aimés, connus par cour
Un patrimoine musical à préserver
L'ordinateur ronronne sur son bureau, le thé infuse, et
Edith me dévoile avec volubilité les mystères
de la musicologie et de l'hymnologie. Je suis ignare en la matière,
la tâche n'est pas facile, mais avec cette simplicité
de l'intelligence réelle, elle ne s'offusque pas de mes questions
primaires et y répond très clairement. Elle insiste
avec force sur l'urgence de préserver le patrimoine musical
réformé et luthérien, en particulier dans les
temples et lors des cultes, c'est à cette tâche qu'elle
s'est consacrée au cours de sa carrière, et c'est
une question qui la préoccupe encore.
L'évolution de la musicologie lui paraît parfois
énigmatique. Pourquoi en effet faire de l'histoire et de
la paléographie des matières secondaires ? Il faut
admettre que l'on peut difficilement envisager l'étude d'une
oeuvre sans tenir compte de ses contextes et sans faire retour aux
sources archivistiques. La modernisation abusive des textes ou leur
traduction maladroite l'agacent au plus haut point. Elle met l'accent
sur l'indispensable adéquation entre a prosodie verbale et
la prosodie musicale.
Si l'on modernise à juste titre l'orthographe, il n'est
guère utile de changer les mots, sauf s'ils paraissent désuets
au XXIe siècle. Les amendements apportés aux interprétations
par les "baroqueux" lui semblent souvent salutaires et,
me révèle-telle, si jamais plus on ne pourra écouter
la musique de la manière dont elle était entendue
au XVIe ou au XVIIe siècle, simplement parce que notre perception
n'est plus la même, on entrevoit tout de même mieux
l'intention de Bach et SchUtz avec un petit effectif qu'avec 200
choristes et un orchestre philharmonique complet. Cela pose une
question profonde liée aux critères d'interprétation
historique.
Une femme remarquable
Ce serait peindre à moitié ce portrait que d'omettre
l'humour et la gaieté qui animent Edith. Elle me fait hurler
de rire en me racontant le cursus d'un étudiant très
atypique, en l'occurrence un clochard qui, bel et bien muni de sa
carte d'étudiant, souhaitait -à 65 ans- passer un
certificat de musicologie afin de terminer sa licence de philosophie.
Il obtint son certificat grâce en partie à son analyse
fulgurante, en style happening, de "Pélléas et
Mélisande", et en partie à son fumet caractéristique,
cauchemar de la bibliothécaire de la Sorbonne.
La rencontrer et l'écouter est un bonheur pour l'esprit.
Son érudition lui permet de passer sans transition de l'identification
du style des miniatures du Moyen Age à la fabrication du
parchemin, de la méthodologie en hymnologie à la littérature,
toujours avec la vivacité d'une adolescente et la rigueur
des chercheurs de haut niveau.
La claire conscience de sa valeur intellectuelle exacte la tient
à l'écart à la fois de la fausse modestie et
du culte de la personnalité. Oserai-je dire, pour ajouter
un cadre au portrait, qu'Edith Weber est une Femme remarquable?
Anne Biroleau-Lemagny
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Édit Wéber à l'Oratoire depuis
1958
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