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Les candidats aux élections présidentielle dorigine protestante
dans
lhistoire
Il ny a eu quun seul protestant à
lElysée :
Gaston Doumergue en 1924
Conférence de Patrick Cabanel à lOratoire
Dans la série des Soirées
du Mardi consacrées aux « Grandes questions du siècle
», lhistorien Patrick CABANEL, Professeur dhistoire
contemporaine à Toulouse, a traité le 13 février
dernier à lOratoire dun thème tout à
fait dactualité puisquil sagissait dévoquer
« les candidats dorigine protestante aux élections
présidentielles ». Pour tous ceux qui nont pas
pu participer à cette intéressante soirée,
nous publions ci-dessous lessentiel des propos tenus par lintervenant
et recueillis par nos soins. Lorsque nous avons choisi ce thème de conférence,
nous ne savions pas que Lionel Jospin serait peut-être candidat
; sil lavait été, on se serait trouvé
au cur de lactualité. José Bové
nest pas protestant mais cest un disciple de Jacques
Ellul. En revanche, il y a un autre candidat qui est dauthentique
origine protestante. Ce nest pas Ségolène Royal,
mais Nicolas Sarkozy. Soyons précis, jai parlé
dorigine. Car en ce qui le concerne, il affiche son catholicisme.
Son grand-père maternel était juif, son grand-père
paternel calviniste, pur et dur, comme létait souvent
la petite aristocratie hongroise depuis le XVIème siècle.
Et depuis lancienne Autriche-Hongrie la classe dirigeante
hongroise est calviniste. Dailleurs, le régent Horty,
« dictateur de la Hongrie » dans lentre-deux guerres,
était calviniste lui aussi.
Je me souviens dune formule dun Lionel Jospin amer,
disant : « Je suis un austère qui se marre. »
Il savait quil était prisonnier de cette image négative
que la France a gardée des protestants. A ce propos, Jean
Bauberot a écrit un beau livre, « La haine oubliée
» », qui rappelle quil y avait une très
forte haine des protestants sous la troisième République.
Et il reste un certain anti-protestantisme, je dirais sympathique,
dans ce que mes collègues de lUniversité appellent
les ethnotypes.
Des candidats difficiles à définir
Le protestant est par définition quelquun de sombre,
coincé, austère, radin, cultivé, bourgeois,
libéral
Par ailleurs Jospin a fini par dire : «
Je suis un protestant athée ». Cest très
fort comme formule. Tous les protestants ne sont pas athées,
mais beaucoup de protestants ont cessé de pratiquer. Beaucoup
de protestants aussi ont gardé, après avoir perdu
la foi et la pratique, lidentité huguenote. Jutilise
à dessein ce vieux mot, cette façon de savoir que
lon est différent. Je dis souvent que les protestants sont quelquefois plus nombreux
dans les musées et les librairies que dans les temples. Et
si lon va au Musée du Désert pour lAssemblée
annuelle on voit que cest à la fois un lieu de culte,
un musée et une salle de conférence à ciel
ouvert. Cest dire quil nest pas facile de définir
ce que sont les protestants et moins encore les candidats protestants
à lélection présidentielle.
La France, toute laïque quelle est, na jamais
élu que des catholiques, sauf une fois sous la IIIème
République : cétait Gaston Doumergue en 1924.
Il est resté sept ans à lElysée et il
a laissé des souvenirs mitigés à la gauche
de lépoque et aux historiens. Mais à part lui,
il ny a jamais eu de chef dEtat protestant en France.
Ne me citez pas Henri IV de Navarre. Jai longtemps cru que
sa conversion au catholicisme nétait que de façade,
mais lorsque jai été amené, en 1998,
à retravailler sur lEdit de Nantes, jai acquis
la conviction que cétait une conversion profonde et
bien réelle. A lépoque, il était impossible
de distinguer entre conversion politique et conversion religieuse.
Une fonction pour catholiques
La monarchie française était profondément
chrétienne ; il y avait donc une sorte de contrat entre Dieu
et le roi. Le jour du sacre, celui-ci avait le pouvoir thaumaturge
de guérir par le toucher. Le dernier à lavoir
fait est Charles X. En devenant roi, Henri IV a donc épousé
une fonction qui était indissolublement politique et religieuse,
et je crois quil est resté définitivement catholique. Plus tard, le Concordat de 1802, signé par le Pape et Bonaparte,
affirmera encore que le Premier Consul de la République devait
faire état de son appartenance à la religion catholique.
Si lon venait a avoir un Premier Consul qui ne soit pas catholique,
il aurait fallu renégocier le Concordat. Cest dire
quil était impossible jusquen 1905 de devenir
Président de la République si lon nétait
pas catholique. Toutefois, le protestant Charles de Freycinet fut
plusieurs fois Président du Conseil. Il reste aujourdhui
connu pour avoir doté la France dun plan de voies de
chemin de fer qui a valu à un certain nombre de sous-préfectures
dêtre reliées à la capitale.
Trois destins politiques incomplets
Mais venons-en au temps de la Vème République pour
comprendre les difficultés des candidats protestants, en
particulier Lionel Jospin et Michel Rocard, et pour comparer leur
échec avec ce qui a été la réussite
des candidats dune autre culture qui se sont coulés
avec beaucoup plus daisance et de naturel dans le moule dune
élection présidentielle. Les protestants, en particulier
les deux candidats précédemment cités, qui
me paraissent de grands hommes politiques, ont eu une carrière
marquée par un échec sans rémission, suivie
dune traversée du désert dont ils ne sont pas
sortis. Leur destin restera à jamais incomplet, car ils ont
échoué au seuil de la plus haute marche. Un troisième
homme politique assez remarquable a connu le même sort : cest
André Philip, qui était cévenol par sa mère.
Tous les trois ont été des Sully, mais aucun na
été un Henri IV. André Philip fut un ministre
important de de Gaulle après la Libération, Michel
Rocard et Lionel Jospin ont été à la tête
de gouvernements qui ont compté, mais ils ont échoué
dans leurs ambitions présidentielles. Une influence protestante capable de faire bouger les choses a
existé dans un laps de temps très bref : entre 1875
et 1885. Ensuite il y a eu un glissement dû à laffaire
Boulanger en 1886, qui a radicalisé une certaine droite,
et à laffaire Dreyfus, qui a contraint les républicains
à devenir plus anticléricaux quils ne voulaient
lêtre et les catholiques plus antirépublicains
quils ne létaient. Les deux camps se sont donc
durcis, mettant fin à cette période où une
véritable pensée protestante a joué un grand
rôle dans la formation de notre pays.
Un britannique sous la IIIème
En février 1880 Jules Grévy succède à
Mac Mahon, le temps de gestation est terminé, la République
sinstalle. Le premier ministère (formé de dix
ministres) a pour patron un protestant britannique : Waddington,
issu dune famille de pasteurs. Dans ce ministère cinq
membres sont protestants, un seul est un Français dorigine,
les autres sont un réfugié et un Suisse
tout
un symbole. Puis arrive au pouvoir une génération
de hauts commis de lEtat, dans la magistrature, dans la préfectorale,
dans lenseignement, dans la direction des ministères,
en particulier à lEducation nationale. Ils vont bâtir pendant une quinzaine dannées
une laïcité très différente de celle que
nous connaîtrons par la suite. Ce nest pas une laïcité
antireligieuse ou areligieuse ; elle na pas peur dêtre
spirituelle ou spiritualiste, de dire quil y a du spirituel
dans chacun de nous et dans la société. Elle na
pas peur de parler de Dieu, dune manière qui na
rien à voir avec les orthodoxies ou un calvinisme un peu
sévère. A une époque où la France attend
une forme de restauration, la manière protestante de régler
les rapports entre Dieu et la morale dans les écoles paraît
prometteuse et a une vraie capacité dinfluence.
Les éminences grises au travail
Ce sont moins les ministres ou le Président de la république
qui travaillent que les éminences grises, comme Ferdinand
Buisson, dont on parle de plus en plus aujourdhui après
lavoir longtemps méconnu. Pendant que les ministres
de lInstruction publique se succèdent, lui est resté
de 1879 à 1896 directeur de lenseignement primaire.
Il a tout fait : les revues, les manuels de pédagogie, les
instituteurs, les carrières, les Ecoles Normales Supérieures.
Ses collègues étaient aussi des protestants : dans
le secondaire Elie Rabier, pour le supérieur Louis Liard.
Cétait le pouvoir protestant des directeurs de ministère.
Ils ont donné des élites à un régime
neuf qui en avait besoin. Le pays a beaucoup demandé aux
protestants et beaucoup reçu deux. Il a aussi beaucoup
demandé à une autre élite, qui a la même
histoire damour avec la République, cest lélite
juive. Voici pourquoi cette République a pu être assimilée
à un régime judéo-protestant. Mais on également
beaucoup demandé à un troisième milieu : la
franc-maçonnerie. Au nom de Ferdinand Buisson le sage il faut ajouter celui de Félix
Pécot le mystique, cet homme qui sest enfermé
quinze ans à Fontenay-aux-Roses, à lEcole Normale
qui forme les institutrices. Chaque matin il se levait à
5 heures pour préparer une conférence de philosophie
quil prononçait à 7 heures devant les jeunes
filles. Il a formé les élites laïques de Fontenay.
Les protestants constituent donc une minorité sûre
delle-même, un peu orgueilleuse, qui pense que la France
du XVIII ème siècle a raté sa chance de passer
au protestantisme, ce qui veut dire à la modernité,
en sortant du catholicisme archaïque et en comblant le retard
de lalphabétisation (la France a un siècle de
retard sur la Prusse pour lobligation scolaire).
La chance perdue du XVIème siècle
Jusque-là, on ne sortait du catholicisme que par la violence
: la Révolution et plus tard la Commune. Avec ce protestantisme
de la fin du XIXème siècle, cest une sortie
douce, faite de paix sociale, de modernité, dalphabétisation.
Pécot et Buisson disent que la chance perdue au XVIème
siècle est en train dêtre inventée. Le
temps est passé de la Réforme religieuse, la France
fait de la laïcité, cest sa manière à
elle de réparer loccasion perdue à la fin du
XVIème siècle. Le pays qui fascine, cest lAllemagne
assimilée au protestantisme. Mais les protestants français
sont dores et déjà installés à
gauche, une gauche essentiellement laïque et libérale
au meilleur sens du terme. Par la suite la France reviendra à ses démons :
les deux France, la rouge et la noire. Le problème de la
gauche en 1920, cest quelle est fascinée par
le marxisme. Maurice Couve de Murville a observé que les
partis communistes étaient très faibles dans les pays
protestants car « les protestants naiment pas les Eglises
autoritaires ». En France, les protestants ne sont pas communistes,
à part dans les Cévennes où ils votent majoritairement
communiste.
Deux hommes, deux cultures
André Gide a bien été un compagnon de route
du PC, mais en juin 1933, il sait quen adhérant il
va perdre son libre-examen. Et dans la SFIO, les camarades dAndré
Philip ont compris quil ne serait jamais vraiment des leurs.
Sa formule était la suivante : « solidaire dans laction,
solitaire dans la réflexion ». En 1946, il y a une
élection interne à la SFIO ; Léon Blum, rentré
de déportation, se retire de la vie politique et exige que
les députés qui ont voté les pleins pouvoirs
à Pétain ne se représentent pas sous les couleurs
de la SFIO. Trois hommes se disputent sa succession, parmi lesquels
un juif, Daniel Mayer, un protestant André Philip et Guy
Mollet issu de ce quAndré Encrevé appelle les
AOC (anticléricaux dorigine catholique). André
Philip fait un discours à la Léon Blum, déjà
un discours rocardien, qui ninsiste pas sur la lutte des classes
et ignore lexpression « dictature du prolétariat
». A lopposé Guy Mollet déclare : » Nous
sommes le parti de la classe ouvrière. Méfions-nous
de ceux de nos camarades qui croient pouvoir éviter les réalités
nécessaires de la lutte des classe avec un humanisme de mauvais
aloi, un piège dressé par la bourgeoisie. »
Lors de la guerre dAlgérie, Guy Mollet retournera la
SFIO et André Philip, qui refusera denvoyer le contingent,
sera exclu. Cest un bon exemple de laffrontement de
deux cultures politiques qui se solde par léchec de
celui qui na pas voulu entrer dans lEglise du parti.
La Vème : pléiade de protestants
Depuis Mitterrand, il y a eu une pléiade de protestants
sous la Vème République : Defferre, Joxe, Rocard,
Jospin, Baumel, Couve de Murville, Hoeffel
Mais lélection
du Président de la République au suffrage universel,
décidée par de Gaulle et appliquée en 1965,
convient mal au style protestant. Il y a une dimension assez peu
démocratique dans la longévité au pouvoir des
présidents et dans limage monarchique quils incarnent.
Dans le premier tome de ses Mémoires politiques, Pierre Joxe
décrit le retour de Mitterrand en mai 74, alors quil
vient dêtre battu de 100 000 voix par Giscard. Il a
vu revenir un « militant transfiguré » par lélection
présidentielle. Après avoir dénoncé
les institutions monarchiques de la République Mitterrand
y sera très à laise, et cela peut sexpliquer
par son origine et sa formation catholiques. A lopposé
de ce Florentin génial, Rocard apparaîtra raide et
coincé comme un protestant, mal à laise avec
cette culture politique de la Vème République. Pour les élections de 2007, les deux candidats actuellement
favoris jouent sur le registre de limaginaire catholique.
Ségolène Royal a pu être comparée à
la Vierge Marie, à Jeanne dArc, ou encore elle apparaît
un peu comme la Marianne. Nicolas Sarkozy a trouvé en janvier,
au Mont Saint Michel cette image du candidat christique qui
se présente en sauveur des Français. Lionel Jospin
aurait été bien déphasé au milieu de
ces deux candidats.
Propos recueilli par Frédérique Hebding
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Henri IV, une conversion profonde et bien réelle
Gaston Doumergue, seul Président dorigine
protestant, était un radical-socialiste originaire du Gard,
qui fut aussi Président du Conseil et Sénat.
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