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Scoutisme : Avant et pendant la tourmente de la guerre

Les souvenirs de Jacques Poujol
entré chez les scouts en 1934

 

Au début de l’année, nous avions lancé un « Appel aux souvenirs du scoutisme à l’Oratoire » pour essayer de retracer l’histoire d’une des grandes unités du scoutisme parisien. A la suite de cet appel, quatre témoignages nous sont parvenus : celui de notre ami Jacques Poujol et ceux de Mesdames Geneviève Marguerite, Christiane Polex (née Dubost) et de Monsieur Peschoud. Ces trois derniers étant plus partiels, nous publions celui de Jacques Poujol, qui retrace l’histoire d’Oratoire II pendant la guerre. Nous restons ouverts à vos témoignages. Nous aurions aimé avoir des récits du Jamboree de Moissons en 1947, où se déroula le plus grand rassemblement mondial de scouts de l’après guerre. F.L.

C’est en Octobre 1934 que je suis entré dans la troupe d’Eclaireurs Unionistes d’Oratoire II. J’étais accompagné de quatre autres garçons habitant tous le même immeuble 18 Bd Arago dans le 13ème et tous rattachés à la petite Eglise réformée de Port-Royal. Voici les noms et les totems de ces cinq garçons qu’unirent toute leur vie de très forts liens d’amitié et dont je suis aujourd’hui, à 84 ans, le seul survivant : Jacques POUJOL, « Mouflon lunatique » ; Robert POUJOL, frère de Jacques, « Gai Renard » ; François BONIFAS, « Pingouin vorace » ; Michel BONIFAS, frère de François, « Ourson casse-cou » et Jean-François BRETON, « Apre Furet », dont la sœur Martine épousera Robert POUJOL, mon frère.

Un chef de troupe nommé Pierre Kast

A ce groupe très soudé, s’associera Paul MLZAC qui épousera plus tard une autre fille de la tribu du 18 Bd Arago. Mais je préfère pour le moment laisser les filles de côté car, comme éclaireuses, elles sont plutôt allées vers Roquépine. J’ai simplement voulu montrer que scoutisme et sociologie protestante, avant même l’avènement de la mixité, étaient déjà des notions à la fois fécondes et étroitement liées. Qui étaient nos chefs, nos C.T., comme on disait alors ? Je sais peu de choses sur le premier sinon qu’il était étudiant suisse originaire du Canton des Grisons où l’on parlait la langue romanche, et qu’il s’appelait Bizas. Il était secondé par un garçon à peine plus âgé que nous, qui devait se faire un nom comme cinéaste, Pierre Kast. Il fut aussi mon condisciple au lycée Henri IV et surtout, en 1941, il me fit entrer dans un mouvement de résistance appelé Front National des Etudiants. Peu avant la Libération, son petit frère devait être fusillé par les Allemands.

Dès 1935, un autre chef de troupe vint relayer Bizas, un étudiant en théologie nommé Albert Nicolas, remarquable par sa chevelure rousse ondulée. Il réorganisa la troupe de façon plus stricte et la divisa en trois patrouilles : Castors, Léopards et Dauphins. Les examens de 2ème et de 1èreclasses furent plus étroitement contrôlés, ce qui m’empêcha longtemps de franchir ces étapes car j’avais de grosses difficultés avec les nœuds. Adepte de Barth, comme presque tous les théologiens de cette époque, il présidait le culte à chaque sortie. Il voulut même instaurer le culte de patrouille, ce qui me mit dans le plus grand embarras lorsque j’accédai au titre de C.P. des Dauphins.

Beaucoup plus tard, je devais retrouver Albert Nicolas rue de Clichy où, après avoir été aumônier militaire en Indochine et en Algérie, il exerçait, entre autres fonctions ecclésiastiques, celles de secrétaire général de la F.P.F. Aux côtés d’Albert Nicolas (dont j’ai oublié le totem), il y avait comme C.T.A. un polytechnicien très sympathique, grand de taille, qui s’appelait Hardy (j’ai oublié son prénom).

Un C.T. mort en héros

En 1937, on nous donne encore un nouveau chef venu de la troupe de Roquépine élève de l’Ecole Coloniale (dite « Colo »). Il s’appelait Jacques-Henri Schloesing et était fils du Directeur de la Maison des Missions boulevard Arago, ce qui n’était pas pour déplaire à la bande du 18 ! Il n’eut pas de peine à conquérir l’affection de ses Eclaireurs, à l’écoute de ceux qui, comme moi, en devenant plus mûrs, commençaient à se poser des questions sur leur engagement dans un monde déchiré prêt à basculer dans la guerre.

Nous apprîmes, après 1940, qu’il avait rejoint De Gaulle, qu’il s’était engagé dans les F.A.F.L., qu’il avait été mis à la tête de l’escadrille Ile-de-France, qu’il avait été abattu une première fois en 1943 au-dessus de la France occupée (quoique terriblement brûlé, il était parvenu à rejoindre l’Angleterre par l’Espagne) et qu’il avait finalement trouvé la mort en combat aérien dans la région de Rouen le lendemain de la libération de Paris…Aujourd’hui, près du Trocadéro, une rue parisienne porte le nom de « rue du Commandant Schloesing »

Oratoire II ou Cassiopée

Durant la période 1934-1939, les activités de l’Oratoire II (qui avait adopté le surnom mythique de Cassiopée ainsi que le sigle « W » désignant cette constellation) ne se distinguaient guère de celles des autres troupes d’Eclaireurs Unionistes : sortie du dimanche (journée entière ou demi-journée) avec rendez-vous devant le Monument aux morts de la gare Saint-Lazare ; parfois réunions de patrouille le jeudi après-midi dans les locaux mis à notre disposition, rue des Jeûneurs, par Monsieur Roy, conseiller presbytéral à l’Oratoire ; réunions des C.P. et S.P. (conseils de chefs) de temps en temps le soir en semaine. Les sorties étaient animées par des jeux divers, surtout le « ballon prisonnier » ou le foot. Il y avait à l’Oratoire la Fête de la Jeunesse qui faisait salle comble avec tous les louveteaux, P.A., Eclaireurs et Eclaireuses E.U. de Paris. On y chantait avec enthousiasme des cantiques pour jeunes protestants dont le patriotisme ringard me fait frémir aujourd’hui « Jeunesse ardente et valeureuse Que rien n’effraie et rien n’abat Comme une élite valeureuse Lève-toi pour le combat ! »…

N’empêche que c’était très exaltant de se sentir si nombreux, du parterre aux plus hauts gradins des tribunes, avec nos foulards bariolés, à chanter d’un même cœur des hymnes composés par la génération précédente, celle de la « Grande Guerre » de 1914-18. Il y avait aussi le grand rassemblement annuel de Trivaux centré surtout sur le scoutisme international et son fondateur Baden-Powell. C’est l’une des rares occasions où nous rencontrions nos frères éclaireurs d’Oratoire I car le reste du temps nous faisions plutôt bande à part, sans doute rançon de l’esprit de tribalisme mis au centre du scoutisme par ses fondateurs.

La nostalgie des camps d’été

Et puis naturellement il y avait les camps, camps de Pâques dans la région parisienne, camp de ski inauguré à la Noël 1938 par J.H. Schloesing à la Chalp d’Arvieux , station lancée par la Fédération. Surtout camps d’été qui ont laissé dans ma mémoire des souvenirs impérissables : celui de Malbuisson dans le Jura, le plus improvisé de tous, auquel les inspecteurs d’aujourd’hui n’auraient certainement pas accordé leur agrément, pas plus qu’au camp volant en Suisse qui le suivit et où ma patrouille faillit mourir d’insolation sur la route menant à Lausanne.

Celui de Schisrothried en Alsace beaucoup mieux organisé par Albert Nicolas mais dont le camp volant, par le Hohneck et Gérardmer, m’a laissé le souvenir cuisant des attaques répétées de hordes de moustiques. Celui de Saint Front, en Haute-Loire, à proximité du lac du même nom dont le traditionnel camp volant conféra à la troupe de l’Oratoire II la touche d’héroïsme qui lui manquait. Un incendie ayant éclaté à l’improviste dans la maison d’un village que nous traversions, nous entrâmes immédiatement en action, sous la direction de J.H.Schloesing, d’abord pour vider de leurs meubles les pièces les plus menacées, ensuite pour former à partir de la fontaine publique une chaîne qui, à l’aide de seaux d’eau, permit de maîtriser le sinistre.

Emu jusqu’aux larmes, le maire du village demanda aux villageois de nous servir un festin improvisé en plein air qui nous fit oublier les traditionnelles nouilles trop cuites de nos repas habituels. En juillet 1939, le camp d’été se déroula à l’Espérou (Gard), dans le massif cévenol de l’Aigoual, où je devais, trois ans plus tard, trouver mon refuge dans le maquis. Les nuits étaient fraîches dans les tentes que nous avions plantées au bord d’une « draille » à 1200m d’altitude et nous ne savions pas que la guerre allait, deux mois plus tard, nous disperser, certains pour toujours.

Rencontre à l’Espérou

Le souvenir le plus émouvant que j’ai gardé de ce camp est la rencontre inopinée que je fis, à la tête de ma patrouille (car j’avais pris du galon !) au coin d’un bois au-dessus de l’Espérou, d’un grand vieillard (en réalité il avait vingt ans de moins que moi aujourd’hui) qui nous demanda qui nous étions et engagea avec nous une conversation (sur le scoutisme, sur le pays cévenol, sur les Protestants, sur Jésus-Christ…), une véritable conférence qui dura presque une heure sans que nous sentions le temps passer. J’appris plus tard que ce bon vieillard n’était autre que le pasteur Nick, l’évangélisateur bien connu de Fives-Lille, qui avait de nombreuses attaches dans le pays cévenol et qui, même pendant ses vacances, n’arrêtait pas d’évangéliser.

Affaires de rites

C’est au cours des camps d’été que se donnaient libre cours certains rites un peu barbares propres au scoutisme mais de nature proche du « bizutage » encore pratiqué dans certaines écoles. Il y avait d’abord ce que nous appelions le « cirage », sorte de sanction collective appliquée à tel d’entre nous qui avait démérité ou enfreint nos règles non écrites de comportement. Ce traitement ne me fut infligé qu’une fois au camp de Malbuisson pour refus d’effectuer la corvée de cuisine.

Un autre rite était celui de la « totémisation » précédée de ce que nous appelions à Oratoire II l’ « initiation ». Jugée trop barbare dans sa forme primitive, Albert Nicolas mit heureusement fin à cette pratique qui consistait à faire croire à l’initié qu’on allait lui appliquer dans le dos un fer rouge ! Un conseil de chefs décida de remplacer ce rituel par un autre un peu canularesque. Il s’agissait, avant de conférer à l’initié son totem définitif, de l’affubler au cours d’une cérémonie burlesque, d’un totem ridicule qu’il ne gardait que cinq minutes avant que la vraie totémisation ait lieu.

Des noms d’autrefois

A force de remuer ces souvenirs enfouis dans ma mémoire, je m’aperçois que beaucoup de noms d’anciens amis éclaireurs que je croyais avoir oubliés me reviennent à l’esprit à mesure que j’écris ces lignes. Je ne suis plus très sûr des prénoms parce qu’à cette époque on s’appelait par son nom de famille entre jeunes plutôt que par son prénom. Ce sont des noms portés par de grandes familles historiques de l’Oratoire : POSTEL, D’ALLENS, LANGLOIS, ROSER, CAMBASSEDES, PETER, peut-être d’autres vont-ils s’ajouter à cette liste sortie des tréfonds de ma mémoire, ou même, qui sait ? Se faire connaître parce qu’ils rôdent toujours autour de l’Oratoire.

Jacques Poujol

 

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Article tiré du bulletin de l'Oratoire du Louvre à Paris

 


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