/
/
|
Premier voisin de lOratoire :
le pâtissier de « Cyrano »
Pendant la construction de léglise,
le célèbre Ragueneau tenait une auberge à proximité.
Le plus proche voisin de lOratoire
fut, à ses débuts, le pâtissier-traiteur-rôtisseur
Cyprien Ragueneau rendu célèbre, à la fin du
XIXème siècle, par lécrivain marseillais
Edmond Rostand qui en fit lun des protagonistes de son «
Cyrano de Bergerac ». Dans le volume consacré à
lIle-de-France de « Linventaire du patrimoine
culinaire de la France », paru en 1993, les auteurs situent,
en effet, lauberge du pâtissier-poète au 149
rue Saint-Honoré. Cest-à-dire à lemplacement
où se trouve actuellement le Club de gymnastique qui jouxte
le temple. Louvrage se réfère également à
Gault et Millau pour préciser que lenseigne de létablissement
portait linscription : « Aux amateurs de haulte gresse
». On doit à la vérité dindiquer
quEdmond Rostand, lui, situait la fameuse auberge «
au coin de la rue Saint-Honoré et de la rue de lArbre-Sec
», au carrefour nommé autrefois Croix-du-Trahoir. Une
version qui nest pas nécessairement la bonne car lauberge
avait disparu depuis plus de deux siècles quand lécrivain
publia « Cyrano » en 1897.
Lauberge avant lOratoire
Quoi quil en soit, le jeune Cyprien Ragueneau, qui était
né le 8 janvier 1608 à Paris, a assisté à
la construction de léglise de lOratoire puisquà
lépoque ses parents tenaient déjà leur
restaurant familial dans ce quartier. Ladolescent avait treize
ans quand le duc de Montbazon, gouverneur de Paris, posa le 17 septembre
1621, la première pierre de lédifice qui sera
achevé neuf ans plus tard. Cest dire que Cyprien Ragueneau,
qui prit la succession de ses parents, était aux fourneaux
pendant toute la durée des travaux. On raconte que le cardinal de Richelieu, qui appréciait
ses pâtés de viande et de poisson, fut lun de
ses meilleurs clients. Jean-Baptiste Poquelin, alias « Molière
», fréquenta lui aussi son établissement, de
même quun certain Cyrano de Bergerac, un authentique
Parisien sans aucun lien avec la Dordogne et auteur de récits
de voyages imaginaires, comme « Histoire comique des Etats
et Empires de la Lune ». Deux siècles et demi plus
tard, Edmond Rostand en fera un personnage picaresque de son «
Cyrano » qui sera joué, pour la première fois,
au théâtre de la Porte Saint-Martin.
En écrivant cette pièce, qui connut un succès
universel, lAcadémicien a fait passer à la postérité
deux personnages authentiques qui auraient été, sans
lui, condamnés à lanonymat : Savinien de Cyrano
(né en 1619, à Paris) dabord, qui fut un individu
ondoyant et assez peu homme de lettres, mais aussi le brave pâtissier
Ragueneau, mort dans la misère en 1654 à Lyon après
avoir fini moucheur de chandelles dans la troupe de Molière.
Une tradition qui se perpétue
Nayant laissé aucune trace de ses recettes gourmandes,
on aurait sans doute ignoré la plus célèbre
dentre elles, celle des tartelettes amandines, inscrite à
linventaire des pâtisseries parisiennes, sans lidée
de génie de Rostand. Celui-ci, en effet, a reproduit en vers
à lacte II, scène IV, de « Cyrano de Bergerac
», la fameuse recette dune petite tarte ronde de 8 cm
de diamètre à base de pâte sucrée, de
crème damandes et damandes effilées, avec
une garniture de confiture de fruits rouges. La tradition de cette tartelette, dont les Parisiens raffolaient
au début du XXème siècle, se perpétue
dans le quartier de lOratoire où il existe au 202 rue
Saint-Honoré (près du Palais-Royal) un restaurant-bar-salon
de thé-pâtisserie à lenseigne de Ragueneau.
Les murs du rez-de-chaussée sont couverts de photos de diverses
représentations de « Cyrano de Bergerac » et
la carte est pleine de dénominations sans équivoque
: « tartines gourmandes de Ragueneau », « tartes
salées de Cyrano », « les salades de Cyprien
» et aussi, bien sûr, « les douceurs du pâtissier-poète
».
Cest à ce chapitre que lon découvre
la tartelette amandine en deux versions : aux framboises ou aux
pommes. Le dimanche, après le culte, on peut aussi sen
procurer à la boulangerie Gosselin (123-125 rue Saint-Honoré).
Dans le quartier de lOratoire, cette gourmandise reste une
tradition et elle est un peu notre madeleine de Proust.
Triste fin
Raison de plus pour évoquer avec compassion le destin de
son créateur qui fut aussi notre voisin. Rostand est dans
le vrai quand il décrit Ragueneau comme un excellent pâtissier-rôtisseur
qui eut le tort de vouloir taquiner la Muse. Auteur de plusieurs
centaines de sonnets, odes, élégies et autres comédies
héroïco-comiques de piètre qualité, il
se ruina en nourrissant gratuitement une cohorte de poètes
faméliques qui le payaient en vers à sa louange. Au
grand dam de Lise, son épouse, qui emballait la marchandise
dans cette profusion de médiocres écrits. En 1649, Cyprien Ragueneau mit la clé sous la porte, abandonna
lauberge voisine de léglise de lOratoire
et rejoignit la troupe de Molière à Béziers
où on le vit plus souvent dans la cuisine que sur la scène.
Sa fille, en revanche, épousa le comédien Lagrange
qui fut le premier administrateur de la Comédie Française.
Roger Pourteau
La recette de la tartelette amandine
Voici, telle que Rostand la fait réciter par Ragueneau
dans « Cyrano de Bergerac », la recette de la fameuse
tartelette, la seule version parvenue jusquà nous : -Battez, pour quils soient mousseaux, - Quelques ufs
; - Incorporez à leur mousse Un jus de cédrat
choisi ; - Versez-y Un bon lait damandes douces ; -
Mettez de la pâte à flanc dans le flanc - De
moules à tartelette ; - Dun doigt preste, abricotez
Les côtés ; - Versez goutte à gouttelette
Votre mousse en ces puits, puis Que ces puits
Passent au four, et blondinent, - Sortant en gais troupelets, -
Ce sont les tartelettes amandines !
Réagissez sur le blog de l'Oratoire, faites profiter les autres de vos propres réflexions…
Si vous voulez remercier ou soutenir l'Oratoire : il est possible de faire un don en ligne…
|
|