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Avec Paul Ricœur, antique et moderne

 

 

Paul Ricœur, qui était considéré comme l’un des plus grands philosophes contemporains, est décédé le 20 mai dernier à l’âge de 92 ans. Il était né en 1913 à Valence et il passa l’agrégation de philosophie à 22 ans.A cette époque-là, il était déjà un protestant très engagé. Un hommage solennel lui a été rendu le 26 mai au temple de l’Oratoire du Louvre où se pressait une foule d’amis, d’universitaires, d’intellectuels et d’anonymes. C’est la pensée du philosophe qu’évoque ci-dessous notre ami Philippe Gaudin.

Le 26 mai dernier, on a célébré à l’Oratoire la mémoire de Paul Ricoeur. Les journaux n’ont pas été avares d’articles sur l’œuvre du philosophe, la carrière du professeur, la vie et l’engagement de l’homme dans la pensée, la foi et la vie sociale. Cet article n’a donc pas vocation à redire tout cela. Sa vocation serait plutôt d’être un écho à la façon de penser qui était la sienne, en partant d’une définition qu’il donnait de l’éthique.

« L’éthique, c’est le désir d’une vie accomplie, avec et pour les autres ; dans des institutions justes ». Je n’entends pas expliquer cette définition à partir de Ricoeur mais avec lui, donner une lecture de celle-ci à partir de la tradition philosophique et religieuse dont Ricoeur s’est fait le vivant témoin, le lecteur, le traducteur, le passeur inlassable.

Laissons de côté l’éthique pour le moment. Vivre c’est désirer, c'est-à-dire ne jamais coïncider avec soi, lancer des projets et entreprendre, échouer et réussir, aimer bien sûr et souffrir. Savez-vous l’extraordinaire étymologie du verbe « désirer » ?, « desiderare », c'est-à-dire être privé de l’étoile ou de l’astre (sidus, -eris). Le poète avait donc raison, « l’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux ».

Nous ne désirons pas assez

L’essence de l’homme est dans le désir, dans ses aspirations les plus hautes comme dans ses divertissements les plus dérisoires et ses besoins les plus matériels. On peut y voir la cause de son malheur puisque « nous nous préparons toujours à vivre » au lieu de vraiment vivre, selon Pascal, ce à quoi Rousseau répond : « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce que l’on obtient que de ce que l’on espère et l’on est heureux qu’avant d’être heureux ».

Il est vrai que nous désirons mal, que nous désirons ce qui n’est pas vraiment désirable ; mais, au fond, nous ne désirons pas assez. Si nous n’en finissons pas de désirer, c’est que le désir de l’infini est le cœur et le moteur de notre être. Nostalgie d’une lumière sans partage, d’une douceur sans douleur, réminiscence d’une Vérité éternelle, mais aussi utopie et invention d’un avenir resplendissant.

Qu’est-ce qu’une vie accomplie

Kant appelait Jésus « le maître de l’Evangile », le seul homme à avoir pu, selon lui, incarner la loi morale. Certes, mais celui dont nous avons le besoin le plus pressant n’est-il pas le « maître du Désir » qui est le nom que donnait Françoise Dolto à Jésus ? Maître du Désir, c'est-à-dire qui remet en route ceux qui sont arrêtés, malades et même ceux qui sont morts.

Qu’est-ce qu’une vie accomplie ? C’est une référence au bonheur, à la « vie bonne » qui est la fin de l’individu comme celle de la cité selon Aristote. Pour comprendre cette idée qui nous semble trompeusement banale, il faut faire une sorte de voyage dans la pensée téléologique du philosophe grec. Cela signifie rompre avec l’idée qui est devenue une sorte d’évidence moderne, selon laquelle la nature est le lieu du hasard et de la nécessité, n’ayant ni origine, ni fin, ni d’autre sens que celui qu’on veut bien lui donner. Pour Aristote au contraire, la nature est le lieu où les choses prennent naissance pour y accomplir leur finalité. Le vivant n’y est pas une forme complexe, peu probable et transitoire de la matière, mais ce qui, par excellence, fait comprendre et voir l’essence de la nature, ce vers quoi toutes ses forces tendent.

C’est l’âme, c'est-à-dire le principe de vie, qui fait qu’un corps est un corps et non le corps qui fait croire au mirage de l’âme. De même que la vie est principe et fin de la nature, l’homme et la cité ne vivent que pour le bonheur qui est leur fin. Une vie accomplie est donc une vie heureuse. Mais quel est donc ce bonheur ? Pour répondre à cette question il faut partir de cette définition bien connue et méconnue que donne Aristote de l’homme : il est un « animal politique ».

L’homme, un « animal politique »

La définition d’Aristote n’est pas comprise car nous voyons l’animalité comme la dimension corporelle de l’homme à quoi il faudrait adjoindre un « supplément d’âme ». Or l’animalité comme l’indique d’ailleurs l’étymologie, est le fait d’avoir une âme, d’être animé du principe de vie. Dire que l’homme est un animal politique signifie que l’homme ne s’anime de sa vie propre, ne devient vraiment vivant et vraiment humain que dans la relation politique. Elle advient entre des citoyens égaux se préoccupant des choses de la pensée et de la loi, ce qui est rare. Les nécessités matérielles étant satisfaites, le bonheur est la recherche de la justice dans l’amitié.

Cela nous amène au fait qu’une vie accomplie ne peut l’être dans la solitude. C’est une vie accomplie pour soi et non pour moi ferait remarquer Ricoeur, c'est-à-dire avec une dimension de réflexivité, de retour sur soi qui n’est possible que grâce au regard d’autrui, c'est-à-dire avec les autres.

L’indispensable regard du tiers

Aristote distingue l’amitié par intérêt, par jeu et par vertu. La dernière est la seule durable et n’exclut point les deux premières. La vertu consiste à regarder dans la même direction qui est celle du bien commun, de telle sorte que l’amitié réussie est à la fois bonheur et justice. Aristote va jusqu’à dire que ceux qui auraient la justice sans avoir l’amitié ne pourraient être déclarés heureux, tandis que ceux qui ont l’amitié ont aussi la justice car l’essence de la justice est de l’ordre de l’amitié.

Une vie pour les autres indique un état d’esprit assez différent de celui de l’antiquité. Dans ce cas, le bonheur cesse d’être une finalité interne à l’individu ou une harmonie entre deux individus mais procède au contraire d’un décentrement vers autrui. C’est une conception ministérielle de l’accomplissement de soi où c’est le fait de servir qui fait grandir et non d’être servi. Renversement des valeurs caractéristique de la tradition judéo-chrétienne, fraternelle si l’on veut, plutôt qu’amicale.

Mais cette vie accomplie ne peut l’être que dans des institutions justes. Cela signifie l’apparition du tiers. Que serait, en effet, l’amitié si elle était une bulle qui prive de toute autre relation ? D’autre part, vivre pour autrui risque toujours d’induire de subtiles perversités où le sacrifice de soi cache parfois des failles personnelles et une prise de pouvoir sur les autres. Le regard du tiers est donc indispensable, ce n’est pas celui de quelqu’un d’autre, c’est le regard impersonnel de quiconque, c’est celui de la loi.

Une manière de vivre en vue de ce qui est bon

Cette loi n’est justement pas affective, ce n’est pas l’amour, mais la règle claire et instituée à l’abri de laquelle celui-ci sera rendu parfois possible. Mais à quelles conditions des institutions peuvent-elles être déclarées justes ? Les inégalités naturelles et sociales sont criantes, des institutions qui se contenteraient de les figer seraient injustes. A contrario, imposer une stricte égalité au mépris des talents et des mérites de chacun serait encore injuste. Des institutions justes doivent donc poser des règles qui tendent le plus possible vers l’égalité des chances de tous et correction du sort des moins favorisés. Toute la pensée libérale (au sens politique) et sociale procède de cette tension entre liberté et égalité dans laquelle Ricoeur se tenait.

On comprend mieux ce qu’est l’éthique enfin. C’est une manière de vivre en vue de ce qui est bon, elle est donc un appétit, une tendance naturelle à l’homme qui cherche son bonheur, mais dans le souci du juste.On parle aujourd’hui de « développement durable », c'est-à-dire compatible à long terme avec la fragilité nourricière de notre terre. L’éthique serait la recherche d’un bonheur durable, c'est-à-dire compatible avec le fait que tous veulent être heureux et aspirent aux bonnes choses. Elle est une tentative de conjuguer le bon et le bien mais en partant de l’aspiration naturelle au bon.

Un philosophe très « tendance »

Ricoeur dirait que la morale, quant à elle, pose d’abord le bien et le sentiment de respect qu’il nous inspire. Ce sentiment est naturel à l’homme mais il a une origine surnaturelle. On pose d’abord le bien et on espère qu’il conduit au bon. L’expérience de la vie et de l’histoire nous enseigne que les justes sont souvent malheureux et que les méchants triomphent souvent. Souvent, mais pas toujours. La foi fait espérer que les noces du bien et du bon dans la vie éternelle, commencent en cette vie et dès à présent…

Ce petit parcours nous aide peut-être à comprendre en quoi Ricoeur était antique et moderne, philosophe et croyant, grec et sémite. En ce sens, il était très « tendance », très « métissé », très « tolérant », à « l’écoute de l’autre » etc. Oui, mais à ceci près que chez lui, ces dispositions procédaient d’une immense culture et d’un rigoureux travail sur soi ; alors qu’elles sont le plus souvent ce qui tient maigrement lieu de culture et de pensée. Il est difficile de dire si l’histoire retiendra de Ricoeur des concepts fondamentaux. Mais très rares sont ceux qui traversèrent le XXème siècle avec tant d’humanité et de dignité.

Philippe Gaudin

 

 

 

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Article tiré du bulletin de l'Oratoire du Louvre à Paris

 


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