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Madame de Sévigné a lÉglise
de lOratoire
LEglise des Prêtres
de lOratoire de la rue Saint Honoré fut construite
en 1616. Devenue rapidement trop petite, le Cardinal de Bérulle,
fondateur des lordre décida de la faire agrandir. Après
des transformations et des embellissements dus aux architectes Jacques
Lemercier et ensuite Clément Métezeau, elle devint
selon le vu de Louis XIII, chapelle royale en 1623. Le service
funèbre de Richelieu sy déroula en 1642, celui
de Louis XIII lannée suivante et celui dAnne
dAutriche en 1666.
Le 5 mai 1672, un service est organisé par lAcadémie
Royale de Peinture et de Sculpture en mémoire de Pierre Séguier
Garde des sceaux en 1633, Chancelier de France en 1635 et
Protecteur de lAcadémie Française à partir
de 1643 mort le 28 janvier 1672 à lâge
de 84 ans. Madame de Sévigné y assistera au milieu
de nombreux invités de marque. Dès le lendemain, elle
prendra une de ses plus belles plumes pour « conter »
cette cérémonie grandiose à sa « bonne
» et chère fille. Madame de Grignan, par son mariage
avec le comte de Grignan, nommé lieutenant général
du roi, avait quitté Paris pour la Provence en 1669.(Voir
lettre ci-contre)
Un mausolée jusquaux voûtes
La description du gigantesque mausolée a suscité
ladmiration de Madame de Sévigné. Par sa pointe
et son burin de très grand talent, son génie de la
perspective, les touches spirituelles des personnages, le graveur
Sébastien Le Clerc fait revivre par son dessin, ce moment
privilégié dune véritable « théâtralité
baroque du grand siècle classique ». La chapelle royale
est parée dune multitude de statues, de cascades danges
et revêtue dimmenses tentures précieuses ; sy
côtoient des uvres dart des plus grands artistes.
Au centre, le fameux mausolée, « chef duvre
» de Le Brun, qui sélève jusquaux
voûtes, encadré par des sculptures allégoriques
des quatre Arts et des quatre vertus. Le décor de squelettes
(ornements funéraires classiques) qui entoure les attributs
glorieux du chancelier (son mortier, sa couronne de duc, le collier
du Saint Esprit, ses masses) est impressionnant.
Une pompe inouïe
Le Brun, Président de lAcadémie Royale de
Peinture et de Sculpture, premier peintre du roi, fut le maître
duvre de ce monument avec la collaboration déminents
sculpteurs et décorateurs. Il voulut honorer la mémoire
de son protecteur dans la mort par cette pompe inouïe ; en
effet, le Chancelier Séguier sétait intéressé
aux Beaux Arts et il avait envoyé Charles Le Brun à
Rome en 1742 pour étudier les monuments antiques et connaître
les grands artistes. Durant cette cérémonie Madame de Sévigné
occupe une des meilleures places près des hauts personnages
de lEtat, non loin de Colbert. Elle est à côté
de son ami Monsieur de Tulle, Jules Mascaron, prêtre oratorien,
devenu en 1671 évêque de Tulle. Il est très
en vogue à la cour où il avait la faveur du roi. Madame
de Sévigné, grande admiratrice du prélat, déclarait
quil était à la fois « moraliste, orateur
et écrivain », ce quexigeait le 17ème
siècle de tous ses grands prédicateurs. Cest
lui qui avait eu lhonneur de prononcer trois mois auparavant
lOraison funèbre de « Messire Séguier,
chancelier de France » chez les Carmélites de Pontoise
où ce dernier avait sa sur religieuse et où
il avait choisi dêtre inhumé.
Le trouble du prédicateur
Madame de Sévigné, suivant la tradition littéraire
classique, ne donne aucun détail physique de ses personnages,
mais en revanche, elle fait part de ses émotions, scrute
gestes et attitudes, sabandonne au plaisir de faire partager
des scènes pleines de vie dont elle raffole. Est-ce la trop
grande solennité de lassistance, la pompe trop intense
de la Chapelle royale pour que le « trouble » sempare
du jeune prédicateur oratorien, le Père Vincent Laisné,
qui vient de monter en chaire ? (Celle-ci se trouvait au fond de
la chapelle à droite). Linquiétude pénètre
aussi lauditoire ; mais ce fâcheux instant sera vite
oublié quand lassemblée entière tombera
sous le charme de son éloquence. Cet éloge funèbre sera un chef-duvre
tant par sa construction équilibrée et ses effets
oratoires puissants que par lhabileté dans la louange.
Lorateur rappelle la passion du chancelier pour les Belles-Lettres,
son respect et son amour des « Ecritures », son admirable
clairvoyance, et il insistera sur la très grande probité
du « Garde des Sceaux de la Couronne ». Il avait choisi
pour conduire sa méditation sur la mort, le verset 6 du psaume
82 : « Je lavoue, juges de la terre, vous êtes
des dieux, mais que cette qualité ne vous enfle point ; car
avec cela que vous êtes des hommes et vous mourrez infailliblement
».
La « Bethléem » du chancelier
Le chancelier possédait dans cette église (comme
Richelieu) sa chapelle privée « de la divine enfance
de Jésus ». Cétait la troisième
à droite en entrant dans la nef après celle du Cardinal
de Bérulle. Le père Vincent Laisné parla dans
son éloge funèbre dune chapelle magnifique décorée
des peintures de Vouet. Le chancelier lappelait « sa
Bethléem » ; il venait y prier et il apportait «
une dévotion très singulière envers le Mystère
de la Sainte Enfance ». Madame de Sévigné, qui adore les faits divers et
la petite histoire, évoque Mr de Mammouth, fils naturel de
Charles II dAngleterre. On se souvient peut-être quil
avait défrayé la chronique au Palais-Royal par ses
frasques avec Henriette dAngleterre. Il participera, la même
année, aux négociations de paix avec la Hollande.
A la fin de la cérémonie, la solennité du lieu
nempêche pas que les conversations saniment. Madame
de Sévigné retrouve en particulier le comte de Guitaut,
son ami et son voisin du Marais, ainsi quune très ancienne
connaissance : Toussaint de Forbin-Janson, évêque de
Marseille depuis 1668.
Lully le « Baptiste »
Quant à la musique, elle était présente avec
un chur et un orchestre orchestre, sous la baguette du grand
musicien du roi Jean-Baptiste Lully, qui interprèta un émouvant
« Miserere » (Psaume 51 : « Dieu ait pitié
de moi ») et un « Libera » (prière de la
liturgie catholique pour les morts). Madame de Sévigné,
comme ses contemporains, nomment Lully avec affection et admiration
le « Baptiste ». En mars 1672, Lully venait dacquérir
le privilège de lAcadémie royale de Musique
; si son uvre religieuse est peu abondante au regard de son
uvre lyrique, il suit la tradition de la musique baroque.
Il traite, ainsi que Marc-Antoine Charpentier, Delalande et les
maîtres de lécole versaillaise, les textes liturgiques
latins comme les psaumes en forme de motet à grand chur
avec orchestre. Madame de Sévigné a été le témoin
spirituel et amusé de son temps. Ses « radoteries »
comme elle aimait à le dire, nous remplissent toujours démotion.
Qui mieux quelle pouvait nous faire revivre ce moment dhistoire
de lOratoire.
Claudine Roess
« Une si grande narration »
Cest dans une lettre datée
du vendredi 5 mai 1672 que Madame de Sévigné raconte
à sa fille, Madame de Grignan, les obsèques à
lOratoire du chancelier Pierre Séguier : Ma bonne, il faut que je vous conte une radoterie que je ne puis
éviter. Je fus hier à un service de Monsieur le Chancelier
à lOratoire (1). Ce sont les peintres, les sculpteurs,
les musiciens et les orateurs qui ont fait la dépense : en
un mot les quatre arts libéraux. Cétait la plus
belle décoration quon puisse imaginer. Le Brun avait
fait le dessin. Le mausolée touchait à la voûte,
orné de mille lumières et de plusieurs figures convenables
à celui quon voulait louer. Quatre squelettes en bas
étaient chargés des marques de sa dignité,
comme lui ôtant les honneurs avec la vie. Lun portait
son mortier (bonnet rond de velours noir que portaient les membres
des Parlements), lautre sa couronne de Duc, lautre son
ordre (le collier de lordre du Saint Esprit), lautre
ses masses (bâton à tête dor ou dargent
portés dans les cérémonies devant certains
magistrats) de chancelier.
Les quatre Arts étaient déplorés et désolés
davoir perdu leur protecteur (2) : la Peinture, la Musique,
lEloquence et la Sculpture. Quatre vertus soutenaient la première
représentation : la Force, la Justice, la Tempérance
et la Religion. Quatre anges ou quatre génies recevaient
au-dessus cette belle âme. Le mausolée était
encore orné de plusieurs anges qui soutenaient une chapelle
ardente, qui tenait à la voûte. Jamais je nai
rien vu de si magnifique ni de si bien imaginé, cest
le chef-duvre de Le Brun. Toute léglise
était parée de tableaux, de devises demblèmes
qui avaient rapport à la vie ou aux armes du chancelier.
Plusieurs actions principales y étaient peintes
Lassemblée était grande et belle, mais sans
confusion. Jétais auprès de Monsieur de Tulle
(Mascaron, évêque de Tulle), de M. Colbert, de M. de
Monmouth (Jacques), beau comme du temps du Palais-Royal, qui, par
parenthèse, sen va à larmée trouver
le Roi. Il est venu un jeune père de lOratoire pour
faire lOraison funèbre. Jai dit à M. de
Tulle de le faire descendre, et de monter à sa place, et
que rien ne pouvait soutenir la beauté du spectacle et la
perfection de la musique que la force de son éloquence. Ma
bonne, ce jeune homme a commencé en tremblant ; tout le monde
tremblait aussi. Il a débuté par un accent provençal
; il est de Marseille ; il sappelle Laisné ; mais en
sortant de son trouble, il est entré dans un chemin lumineux.
Il a si bien établi son discours ; il a donné au défunt
des louanges si mesurées, il a passé par tous les
endroits délicats avec tant dadresse ; il a si bien
mis dans son jour tout ce qui pouvait être admiré ;
il a fait des traits déloquence et des coups de maître
si bien à propos et de si bonne grâce, que tout le
monde, je dis tout le monde sans exception, sen est écrié,
et que chacun était charmé dune action si parfaite
et achevée.
Pour la musique, cest une chose quon ne peut expliquer.
Baptiste (Lulli) avait fait un dernier effort de toute la musique
du Roi. Ce beau « MISERERE » était encore augmenté
(Psaume 51) ; il y a un « LIBERA » plein de larmes.
Je ne crois point quil y ait une autre musique dans le ciel.
Il y avait beaucoup de prélats ; jai dit à Guitaut
: « Cherchons un peu notre ami Marseille (lévêque
de Marseille) ; nous ne lavons point vu. Je lui ai dit tout
bas. Si cétait loraison funèbre de quelquun
qui fût vivant, il ny manquerait pas ». Cette
folie la fait rire, sans aucun respect de la pompe funèbre.
Ma bonne, quelle espèce de lettre est-ce ici ? Je pense
que je suis folle. A quoi peut servir une si grande narration ?
Vraiment, jai bien contenté le désir que javais
de conter.
(1) Pierre Séguier Au Musée du Louvre (grande
galerie) se trouve un portrait du chancelier à cheval au
cortège de lentrée de la Reine Marie- Thérèse
à Paris le 26 août 1660, tableau peint par Charles
Le Brun.
(2) Protecteur de lAcadémie Française depuis
1643, président à mortier au Parlement de Paris,
duc de Villemor.
Avec cette lettre de Madame
de Sévigné, commentée par notre amie Claudine
Roess, se termine le cycle de « lOratoire et la littérature
». Si nous avions respecté lordre chronologique,
cest par elle quil eût fallu commencer, mais
nous nen avions pas eu connaissance lorsque nous avons débuté
cette chronique.
La cérémonie racontée par Madame de Sévigné
na, bien sûr, aucun rapport avec la période
protestante de notre église, qui débute en 1811,
lorsque Napoléon redistribua aux protestants parisiens
qui navaient plus aucun temple un certain nombre de lieux
de cultes catholiques.
Le Chancelier Pierre Séguier (1558 1672) dont
Madame de Sévigné raconte le service funèbre,
était petit-fils et neveu de deux présidents à
mortier du Parlement de Paris. Cest tout naturellement quil
hérita de la charge familiale. Son efficacité et
son dévouement aux puissants le firent choisir pour la
garde des Sceaux en 1633 et la Chancellerie en 1635.
Devenu puissant à son tour, ce personnage qui ne sembarrassait
pas de scrupules, devint lhomme des situations difficiles
: affaire de la correspondance dEspagne en 1633, répression
de la révolte des va-nu-pieds de Normandie en 1639, procès
de Cinq Mars et de Thou expédiés à léchafaud
en 1642. Puis procès de Fouquet en 1661, où il se
montra dune grande partialité envers le surintendant
condamné à lexil.
Comme souvent, chez les ministres du roi, lexercice de
leur charge, pour prestigieuse quelle fût ne pouvait
les satisfaire. Il leur fallait contribuer à la gloire
du monarque en sintéressant aux arts et lettres.
Les libéralités que le Chancelier Séguier
distribua en sa qualité de protecteur de lAcadémie
Française, comblèrent de nombreux artistes, dont
Le Brun, premier peintre du roi qui ne pouvait manquer de contribuer
à son tour à la gloire posthume du chancelier.
François Lerch
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Lextravagant mausolée, érigé
à la mémoire de son protecteur par lAcadémie
royale de Peinture et de Sculpture, atteignait les voûtes
de léglise de lOratoire. Le chancelier Pierre
Séguier était un cousin du père de Bérulle,
fondateur de la Congrégation de lOratoire.
La lettre datée du 5 mai 1672 relatant la
cérémonie en hommage à Pierre Séguier,
est lune des 1155 missives officiellement recensées
et publiées écrites par la marquise de Sévigné,
née Marie de Rabutin Chantal. Mais il y en aurait eu beaucoup
dautres.
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