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Le pamphlet d'Alphonse Daudet
L'enquête approfondie d'Alphonse Daudet sur le protestantisme
parisien.
À partir d'un fait réel une affaire de secte dénoncée
à l'Oratoire
Beaucoup d'entre vous seront
surpris en découvrant que le Daudet de notre enfance, celui
des « Contes du Lundi », du « Petit Chose »,
ou de « Tartarin de Tarascon », publia en 1883, dans
un roman intitulé « L'Evangéliste », un
pamphlet fracassant contre les mouvements évangéliques
protestants , préfiguration des sectes que l'on dénonce
aujourd'hui. L'évènement fit grand bruit à
l'époque et a suscité par la suite de nombreuses études
de la part de nos coreligionnaires. Nous nous inspirons largement,
pour vous présenter ce roman, dont l'un des chapitres est
entièrement consacré à l'Oratoire, des travaux
que notre paroissien et ami, monsieur Jacques Poujol a publiés
en 1984 dans le Bulletin de la Société d'Histoire
du Protestantisme Français.
Alphonse Daudet est parti d'un fait réel. En 1881, son
fils aîné Léon, prenait des cours d'allemand
avec une institutrice allemande, Mme Lima. Un jour, Daudet trouvant
cette personne en larmes l'interrogea sur les causes de ce chagrin.
Elle lui raconta que « sa fille de vingt ans était
tombée dans les mains d'une fanatique illuminée, la
femme d'un banquier protestant célèbre, qui attirait
dans un ouvroir religieux qu'elle avait fondé aux environs
de Paris, des jeunes filles qu'elle envoyait ensuite travers l'Europe
pour y porter la bonne parole et qui, désormais fanatisées
par la dame évangéliste, oubliaient et reniaient toute
vie antérieure y compris leur parents ».
Daudet qui songeait alors à écrire un grand roman
sur la religion, tenait son sujet.
Il commença par se livrer à une enquête approfondie
sur le protestantisme parisien, ses temples, ses pasteurs, ses cultes,
sa liturgie, ses courants théologiques. C'était l'époque
du « Réveil », et de l'implantation en France
de « l'Armée du Salut » qui nous arrivait tout
droit d'Angleterre. Dans ce roman, la malheureuse mère ne
sait plus à qui s'adresser pour obtenir de l'aide. Toutes
ses relations, avocats ou hommes politiques, se récusent
quand elle prononce le nom de Madame « Autheman » et
de son tout puissant mari. La seule âme compatissante est
le Pasteur Aussandon, doyen de la Faculté de Théologie
de Paris, qui n'écoutant que sa conscience viendra prêcher
à l'Oratoire pour prendre publiquement la défense
de Madame Lima lors d'un culte pathétique à l'issue
duquel il refusera de donner la Sainte Cène à madame
Autheman, la femme du banquier.
Nous reproduisons de larges extraits de ce culte à l'Oratoire
tel qu'il est rapporté dans « L'Evangéliste
». Si vous en avez l'occasion, lisez ce roman d'Alphonse Daudet,
et reportez-vous à l'étude précitée
de Jacques Poujol qui tente d'identifier les personnages du roman
et d'en donner des clefs. Nous la tenons à votre disposition
sur simple demande.
François Lerch
Quelques clés de « l'Évangéliste »
Madame Autheman, personnage principal du roman de Daudet, est
la femme d'un banquier juif très puissant qui s'est converti
au protestantisme. Un premier rapprochement a tout de suite été
fait entre le patronyme de ce banquier et « l'Ottoman »,
autrement dit le Président de la banque Ottomane, une des
grandes banques protestantes françaises appartenant aux Mallet.
Le profil de Madame Autheman a suggéré un autre rapprochement
avec Madame André-Walter, une grande dame des oeuvres protestantes
de l'époque. Quant aux méthodes employées par
l'Evangéliste, elles font penser à celles de Catherine
Booth, qui lançait alors en France depuis l'Angleterre, les
premiers éléments de l'Armée du Salut.
Dans le roman, la famille Autheman possède une résidence
secondaire appelée Port Sauveur, dans la région de
Corbeil. La description de cette demeure en fait une copie conforme
de la propriété « Les Ombrages » que Madame
Walter possédait à Versailles, devenue depuis la Maison
des diaconesses et le Centre 8. Le nom du pasteur Aussandon, doyen
de la faculté de théologie, semble avoir été
construit à partir de deux patronymes de pasteurs authentiques,
l'un s'appelant Ausset, et l'autre Montandon. Les contemporains
ont tout de suite reconnu dans cette figure imposante, celle du
pasteur et théologien libéral Auguste Sabatier. Ce
dernier, qui connaissait Daudet, a, dans un article envoyé
au Journal de Genève le 28 janvier 1883, exprimé sa
reconnaissance envers l'auteur.
Dernier rapprochement, le refus de communion opposé à
Madame Autheman, n'est pas sorti de l'imagination du romancier.
il y avait eu un précédent avec le pasteur Adolphe
Monod qui avait refusé de donner la communion à une
paroissienne lyonnaise. Il avait été révoqué
à la suite de ce refus, comme cela est arrivé au pasteur
Aussandon dans « L'Evangéliste ».
Nous ne pouvons rentrer dans tous les détails de cette
recherche, mais nous proposons à toutes celles et ceux qui
voudraient les connaître de leur faire parvenir la photocopie
de l'étude que Monsieur Jacques Poulol a bien voulu nous
envoyer à l'occasion de la rédaction de cet article.
Un culte pas comme les autres
Voici de larges extraits de la description de l'oratoire et de
la scène qui s'y déroula telles que les rapporte Alphonse
Daudet dans « L'Evangéliste ».
« Dans le vestiaire ou s'habillent les prédicateurs
au temple de l'Oratoire, deux petites pièces à grands
placards, avec des chaises de paille, la table de bois blanc, le
poêle de faïence d'un poste de douaniers, Aussandon entouré
de pasteurs, de collègues à la Faculté, cause
à mivoix, serre des mains tendues, tandis qu'on entend les
voitures rouler, s'arrêter aux deux perrons du temple, et
comme un flot montant qui bat toutes les entrées, se répand
dans les couloirs aux sombres murailles lézardées.
Le vieux doyen, prêt à paraître en chaire,
a revêtu la robe noire, le rabat blanc, cette tenue sévère,
plutôt de palais que d'église, allant bien au sacerdoce
du ministre, considéré par la Réforme comme
un simple avocat de Dieu. C'est bien aujourd'hui le rôle d'Aussandon,
avocat et même avocat général (...). Son discours
prêt, achevé en deux soirs, - il y a si longtemps que
ces idées bourdonnent dans sa tête! - il a prié
un des prédicateurs inscrits à la porte de l'Oratoire
de lui céder son dimanche et depuis huit jours, tout le Paris
protestant se dispose à venir entendre l'illustre doyen faisant
tonner une suprême fois, cette voix que les chaires ne connaissent
plus.
La vieille église des oratoriens, cédée aux
protestants par le Concordat, est le temple le plus vaste, le plus
imposant de Paris (...). L'Oratoire, lui, résume et symbolise
tout le dogme de la Réforme et du pur christianisme, cierges
éteints, images absentes, grands murs nus portant seulement
en cartouches des fragments de cantiques et de versets. Dans le
cintre des chapelles presque entièrement murées, on
a réservé quelques tribunes, supprimé le choeur,
mis l'orgue à la place de l'autel et toute la vie du temple
se groupe devant la chaire, autour d'une longue table, à
l'ordinaire couverte d'un tapis, les dimanches de communion chargée
de corbeilles et de coupes en vermeil.
C'est le seul appareil religieux et cette simplicité, agrandie
de la hauteur des voûtes et du mystère des vitraux,
devient solennelle quand l'Oratoire est plein comme aujourd'hui,
noir de foule sur ses bancs, ses tribunes débordantes, et
les marches irrégulières de ses entrées. Au-dessus
de la perte principale flambe en vitrail une croix énorme
de la Légion d'honneur au large ruban pourpre, souvenir du
premier pasteur décoré après le Concordat,
irradiée avec orgueil sur tout le temple, rosant les murs,
les tuyaux de l'orgue, et les coupes de la communion au pied de
la chaire, où tous les yeux cherchent le pasteur.
Aussandon vient de sortir de l'ombre et portant droit ses soixante-quinze
ans, sa tête puissante qu'éclaire le long rabat blanc
sur sa robe de juge, il accentue le verset qu'il a pris pour texte
: « Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé
en ton nom, chassé les démons en ton nom, accompli
plusieurs miracles en ton nom ». Ensuite, il commence très
simplement, le ton baissé, l'homme parlant après Dieu
(...).
Maintenant le doyen, descendu de la chaire, se tient debout devant
la longue table où le vin tremble dans les coupes entre les
quatre corbeilles débordant de pain et tandis qu'il récite
les belles et simples prières qui précèdent
la communion
« Ecoutez mes frères de quelle manière Notre
Seigneur a institué la Sainte Cène ». Il tressaille
en apercevant la femme du banquier, immobile et droite à
son banc. Que fait-elle là cette orgueilleuse, après
ce qu'elle vient d'entendre
Pourquoi n'est-elle pas sortie, quand le pasteur a béni
et prié de se retirer en bon ordre ceux qui ne communiaient
pas ? Aurait-elle vraiment l'audace ? Elle n'a pas bougé
(...)
Au rythme large et puissant de l'orgue, les premiers rangs s'ébranlent,
se déroulent, viennent se former en demi- cercle dans l'espace
vide autour de la table (...). Après une courte oraison mentale,
le pasteur, relevant la tête, voit Mme Autheman près
de lui à sa droite. C'est par elle qu'il doit commencer la
communion et sa bouche serrée, sa pâleur en défi
disent qu'elle vient là révoltée, non repentante,
bravant celui qui n'a pas craint de la dénoncer publiquement.
Aussandon lui aussi est très pâle. Il a rompu le pain,
le tient au-dessus de la corbeille, pendant que l'orgue adouci s'éloigne
comme le flot à marée descendante, laissant entendre
le murmure très distinct des paroles consacrées :
Le pain que nous rompons est la communion au corps de jésus-
Christ Notre Seigneur.
Une petite main dégantée s'avance, frémissante.
Il ne paraît pas la voir et tout bas, sans un mouvement, sans
un regard « Passez... vous êtes indigne... Il n'y a
rien pour vous à la table du Seigneur. »
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