La solidarité : un grand désir
humain
En France, comme dans beaucoup
de pays du monde, la période de Noël na pas permis,
pour certains dentre nous, dintégrer le message
de bienveillance proclamé à ciel ouvert selon lEvangile.
En effet, pour de nombreux solitaires ou de familles appauvries,
les espérances dune organisation de vie décente
sannoncent dangereusement menacées. Comment souvrir
à la joie de lincarnation lorsquon ne dispose
que dun revenu insuffisant, même pour régler
les factures de chauffage, de soins essentiels ou pour accéder
à un logement. Car, pour vivre, il faut bien un lieu où
reposer sa tête et celles de tous ceux dont on a la charge
!
Les revenus sont, trop souvent, en-deçà dun
minimum vital et la quête dun toit est parfois une démarche
vouée à léchec. Le malaise que lon
éprouve devant les situations dramatiques dont nous sommes
informés, le sentiment dimpuissance qui nous désespère,
ne doivent pas nous culpabiliser stérilement. Mais comment
alors envisager les solidarités possibles ?
Il faut se méfier de ce mot
Il en est des mots comme des bagages. Un vocabulaire passe-partout
permet de voyager nimporte où et nimporte quand.
Il faut cependant se méfier des mots « valise »
tels que « SOLIDARITE » car il est bien de voyager,
à condition que ce ne soit pas nimporte comment. Le substantif « solidarité » provient dun
adjectif : solidaire. La traduction, à partir du latin serait
: « Pour le tout ». La solidarité est que chacun
réponde de tout. Ainsi en est-il des débiteurs solidaires
dune dette contractée. Les personnes solidaires sont
celles qui répondent en commun lune pour lautre
dune même chose. Elles sont liées par une responsabilité.
On est lié forcément par un acte solidaire. Lorsque
nous disons quil faut se méfier de ce mot, cela veut
dire quil importe de le recevoir dans sa pleine acception.
Ne jamais oublier que la solidarité engage. Elle est un mot
en acte, en actualisation constante, un processus.
Lexigence dune certaine dépendance
On dit de deux pièces quelles sont solidaires lorsquelles
sont rendues dépendantes lune de lautre. La solidarité
nest pas quelque chose qui se présume. Il faut en décider.
Dans la relation interpersonnelle, lorsque simpose une communauté
dintérêt, cela entraîne lobligation
morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance. Dans les relations associatives et notamment celles liées
à lentraide ( cela est vrai aussi dans toute la vie
ecclésiale), lobjectif est de développer jusquau
coeur même de la vie cultuelle, lassistance ou la bienfaisance.
En un mot le caritatif. Ce dernier mot parfois galvaudé,
qui atteste la « charité » demeure une affirmation
sublime de lamour. Comme dans toutes les formes que peut prendre
lamour, lamour-charité exige une certaine dépendance.
La dépendance est une manière dêtre
à autrui. Non seulement un vis-à-vis découte,
de soin, de soutien, mais un vis-à-vis de rencontre où
lengagement résulte dune véritable empathie.
La souffrance, ou tout simplement la réalité de lautre
matteint, non pas pour me désespérer, mais afin
de mobiliser toute ma personne ; de la même manière
que si je vivais moi-même cette souffrance en cherchant, comme
il se doit, avec toutes mes forces, à la vaincre. Voilà
peut-être ce qui est le plus éprouvant dans lexercice
de la solidarité. Il sagit dune dépendance
entre autrui et moi, une rencontre pour, ensemble, « jouer
le jeu des possibles. »
Une injonction évangélique ?
On ne trouve pas vraiment le mot « solidarité »
dans la Bible bien que lattitude solidaire soit repérable
en maints endroits. Nous apprenons que les apôtres vivaient
en solidarité puisque ils mettaient en commun leurs biens,
leurs soucis, leurs travaux et leur fidélité au message
de la bonne nouvelle. Nous lisons aussi des récits qui attestent
quil y a des limites à la solidarité. A certains
moments cruciaux, nous découvrons avec effroi le triomphe
de la débandade. Le récit de la Passion nous parle
dune nuit, dans le Jardin des Oliviers où cest
bien linverse de la solidarité qui lemporte (Marc
14 verset 50). La question se pose de savoir jusquoù aller dans
la solidarité ? On ne peut pas donner à cette grande
question une réponse précise. Dabord, il faut
reconnaître en la matière que chacun fait comme il
peut. Linjonction évangélique consiste à
nous aider à transformer nos regards sur la réalité
quotidienne, parfois terrifiante en nous permettant de confesser
publiquement que Jésus le Christ est venu chercher et sauver
ce qui était perdu ! Nous sommes un corps et pas nimporte
quel corps, le corps du Christ. Pour fonctionner correctement, les
parties très honorables du corps comme les moins honorables
doivent agir solidairement.
Les errements, les difficultés et les détresses
de tout un chacun sont là aussi pour me dire où jen
suis moi-même dans ma propre vie. Toute miséricorde
est la conséquence dun partage. Il en va de même
pour la grâce de la foi.
Ce nest pas un exercice facile
La solidarité ne sexerce pas aisément. Pas
plus que la pratique de la justice dont on mesure plus que jamais
les difficultés. Afin dêtre en état de
poursuivre la marche de la vie, Jésus déclare heureux
ceux qui ont cette faim et cette soif de la justice. La solidarité
fait partie de ce grand désir humain. Etre à luvre
afin de restaurer, aider à reconstruire, ressusciter ! Or, la solidarité ne nous est pas naturelle, il nous appartient
de la créer, de trouver des moyens nouveaux afin que soit
mieux pris en compte chaque particularités. La solidarité
implique un équilibre entre nen pas faire assez ou
en faire trop.
La solidarité est le travail social de lEglise. Elle
est aussi le résultat de sa dynamique spirituelle. Les personnes
en situation de pauvreté matérielle, spirituelle ou
morale ne constituent pas une catégorie humaine spécifique
; elles sont au milieu de nous, leur vie nous traverse. La pauvreté
au sens large est une situation qui peut atteindre chacun et parfois
très rapidement. Nos deux mains sont utiles dans tous les
cas ; lune pour donner, lautre pour recevoir. En temps
opportun.
Lhistoire des vierges folles
Lorsque nous lisons lhistoire étonnante des vierges
folles et sages dans lEvangile de Matthieu ( chapitre 25),
nous voyons ces femmes se rendre à la noce afin dattendre
lépoux.
Devant linflexibilité des sages à céder
de leur huile alors que les lampes de leurs surs dites «
folles » séteignent, nous restons perplexes.
Comment donc le partage et la solidarité doivent-ils sexercer
?
Il y a là une idée relativement simple. Pouvons-nous
donner ce que lon na pas ? Où plutôt sommes-nous
conscients que lhuile de lespérance, lhuile
qui permet de tenir nos lampes allumées, donc notre vie personnelle,
est le DON DE DIEU ? Un don gratuit, généreux, surabondant.
Dieu agit toujours dans la surabondance. Dieu donne. Chacun en a
sa part et tous lont tout entier. Mais cette part est essentielle
et personnelle.
Tous les marchands dhuile, toutes les institutions possibles,
toutes les déclarations dintention ne combleront jamais
le vide de nos vies. Nous devons veiller sur notre réserve
personnelle dhuile. Il sagit dune question de
bon sens. Lhuile de lespérance que chante le
psalmiste vient non seulement réjouir les curs, mais
cest elle qui ouvre les intelligences aux actions possibles.
Porter le flambeau allumé
Pour entrer dans la fête, pour être admis aux noces
de lAgneau de Dieu, il ne suffit pas dêtre riche
; ni pauvre non plus dailleurs, il faut recevoir précieusement
et le plus simplement du monde, cette mesure que Dieu veut nous
donner chaque jour. Alors, le courage du petit témoin, à
linstar des vierges sages, garde tout son éclat. Cest au jour le jour que nous pouvons chanter ce cantique
des anciennes écoles du dimanche : « le monde est plein
dombres, brillons, brillons bien, toi dans ton coin sombre
et moi dans le mien » ! Que ces quelques versets nous paraissent
naïfs ou présomptueux, il nen demeure pas moins
que notre mission sur terre nest pas autre chose que de porter
le flambeau allumé, comme un reflet de lamour de Dieu
manifesté en Jésus le Christ.
Werner Burki
Il en est des mots comme des bagages
Jouer le jeu des possibles
Une nuit dans le jardin des oliviers
Veiller sur notre réserve dhuile
Le monde est plein dombres
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