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Seigneur, délivre-moi de la haine,
La conversion de Paul
sur le chemin de Damas
Cest sur ce thème de lexpérience spirituelle
vécue par Paul sur le chemin de Damas que Florence Taubmann
avait placé sa prédication lors du culte du 25 juin
dernier.
La prédication avait été précédée
de la lecture de dix-neuf des trente versets qui constituent,
au chapitre 9 des Actes des Apôtres, le récit de
la conversion de Paul.
Tout à coup une lumière
venant du ciel resplendit autour de lui.
Il tomba par terre et entendit une voix.
Tout tremblant il dit : Seigneur que
veux-tu que je fasse.
Il fut trois jours sans voir et ne mangea
ni ne but.
Cherche dans la maison de Judas un nommé
Saul. Il prie.
Cet homme est pour moi un instrument
de choix.
Je lui montrerai combien il faudra quil
souffre pour mon nom.
Jésus qui test apparu ma
envoyé pour que tu sois rempli dEsprit Saint.
Il tomba de ses yeux comme des écailles
et recouvra la vue.
Il se leva, fut baptisé et retrouva
ses forces.
(Extraits des Actes des Apôtres.
Chap.9. Versets 1 à 19)
Quand on vit une expérience
spirituelle forte, une révélation personnelle ou une
illumination, on a un désir irrépressible de la raconter,
de la partager, den témoigner devant les autres. En
même temps, on a le sentiment que personne ne peut vraiment
comprendre que ce quon a vécu a quelque chose dunique,
quelque chose dincommunicable. Lexpérience spirituelle
est difficile à expliquer, à décrire ou à
mettre en mots. Pourtant, on ne peut renoncer à en faire
mémoire, ne serait-ce que pour soi-même. Pour retremper
sa foi ou ses convictions et pour se donner la force de vivre et
davancer. Cest souvent au cur dune expérience
spirituelle forte que se décident les orientations et les
engagements les plus importants dune existence humaine. Une
expérience que lon nomme encore, quand on est croyant
: « Rencontre avec Dieu », « Rencontre avec le
Christ » ou « Baptême desprit ». Si
lon nest pas croyant on parle en dautres termes,
mais les effets peuvent être assez proches.
Une expérience incommunicable
Cest donc cela que le Livre des Actes met en scène
en racontant la conversion de Saul (Paul) : une expérience
spirituelle forte, décisive, incommunicable
sauf sous
la forme dun récit merveilleux. Un récit qui
inspirera beaucoup dartistes, comme celui qui nous a laissé
cette fresque à lOratoire. Mais derrière cet
épisode extraordinaire, que peut-on entendre de lexpérience
singulière dun homme frappé par la grâce
? Comment peut-on traduire cette histoire en mots et en réalités
que nous puissions faire nôtres ?
1) La première chose que je voudrais dire, cest que
lexpérience spirituelle nest pas une expérience
abstraite ; elle nous saisit dans notre réalité singulière,
dans notre identité première.
Qui est Saul au moment de lexpérience du chemin de
Damas ? Lui-même se présente dans les Actes et dans
les Epîtres : il est juif, né à Tarse en Cilicie,
cest-à-dire en Asie Mineure. Cest donc un Juif
de diaspora, ce qui lui donne une identité complexe. Il parle
le grec, laraméen et lhébreu, il baigne
dans deux cultures : la culture biblique et la culture grecque.
Par ailleurs, il est citoyen romain, puisquà cette
époque la puissance occupante de tout le bassin méditerranéen
est lEmpire romain. En même temps, Saul est un Juif
pieux, religieux. « Jai été élevé
à Jérusalem et jai eu comme maître Gamaliel
qui ma appris à connaître exactement la Loi de
nos ancêtres. Jétais aussi plein de zèle
pour Dieu que vous lêtes aujourdhui », dit-il
à ses coreligionnaires.
Un homme en quête dabsolu
Saul est donc disciple du maître pharisien Gamaliel et il
sinscrit dans ce mouvement religieux dont le souci nest
pas doctrinal mais pratique. Lobjectif du pharisaïsme,
cest de commenter et dinterpréter la Bible pour
lactualiser. Cest de traduire les Ecritures en principes,
en règles et en manières de vivre. Cest ce quon
appelle vivre sous la Loi et cela concerne aussi bien le domaine
religieux des rites que celui, éthique, de la relation au
prochain. Cette vie sous le Loi est considérée de
deux manières complémentaires : comme vie sous le
joug de la Torah (le ol hamitsvot), ce qui en souligne le caractère
difficile et pénible, mais aussi comme vie dans la joie de
la Torah (simha shel mitsva), ce qui traduit le bonheur de
servir Dieu.
Saul peut donc nous apparaître comme un être en quête
de perfectionnement, voire dabsolu, un être soumis à
la Torah quil comprend comme Loi. Il faut ajouter deux choses
:
- la première cest que manifestement Saul, qui est
un être zélé, ressent néanmoins la Loi
comme un joug lourd à porter bien plus que comme une joie.
- la seconde cest que son zèle de Juif pharisien
fidèle le conduit au fanatisme et à la persécution
de ceux qui ne pensent pas comme lui, en loccurrence les disciples
de Jésus.
Et là il y a quelque chose détrange, car ce
zèle fanatique de Saul va à lencontre de lenseignement
de son maître Gamaliel. En effet, celui-ci est un homme qui
prêche la tolérance. Au ch. 5 du Livre des Actes, alors
que les apôtres passaient en jugement devant le Tribunal,
on la vu calmer les esprits et prononcer les paroles suivantes
: « Ne vous occupez pas de ces gens-là et laissez-les
partir. Si leur projet et leur action viennent des hommes, cela
disparaîtra. Mais si leur projet et leur action viennent de
Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. Attention,
il ne faut pas que Dieu nous trouve parmi ses ennemis ! »
Donc lhomme qui court vers Damas est un homme complexe,
en quête dabsolu, insatisfait de ce quil vit,
en train de déraper vers un fanatisme meurtrier, un homme
qui, au fond de lui, a déjà rompu avec lexemple
du rabbi Gamaliel. Il vient dassister à la lapidation
du diacre Etienne, condamné pour sa foi nouvelle. Il a approuvé
ce meurtre et se lance lui-même activement dans la persécution.
La lumière qui vient dailleurs
2) La deuxième chose que je voudrais dire, cest que
lexpérience spirituelle peut constituer une mise en
lumière fulgurante de notre conscience. Nous voici maintenant
au moment crucial de lhistoire. Nous sommes surpris par un
Son et Lumière : Saul, aveuglé par une lumière
qui vient du ciel, est projeté à terre. Il entend
une voix qui lui parle et à laquelle il répond. Puis
il reste aveugle pendant trois jours.
Quelques remarques à propos de ce récit fantastique.
Dabord il nous interroge sur la signification du verbe voir.
On peut distinguer trois niveaux :
- le niveau de ce qui nous entoure et de ce qui se passe sous
nos yeux : les choses, les êtres, les formes, les événements,
les images, tout ce qui fait la vie et le vivre.
- le niveau de ce qui vient dailleurs, de ce quon
appelle le surnaturel, et qui apparaît dans une vision, ce
qui est souvent évoqué dans la Bible. Et sur le chemin
de Damas Saul bénéficie bien dune vision.
- le niveau de ce qui est le plus profond en nous-mêmes,
de ce qui fait la vérité de notre être : linvisible
aux yeux des hommes et que nul ne peut cacher à Dieu.
Ce que suggère laventure de Saul, cest que
cette lumière qui vient dailleurs le rend aveugle à
la réalité qui lentoure pour orienter son regard
vers lintérieur, vers le fond et la vérité
de son être, là où il ne peut échapper
à la réalité de sa conscience. Le ciel va illuminer,
de manière brutale, sa ténèbre intérieure.
Mais il faut le son, il faut la voix, la parole. Saul entend une
voix et cette voix fonctionne un peu comme la main qui déclenche
la lumière à lintérieur. Mais que dit-elle
? Elle nomme, elle se présente, elle dit une violence : «
Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Je suis Jésus que
tu persécutes.»
Lévénement a un caractère fantastique,
dautant que Saul na pas connu Jésus de son vivant.
Il na fait quen entendre parler. En revanche, il a vu
mourir lun de ses fidèles : Etienne. Il la même
entendu prononcer ses dernières paroles : « Seigneur
Jésus je te remets mon esprit ». Et encore : «
Seigneur, pardonne-leur ce péché. » Leffet
de la Parole est dallumer en Saul la lumière intérieure.
On pourrait dire aussi la conscience. Mais il ne faudrait pas croire
quil sagit de ce niveau de conscience que lon
visite soi-même par lexamen personnel, quil soit
quotidien ou non. Il sagit dun niveau de conscience
bien plus profondément enfoui dans lêtre. A tel
point quil ne peut être mis en lumière que par
une force extérieure.
Condamné à vivre, à aimer, à être
libre
La réflexion personnelle ny suffit pas, ni le seul
travail de la raison. Ce niveau de conscience, cest celui
des grands bouleversements de lexistence humaine. Celui où
lon apprend dans sa chair, son cur et sa conscience
ce que signifie le mal. Cest aussi, par conséquent,
celui où lon apprend dans sa chair, son cur et
sa conscience ce que signifie la grâce. Saul, le fanatique
sur le chemin de Damas, est frappé de plein fouet par cette
force extérieure qui, au moyen de léblouissement
et de la voix, lui impose un miroir dont la vue est insoutenable.
Dans ce miroir apparaît Saul, mais non plus Saul le pharisien,
le juif fidèle, le disciple de Gamaliel. Celui qui apparaît
cest Saul le meurtrier.
En même temps, auprès de cette apparition, il y a
une absence, un manque. Cest labsence de toute condamnation.
La voix qui parle à Saul est une voix amicale, cest
la voix de lami, celle de Jésus, du Messie, du Christ.
Saul est à terre, il est aveugle et sous lemprise dune
toute nouvelle conscience qui est pourtant la sienne. La conscience
du mal, celle de son mal. Pourtant, il ny a aucune condamnation.
Sil y en a une, cest celle de la condamnation à
une vie nouvelle, comme sa conscience, elle aussi, est nouvelle.
La grâce, cest peut-être cela : être condamné
non à mourir, non à souffrir, non à payer,
mais à vivre, à aimer, à être libre.
Sur ce nouveau chemin de Damas, Saul va devoir réapprendre
à marcher, aveuglément, dans la confiance envers ceux
qui le guident.
3) La dernière chose que je voudrais dire cest que
lexpérience spirituelle est une expérience de
libération. Lhomme saisi par la lumière sur
le chemin de Damas est un être prisonnier, qui rêve
dabsolu et qui est déçu par la réalité.
Un être qui souffre de la loi, qui fait souffrir ceux qui
sont dans la foi et qui, peu à peu, senglue dans la
haine et la détestation.
Cest aussi un être qui veut tuer.
Libéré de sa haine
Cest précisément de cela que Saul va être
libéré sur le chemin de Damas. Il ne va pas être
libéré de la Torah ni de la Loi, car ce nest
pas de cela quil a besoin dêtre libéré.
Par contre, il va être libéré de la haine meurtrière
qui lhabite. Haine de lautre, de la foi de lautre,
de sa liberté. Il va en être libéré par
une voix humaine, même si elle vient dun invisible visage.
La voix de Jésus le Messie, le Christ.
La libération est centrale dans lexpérience
spirituelle. Car vécue, ressentie au plus intime de lêtre,
elle en devient le fondement, la vérité. Et donc elle
devient aussi sa source damour pour autrui et pour le monde.
Libéré de sa haine par la conscience aveuglante qui
lui en a été donnée, redevenu comme un enfant
dans lobscurité du sein maternel, Saul pourra enfin,
au bout de trois jours et trois nuits, renaître à la
vie et à la lumière du jour. Il pourra recevoir le
baptême, non comme une purification, mais comme le signe de
la grâce invisible.
Cette expérience spirituelle nest pas une légende.
Cest un instant de vérité, une épreuve
de vérité à laquelle nous sommes conviés
à des moments-clefs de notre vie. Instant où quelque
chose se déchire en nous, peut-être parce que la coupe
est pleine, ou parce que la violence est trop forte. Instant où
une lumière et une voix forcent la porte de notre for intérieur,
nous libérant non pas de notre religion, de nos valeurs,
de nos devoirs, mais des forces de haine et de destruction qui se
sont accumulées en nous.
Renaître à la vie et à la joie
Car il nest pas besoin dêtre Saul, le fanatique
persécuteur, pour avoir accumulé de la haine en soi.
Il suffit bien de nos rêves un peu déçus, de
nos insatisfactions répétées, de nos jalousies
envers le prochain, il suffit bien de nos intolérances prêtes
à se réveiller, de nos malheurs personnels, de nos
jugements péremptoires sur ce qui se fait ou ne se fait pas.
Il suffit de tout cela pour quen nous la haine pointe son
nez et sépanouisse à lombre de paroles
qui tuent et de regards assassins.
Oui, nous aussi nous avons toujours besoin dêtre libérés,
dentendre la voix, dêtre renversés par
la lumière céleste et aveuglante de la grâce.
Nous avons besoin de fermer les yeux, de ne plus voir ce qui a déformé
notre regard, de ne plus entendre ce qui nous a habitués
au mal au point que nous ne le discernons plus. Nous avons besoin
dentendre cette voix : « Pourquoi me persécutes-tu
? », « Pourquoi me fais-tu du mal ? ».
Cette voix cest celle du Christ, celle du prochain. Quelle
nous soit inoubliable ! Non pour signifier notre condamnation, mais
notre libération, notre nouvelle naissance. Comme Saul nous
pouvons être réveillés, être saisis par
la Grâce. Nous pouvons être arrêtés en
chemin, brisés et renaître à la vie, à
la joie.
Florence Taubmann
Cette représentation peinte de la « Conversion de
Saint-Paul sur le chemin de Damas », ainsi que les anges portant
les instruments de la Passion, ornent encore la voûte de la
seconde chapelle de lOratoire, à gauche de la chaire.
(photo Oratoire du Louvre)
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