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Jeudis de rencontre et d'écoute
« Tu donnes du pain à qui a faim, c'est bien.
Mieux vaudrait que nul n'ait faim et que tu ne donnes à
personne ». (Saint Augustin).
J'aurais pu commencer à
vous parler du bilan d'une année, vous dire que près
de cent personnes ont eu besoin de la permanence pour X problèmes,
mais le déroulement d'une matinée type me semble plus
explicite. 10h - A mon arrivée, deux personnes m'attendent et Nicole,
notre dévouée secrétaire, me passe déjà
le téléphone. Soeur Evangéline, prieure des
diaconesses de Versailles m'informe de la suite donnée au
cas d'un jeune étudiant du Cameroun dont je m'occupe depuis
trois ans. Son inscription en 3ème année de médecine
est imminente et nous devons rapidement envoyer l'aide financière
prévue et accordée par le Conseil de l'Entraide. Echange
bref sur les difficultés politiques de ce pays, de cette
famille en particulier, des notes très satisfaisantes obtenues
pour notre protégé, du suivi de ses études
au cours de l'année.
10h15 - Je reçois la première personne, Mr. D, la
trentaine, n'a pas mangé depuis trois jours, galère,
a froid, a été mis à la porte du foyer pour
bagarres, vol de ses effets personnels, ne sait pas où dormir
ce soir, n'a plus de vêtements de rechange. Regard dans le
vague, n'est pas alcoolisé. Je lui propose un café
et des gâteaux. Je téléphone à l'Armée
du Salut qui lui trouve une place pour deux nuits et des repas.
Autre coup de fil à l'assistante sociale de la Clairière
pour faire le point sur sa situation administrative et assurer un
suivi afin de retrouver un emploi, réinsertion etc. Il accepte
le rendez-vous que j'obtiens pour l'après-midi. En fait,
il est très fatigué. Don de quelques euros pour déjeuner
et tickets de métro.
11h - La deuxième personne (connue), M.J. un Roumain, a
besoin de photocopier quelques documents, d'être aidé
pour rédiger plusieurs lettres administratives, de remplir
des questionnaires etc... Me demande une carte téléphonique,
des tickets de métro, pas d'argent. Autre appel, Nicole me
passe le téléphone. Mme F., 75 ans, déprime,
a besoin de parler. Je lui explique que je suis occupée et
que je vais la rappeler, mais elle est déjà en larmes.
Je l'écoute un moment. « Vous comprenez, c'est le jour
anniversaire de la mort de ma mère. J'avais entrepris de
faire le ménage et puis je n'arrête pas de pleurer.
Ne me laissez pas. Vous savez, j'ai pris des comprimés..
Je ne sers à rien.. J'aimerais mieux mourir... ». Dès
que possible, je la rappellerai. Elle a confiance, ce n'est pas
son premier appel ! Mr. J., après le tri de ses papiers,
me remercie. Il reviendra jeudi prochain. Je lui donne un blouson
et une écharpe.
12h - Arrivée d'un jeune étudiant, 22 ans, venant
du Pérou. Artiste, études de sculpture. Protestant,
venu par hasard à l'Oratoire, suit le culte depuis deux dimanches.
Recherche logement et un job. Actuellement, il est hébergé
chez des amis, mais il doit quitter ce lieu à la fin du mois.
Je pense immédiatement à un couple âgé
de notre paroisse qui m'avait proposé une chambre disponible
chez eux. Après un coup de fil, un rendez-vous est pris.
Pour le job, je l'oriente vers une distribution de journal de théâtre.
Je prends aussi un rendez-vous avec le responsable de « Travail
au Clair » de la Clairière. Je lui parle du groupe
de jeunes de la paroisse et lui donne ses coordonnées. Il
reviendra jeudi prochain. Je pense à nos pasteurs et lui
propose de les rencontrer. Werner qui est présent le reçoit.
De nouveau le téléphone, une dame profondément
attristée par un deuil récent aimerait bien me rencontrer
et se proposer pour du bénévolat. Il n'y a pas d'urgence.
Je lui donne rendez-vous pour jeudi prochain.
12h30 - Mr.D. un Rwandais, (connu) passe me réclamer des
tickets repas dont je lui avais parlé précédemment.
Je lui explique que je ne les ai pas encore reçus. Il s'énerve..
M'explique qu'il est inscrit dans une agence d'intérim comme
aide- électricien, mais aucun job depuis un mois. Pas d'argent
pour payer une facture d'électricité, etc... Cette
fois il est accompagné de son petit garçon de trois
ans. Avec mon jeune chiot labrador, l'enfant commence à jouer.
Mais je m'aperçois qu'il ne parle pas et n'émet que
quelques sons. Je m'inquiète et demande à son père
pourquoi ? Il me raconte les horreurs vécues dans son pays
d'origine. « Cet enfant n'a jamais parlé, c'est de
naissance. Et puis, les hôpitaux, les médecins, c'est
très cher, ce n'est pas pour moi, je n'ai pas les moyens
»... Avec son accord, je cherche un dispensaire et l'oriente
vers un centre médico- psychologique pour l'enfance que je
connais. Miracle ! A cette heure j'obtiens un rendez-vous. Il me
promet de s'y rendre, d'autant que la personne qui l'accueillera
est un médecin de mes connaissances. Il me dit « Vous
êtes une sainte ». Cela me fait bien rire, mais lui
a les larmes aux yeux
Don de quelques euros pour une carte orange. L'enfant tient à
garder un petit crocodile, jouet de mon jeune chien. Cette visite
m'a émue. J'ai besoin de parler avec « nos amis du
secrétariat ! »
13h15 - Je rappelle Mme F. Je lui demande ce qu'il en est du rendez-vous
pris auprès d'un organisme médicopsychologique qui
propose des rencontres avec des personnels médicaux, mais
organise aussi des visites de musées, sorties... Elle me
dit y avoir été deux fois et que cela lui a plu. Elle
va poursuivre. Du coup, la conversation prend une orientation plus
positive et plus détendue. Elle me promet de venir en visite
un prochain jeudi. Elle est moins angoissée. Le téléphone
est un lien qu'elle semble apprécier.
Il est 3h45. Tout le monde est parti. C'est dans le calme que
je peux rédiger les notes prises durant ces rendez-vous.
J'apprécie ce lieu de la bibliothèque du secrétariat
où, une fois les portes fermées, les différentes
personnes peuvent, dans la confidentialité, parler en toute
tranquillité, sans être critiquées ou rejetées,
parce qu'elles sont différentes. Le fait de bénéficier
du secrétariat est très « aidant » et
aussi « rassurant ». Je reçois des personnes
très « limites » et aussi agressives, alcoolisées,
droguées ou psychiquement fragiles.
A ce jour, j'ai rencontré des gens de la paroisse, de la
France entière, et aussi venant d'Allemagne, de Roumanie,
du Portugal, du Pérou, d'Amérique, des
Antilles, de Thaïlande, du Cameroun, du Rwanda, du Cambodge,
de Hongrie, et d'Ukraine. Des gens qui refusent de donner leur identité
et gardent leur mystère, des gens de milieux et d'horizons
professionnels différents : manutentionnaires, professeurs
agrégés, personnels soignants, artistes, femmes de
ménage, également des chômeurs, des religieux,
des ex-détenus, ou des détenus suivis par courrier.
Cette présence par l'écoute et spécifique,
c'est aussi pour que chacun puisse penser voir en moi une alliée.
Sans jugement sur les situations et ne pas chercher à trouver
systématiquement une solution. Être un soutien au bon
moment, prendre en compte les traumatismes de toutes sortes. Préparer
à affronter un changement. Favoriser la rencontre avec l'autre,
qui a fait la démarche souvent douloureuse de venir.
Marie-France Pecisse
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