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Du politique au spirituel
Une crise qui nous interpelle jusquau cur de lEglise
Dans lEglise on ne fait pas de politique. Non que lon
oublie le citoyen à la porte du temple pour endosser le vêtement
de chrétien, mais il existe un accord tacite pour que chacun
demeure discret sur ses opinions et sabstienne de lancer des
débats politiques qui risqueraient de nuire à lesprit
fraternel de la communauté. De la même manière,
on parle peu de religion dans lespace public et on montre
la même discrétion sur son appartenance confessionnelle
une fois que lon est sorti du temple.
Il sagit de respecter le cadre laïc que la France sest
donné pour une bonne marche de la vie publique, mais aussi
de traduire une conviction théologique : faire intervenir
Dieu dans nos affaires humaines peut se révéler dangereux,
dautant que la tentation est forte de linstrumentaliser
à des fins idéologiques.
Quand le mot « Dieu » sort de sa réserve
En même temps ne faut-il pas distinguer le politique de
la politique et, peut-être en écho, le religieux de
la religion ? Et lun comme lautre sortent souvent du
cadre assigné. Si le politique désigne tout ce qui
relève de la vie commune dans la cité, comment lEglise
pourrait-elle échapper aux soubresauts qui laffectent
et aux interrogations qui le traversent? Par temps calme laction
personnelle du citoyen suffit sans doute à manifester lengagement
chrétien qui motive et anime cette action : pour plus de
justice, plus de fraternité, dhonnêteté
Mais par temps de crise, les ondes de choc se font sentir jusquau
cur de lEglise « assemblée autour de la
Parole de Dieu ». De la même manière, le religieux
se vit normalement dans les lieux faits pour cela, à savoir
les lieux de culte et le cur des croyants. Mais il y a des
moments où le mot « Dieu » sort de sa réserve
et envahit lespace public et médiatique, devenant un
terme politique.
Un excès de maux, dangoisses et de misère
Sauf à choisir de vivre dans une bulle religieuse, lEglise
ne peut que faire écho aux grandes angoisses du temps. Par
exemple, depuis plusieurs années est évoquée
la fracture sociale qui affecte notre société française.
Aujourdhui beaucoup déléments donnent
à penser que loin de se réduire, cette fracture est
en train de saggraver en dislocation sociale : angoisse de
la jeunesse face à lavenir, violences graves au sein
de lécole, développement accru de lenfermement
communautariste, faits divers témoignant dune fascination
et dune banalisation de lhorreur, misère des
sans-abri allongés sur les trottoirs de nos villes, sans-abri
dont certains ont un emploi sans pouvoir se payer un logement
Il y a aujourdhui dans notre paysage social un excès
de maux inquiétant, excès face auquel les volontés
politiques semblent parfois impuissantes, de même que le magnifique
travail associatif et humanitaire de tous les anonymes qui sengagent
pour leur prochain. Tout se passe comme si les réels progrès
réalisés en faveur de la vie et de la fraternité
entre les hommes étaient minés par une force obscure
qui na de cesse de les réduire à néant.
La haine et lindifférence éclatent et se
développent
Cette force obscure, elle est faite à la fois de haine
et dindifférence. Une haine qui semble avoir germé
et prospéré depuis longtemps dans les souterrains
de notre société sans quon en ait pris conscience
et qui, aujourdhui, éclate ici et là, de manière
sporadique, gagnant du terrain dans les esprits et les âmes
et polluant toute la communication sociale et politique !
Une indifférence qui se développe à la cadence
où une humanité « adaptée » à
toutes les conditions techniques de la vie contemporaine séloigne
de ce quelle a de commun avec une autre humanité «
inadaptée » : à savoir la conscience de sa finitude,
de sa vulnérabilité, de son interdépendance.
Haine et indifférence ! Voici les mots lâchés
qui nous interpellent jusquau cur de lEglise,
où nous essayons de dire, de prêcher, de vivre et de
partager une religion de lamour : amour de Dieu, amour de
Jésus-Christ, amour fraternel des uns pour les autres ! Quavons-nous
à dire de cette haine et de cette indifférence ? Quavons-nous
à leur opposer depuis lEglise, non lEglise en
tant quinstitution mais lEglise en tant quassemblée
réunie autour de la Parole de Dieu ? Ne devons-nous pas commencer
par partager nos soucis et nos prises de conscience à ce
sujet ? Ne devons-nous pas, ensemble, porter devant Dieu nos angoisses,
notre chagrin pour la cité, notre prière dintercession
pour le monde ?
Un Dieu pour les rencontres fraternelles
Notre temps vit une crise morale et spirituelle grave, qui ne
concerne pas seulement les croyants, mais toute la société
civile. Car derrière des problèmes précis relevant
du traitement social et politique se cache une perte du sens de
lhumain. Sur fond de cette perte, les manifestations de la
haine, lattrait du nihilisme, ne peuvent que samplifier
et saggraver.
Dautant plus quun « Dieu » fait aujourdhui
sa réapparition dans lespace public et médiatique
: un « Dieu » dénonciateur de notre monde, de
nos modes de vie, de nos valeurs, de notre liberté, en particulier
celle des femmes, un « Dieu » qui alimente la haine
à travers les discours et les actes des islamistes et de
ceux qui les soutiennent. Via le net et les télévisions
satellitaires ce « Dieu » de mort fait des ravages quaucune
frontière narrête, puisquil peut atteindre
directement les esprits et les curs sensibles à son
message dans le cadre de la vie privée.
Nous avons donc une responsabilité lourde à porter
certes, mais pleine de noblesse : celle de témoigner dun
Dieu qui nest pas pour la mort, mais pour la vie, un Dieu
qui nest pas pour la malédiction, mais pour la bénédiction,
un Dieu qui nest pas pour la ségrégation entre
les humains, entre les groupes, entre les religions, mais pour les
rencontres fraternelles et le travail commun.
Si le « nous » de lEglise est nécessaire
pour porter aujourdhui cette responsabilité, cest
parce que les questions sociales, politiques, humaines et spirituelles
que nous avons devant nous sont trop importantes pour que chacun
des « je » chrétien et citoyen que nous sommes
puisse y répondre tout seul.
Florence Taubmann
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