Cultures et pauvretés
Dans l'Evangile, l'épisode
du Bon Samaritain, qui appelle au service de l'autre, précède
immédiatement celui de Marthe et Marie, qui exhorte à
l'écoute de la Parole. Les deux sont liés. Nous devons
donc pas opposer l'action caritative et la pensée : l'une
et l'autre sont dictées par le mouvement de la foi.
Les nécessités de l'action sociale changent avec
les contextes et les temps. Quelles sont-elles, aujourd'hui ? Dans
nos villes, je constate que les plus grands fléaux se résument
en deux mots : la pauvreté, la solitude. Et je remarque aussi
que deux verbes résument la plus urgente des nécessités
: partager, accompagner.
Il existe bien des formes de pauvretés, de la plus belle
à la plus tragique. Il existe de même bien des formes
de solitudes. Certaines sont choisies. Elles se vivent dans la joie.
D'autres ne sont que subies. Elles conduisent à la désespérance.
Il y a tout d'abord la pauvreté choisie. Ceux qui la vivent
me font penser aux saints de l'époque médiévale.
Ils nous dérangent, nous étonnent. lis parcourent
le monde en poursuivant leur idéal. Et dans le fond je les
admire.
Mais il y a aussi la pauvreté dont on n'a pas voulu. Celle-là,
bien souvent, revêt la forme du tragique. Nous la constatons
chaque jour dans les rues de nos villes. Limage nous en est
sans cesse renvoyée Heureusement, des femmes et des hommes
oeuvrent pour limiter la souffrance qu'elle produit. Cela reste
toujours insuffisant. Mais on assiste aussi à des actes d'héroïsme.
Et cela maintient J'espérance.
Cependant, il existe une autre forme encore de pauvreté.
Elle est peut-être plus douloureuse. Je l'appellerai volontiers:
la pauvreté qui ne se voit pas. C'est la misère de
ceux qui ont l'air riches, qui jamais ne demandent rien. Ceux qui
les croisent ne la remarquent pas.
À l'époque de la Réforme, le phénomène
était connu. Calvin recommandait aux diacres de l'Église
de se montrer très attentifs à de telles situations.
Il fallait établir avec eux une relation de confiance. Il
fallait tenter de connaître ceux que l'on appelait alors les
-pauvres honteux-.
Durant des siècles, en Occident, faire faillite était
vécu comme une honte. On se détournait de tous ceux
qui n'avaient plus d'argent. Mieux valait pour ceux-là être
nés pauvres. Mieux valait ne jamais montrer qu'on l'était
devenu. Cela fit que des hommes célèbres terminèrent
leur existence sans amis. Je songe par exemple à Dunant,
le fondateur de la Croix-Rouge. Probablement Mozart eut-il la même
destinée.
Aujourd'hui, la faillite est devenue banale. Chaque jour apporte
son lot de fermeture d'entreprises. Cela ne surprend plus. Mais
les réflexes restent les mêmes : peu de structures
sont en place pour tenter d'éviter à ces pauvres honteux
de notre temps de finir à leur tour dans la misère.
On s'en occupera quand ils n'auront plus rien ; on pensera à
eux quand il sera trop tard.
L'Église a pour mission d'intervenir là où
le monde contemporain est désarmé' La prévention
de la misère, la protection de la personne humaine, l'accueil
et l'accompagnement de ceux qui sortent d'épreuves lourdes,
voilà quelques urgences de notre temps. Voilà quelques
nécessités auxquelles ne peuvent parfois répondre
que des communautés de foi.
Que dois-je faire ? Cette question restera toujours en partie
sans réponse. Tout ce que je ferai sera bien peu de choses,
en regard des nécessités. Mais je ne peux m'empêcher
de songer à ces mots rédigés sur un carnet
dAndré Malet. Je vous les cite pour conclure : "Tout
ce que tu peux faire, fais-le".
Pierre-Yves Ruff
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