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Chanter c'est prier deux fois

Psaumes 22, 25, 104 et 146

 

Chanter c'est prier deux fois, dirent Saint Augustin puis Luther. La tradition protestante a toujours accordé une place centrale au chant, par lequel l'assemblée participe à la liturgie. Par lui se transmet une bonne part de l'enseignement biblique et catéchétique. Au temps de la Réforme, la versification et la mise en musique des psaumes pour l'assemblée ont loué un très grand rôle dans l'imprégnation de la culture biblique. Et nous avons tous fait l'expérience de cantiques familiaux transmis de génération en génération, que parfois l'on a chantés bien avant d'en comprendre le sens.

Car la sensibilité peut précéder l'intelligence. De même la prière et le chant peuvent s'intervertir. Il arrive que des personnes ne parviennent pas à prier, ne sachent pas prier ou soient mal à l'aise avec la prière. Le chant peut alors se révéler pour elles un meilleur moyen d'expression, car la charge spirituelle y est portée à la fois par les mots et la musique. Quelquefois chanter c'est prier sans en avoir l'air, cela peut satisfaire notre pudeur. Le chant peut alors devenir une école de la prière.

Ma prédication d'aujourd'hui se voudrait un manifeste en faveur du chant, car d'une part nous ne devons pas perdre ou laisser s'appauvrir notre patrimoine, et d'autre part le chant nous permet de transmettre une connaissance, une spiritualité. Il invite à une certaine profondeur puisque tout le corps devient instrument de prière, vibre à la joie de la communion, à la joie de chanter ensemble. Aussi à la parole de Saint Augustin « chanter c'est prier deux fois », le voudrais ajouter « chanter c'est prêcher deux fois ». Et le vais reprendre quatre extraits de psaumes qui expriment quatre expressions de la prière : la souffrance, la repentance, la louange, la libération.

L'expression de la souffrance

J'ai préféré commencer par l'expression de la souffrance pour terminer ce temps de méditation et de chant par celle de la joie. Terrible souffrance que l'on rencontre aujourd'hui à travers le psaume 22, et qui a une résonance particulière pour nous chrétiens, puisque c'est ce psaume que l'évangéliste met sur les lèvres de Jésus au moment de son supplice sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné ?»

Tout être humain connaît un jour ou l'autre l'épreuve de la souffrance, et ce que nous livre le psalmiste de cette expérience mérite d'être souligné, car dans sa justesse et sa profondeur il dit des choses vraies dont nous n'avons peut-être pas conscience ou que nous ne saurions pas formuler nous-mêmes le sentiment d'abandon par exemple. L'épreuve de la souffrance enferme facilement celui qui la vit dans l'isolement. Cette épreuve si personnelle donne le sentiment dune profonde solitude, d'une incompréhension de la part des autres. Parfois ce sentiment est justifie, car voir la souffrance envahir le visage ou la vie de quelqu'un fait peur. L'entourage, les amis, les relations peuvent être tentés de s'éloigner de la personne qui souffre, ne sachant comment l'atteindre, lui parler. Ils peuvent manifester une forme de respect impuissant.

Même quand l'abandon n'est pas réel, la souffrance peut nous persuader du contraire. Et c'est ce qui arrive fréquemment dans notre relation à Dieu la souffrance nous fait croire qu'il nous abandonne. Alors ce qu'il faut noter d'extraordinaire dans ce cri d'abandon que Jésus reprend sur la croix, c'est qu'il s'adresse à Dieu malgré tout, même si c'est pour le mettre en cause, l'accuser d'abandon. Donc paradoxalement, on peut entendre ce cri comme un cri de foi: du fond de la douleur, le psalmiste abandonné n'abandonne pas Dieu. Il prononce encore son nom. Un peu comme dans ces moments terribles de l'existence où l'on se prend la tête dans les mains en disant « 0h mon Dieu ! 0h mon Dieu ! »

Le psalmiste dit encore quelque chose dont nous pouvons faire l'expérience : les effets de la souffrance morale sur le corps, l'insomnie: « Pendant la nuit le t'appelle encore et le ne trouve pas le repos. » Plus loin il se compare à un ver, évoque la douleur de ses os, le déchirement de son ventre, sa gorge sèche, ses yeux vidés de larmes.

Cette douleur fait que le sentiment d'abandon se double de celui de la persécution. Comme dans un délire, ses persécuteurs apparaissent au psalmiste sous les traits d'animaux féroces : lions, taureaux chiens sauvages... Ce sentiment de persécution n'est pas l'apanage de la souffrance, mais on peut y entendre une mise en garde contre le repli sur soi, l'emmurement dans sa propre souffrance, qui fait voir le monde et les autres sous un jour hostile et effrayant.

Le psalmiste indique alors par son chant un chemin pour sortir de la douleur qu'il exprime et examine : le chemin de la parole, parole-confidence qui devient parole-prière, parole-prière qui devient parole-plainte, parole-plainte qui devient parole-espérance, peut-être, possiblement. Là se trouve la source de l'inimaginable chant.

La repentance : retour vers Dieu

Le deuxième thème, exprimé par le psaume 25, est celui de la repentance, du retour vers Dieu. La repentance implique, elle aussi, une souffrance

celle de la conscience et de la lucidité. Pour vivre la repentance, pour opérer le retournement vers Dieu et vers son prochain, il faut accepter de vivre la souffrance du mal qu'on a fait. C'est pourquoi il est souvent presque impossible aux grands criminels de se repentir. Passer par la conscience de ses actes suscite un effroi infernal, une peur intime peut-être pire que la mort. La honte peut faire désirer mourir. Mais sans aller jusqu'à cette situation extrême, cet exemple nous fait comprendre la profondeur des enjeux de l'acte de repentance.

Le premier enjeu, nous l'entendons dans l'extrait du psaume 25, c'est la question du souvenir, et plus exactement la lutte entre deux types de souvenirs: le souvenir de la faute et le souvenir de la bonté de Dieu. Ce qui donne la force de la conscience, la force de se souvenir du mal qu'on a commis et d'entrer en repentance, c'est le souvenir de la bonté et de la fidélité de Dieu. L'homme peut accepter le travail de sa conscience, accepter le souvenir du mal qu'il a commis, accepter d'être sous le regard de Dieu parce qu'il se souvient de Dieu. Il se souvient à la fois de sa justice et de sa miséricorde, car elles sont liées. Le regard de Dieu ne condamne pas : c'est un regard qui juge et qui pardonne.

Et justement, la prière de l'homme, c'est que la miséricorde ait le dernier mot: « Seigneur, oublie les fautes de ma jeunesse et mes péchés, mais à cause de ton amour, Seigneur, souviens-toi de moi, toi qui es bon. » Une des plus belles illustrations évangéliques de ce retour de l'homme vers Dieu et de cet accueil de l'homme par Dieu est la parabole du fils prodigue. On le voit quitter la maison familiale en emportant sa part d'héritage qu'il gaspille. Il se retrouve seul et miséreux. Pourtant au lieu de désespérer, il rentre en lui-même, et dans sa conscience il trouve, en même temps que la lucidité sur ses actes, le souvenir de la bonté paternelle. Il retourne alors vers son père qui efface ses fautes et l'accueille en fils.

Ce chemin du retour, de la rencontre, est, après le souvenir, le second enjeu de la repentance. C'est une route nouvelle, parcourue dans l'autre sens route du retour vers Dieu après l'éloignement, plus précieuse que toute route au monde, car c'est la route que Dieu ouvre devant nous pour l'avenir. Le souvenir évoqué dans le psaume, ou dans la parabole du fils prodigue, n'est donc pas une rumination du passé ou du trésor perdu. C'est au contraire l'espérance de l'avenir, un avenir apaisé qui retrouve son sens parce que c'est Dieu qui le crée et le conduit. Alors le psalmiste peut nous inviter à chanter : « Oui le Seigneur est bon et juste, il montre aux pécheurs la route à suivre. Il guide les gens simples sur le chemin juste. »

La louange au Dieu créateur

Le troisième thème est celui de la louange. Et là l'ai choisi quelques versets du magnifique psaume 104, le grand psaume de la création. Bien sûr tout le monde ne croit pas au Dieu créateur, même parmi les chrétiens. Et la question qui consiste à se demander si Dieu a vraiment créé le monde donne toujours l'occasion de passionnants débats entre science et foi. Cependant en même temps rien n'est plus universel que l'étonnement émerveillé devant la création, y compris dans sa dimension parfois effrayante.

La musique et le chant qui nous invitent à louer le Dieu créateur ont quelque chose d'universel. Ils ouvrent le regard et le cour, nous entraînent à la manifestation de la joie, à l'élévation des voix, à l'émission puissante du souffle. Est-il quelque chose de plus communicatif? D'une certaine façon, nous nous chantons nous-mêmes quand nous chantons la création, nous sommes tout entiers dans notre chant.

Certains suggèrent pourtant que le silence conviendrait mieux à ce regard tourné vers la création et le Dieu créateur. Dieu désire-t-il qu'on lui dise ce qu'il sait déjà, et qu'on lui rappelle son oeuvre ? Je me souviens d'un monsieur qui se sentait très mal à l'aise avec la prière de louange : « Je déteste faire des compliments à Dieu, me disait-il, il n'en a pas besoin. »

Pourtant il est très juste de dire ou de chanter ce qui peut paraître évident ou requérir le silence de la contemplation. Il s'agit là d'une joie à l'état pur, d'un acte gratuit. Il ne s'agit pas dune nécessité, comme peuvent l'être l'expression de la souffrance ou celle de la repentance. Cela appartient à l'ordre de la gratuité. Il est donné à l'homme de pouvoir chanter sa joie, son émerveillement, son exultation devant ce monde qu'il habite et qui, chaque jour, sort des ténèbres de la nuit pour entrer dans la lumière du jour : « Que la gloire du Seigneur dure toujours I Que le Seigneur se réjouisse de ce qu'il a fait ».

L'acte majeur de Dieu la libération

Le quatrième thème est celui de la libération : le Dieu biblique n'est pas seulement Dieu créateur, mais surtout Dieu libérateur. Le fondement de la Bible est l'histoire de la sortie d'Egypte, de la libération de l'esclavage. C'est l'un des actes majeurs par lequel Dieu s'est fait connaître à son peuple et a fait alliance avec lui. Le Décalogue ne commence-t-il pas par ces paroles : « Je suis l'Eternel ton Dieu qui t'ai fait sortir d'Egypte, de la maison de servitude. » La Loi et l'éthique biblique s'enracinent dans un événement de libération. Là encore la tâche première est den garder le souvenir.

C'est par conséquent le thème de nombreux psaumes, et que l'on entend dans ce psaume 1,46. C'est aussi une réalité toujours présente chez les prophètes qui, grâce à ce souvenir, peuvent espérer et annoncer au peuple et au monde entier un avenir de libération : libération sur le plan politique avec la fin de l'oppression, sur le plan économique avec la fin de la misère, sur le plan éthique et spirituel avec la réconciliation, sur le plan physique avec la guérison des maux, des infirmités et des douleurs.

On entend dans ce psaume, que Jésus reprendra pour annoncer le royaume de Dieu, la joie d'une libération personnelle et communautaire, partagée par la création toute entière. C'est dans l'allégresse de ce dernier thème que nous finirons. Peut-être aurons-nous réappris l'importance et la richesse de la prière et du chant, expressions de tant de sentiments et d'émotions : la souffrance de la plainte, le travail de la repentance, l'éblouissement devant la création, la joie de la libération. « il est heureux celui qui s'appuie sur le Dieu de Jacob, qui met sa confiance dans le Seigneur son Dieu. »

Florence Taubmann

 

 

 

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Article tiré du bulletin de l'Oratoire du Louvre à Paris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Psaume 22
« Mon Dieu je crie le jour, et tu ne réponds pas »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Psaume 22
« Et toi Éternel ne t'éloigne pas Toi qui es ma force, viens en hâte à mon secours.»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Psaume 25
« Éternel, fais-moi connaître tes voies... Conduis-moi dans ta vérité, et instruis-moi »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Psaume 104
« Éternel, mon Dieu, tu es infiniment grand. Tu es revêtu d'éclat et de magnificence »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Psaume 146
« L'Eternel règne éternellement Ton Dieu, ô Sion, subsiste d'âge en âge! »

 

 

 

 

pasteur Florence Taubmann


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