Le Père Richard Cadoux,
prêtre oratorien enseignant à lInstitut catholique,
nous a fait le plaisir danimer lune de nos soirées
du mardi, en évoquant pour nous le fondateur de lOratoire.
Né en 1575, mort en 1629, après avoir fondé
lOratoire en 1611 et été ordonné cardinal
en 1627, Bérulle est un homme du Concile de Trente (1545-1563)
et de la Contre- Réforme, dont le but fut à la fois
de réformer lEglise catholique et dendiguer
le protestantisme.
Issu dun milieu parlementaire lié au chancelier
Séguier, ayant grandi dans le Paris de la Ligue, formé
par les jésuites au Collège de Clermont (Louis Le
Grand), Bérulle hésita à entrer dans la Compagnie,
mais celle-ci fut expulsée en 1594 après lattentat
contre Henri IV par lun de leurs élèves :
Jean Chastel . Bérulle poursuivit ses études à
la Sorbonne et fut ordonné prêtre en 1599
En même temps, il faisait montre dune grande précocité
spirituelle, favorisée par linfluence des Capucins,
des Chartreux, et de sa propre cousine Madame Acarie, qui tenait
salon à Paris et qui bénéficiait de profondes
expériences mystiques. Le premier ouvrage de Bérulle
sera dailleurs : Bref discours de la perfection intérieure.
Bérulle mènera de front deux types dactivité
: laccompagnement spirituel et la controverse. En 1600 il
participe à la Controverse de Fontainebleau qui oppose
le Cardinal du Perron à Duplessis-Mornay. En 1609 il polémique
lui-même contre le Pasteur Dumoulin.
Sur le plan spirituel sa première uvre sera dintroduire
en France le Carmel réformé par Sainte Thérèse
dAvila en 1584. Fascinés par luvre espagnole,
les dévots français le cercle Acarie- affirment
que la réforme doit être spirituelle avant dêtre
institutionnelle. Bérulle obtiendra dHenri IV la
permission et les moyens dinstaller des carmélites
espagnoles en France en leur donnant mission de former les futures
carmélites françaises. En octobre 1604, six religieuses
arrivent au couvent de lIncarnation, et à la mort
de Bérulle 42 carmels auront été fondés
.
Sa deuxième création est la fondation de la congrégation
de lOratoire.
A la suite du Concile de Tente sest mise en route une
profonde réforme du clergé séculier, très
mal formé au 16ème siècle par manque de séminaires.
Même au 17ème siècle, le séminaire
naura les moyens humains et financiers de fonctionner quà
partir de 1640. Conscient des faiblesses théologiques et
spirituelles du clergé, Bérulle travaille dabord
modestement, en regroupant quelques prêtres en communauté
de façon à les former et à les mettre à
disposition des évêques. Il a pour modèles
denseignement les jésuites, les oblats de Saint Ambroise,
et Philippe de Néri, le fondateur de lOratoire romain.
Cet admirateur de Savonarole, né à Florence en
1515, monta à Rome où il fut profondément
frappé par le nombre de personnes désuvrées.
Il eut lidée de les inviter à former une sorte
de groupe de prière quon appela lOratoire.
A la demande du pape, Philippe de Néri fut ensuite ordonné
prêtre pour encadrer le mouvement. Mais lOratoire
resta toujours placé sous une double autorité :
celle de lévêque, et celle du supérieur
de la congrégation.
LOratoire est introduit à Thonon par François
de Sales, ami de Bérulle. Et en 1611, celui-ci fonde lOratoire
de France à lhôtel du Petit Bourbon, vers lactuel
Val de grâce. Lexpansion est très rapide si
bien quà la mort de Bérulle 50 maisons auront
vu le jour, les premières à Dieppe, à la
Rochelle, à Saumur
avec parmi leurs objectifs de lutter
contre linfluence du protestantisme, les principaux étant
léducation, la mission, les hautes études.
En 1616, lOratoire sinstalle à lhôtel
du Bouchage, tout près du Louvre afin de se rapprocher
du pouvoir royal. En effet, la réforme doit se faire par
le haut. Les travaux commencent en 1621. Et pendant tout lAncien
Régime cette maison aura un rôle de premier plan
en tant que foyer liturgique et lieu de prédication. Les
oratoriens, quon surnomme les pères aux beaux
chants possèdent une belle bibliothèque,
avec beaucoup de manuscrits orientaux. Bérulle a même
eu le projet déditer une Bible polyglotte.
Mais ce fondateur fut également un homme politique, lié
à Marie de Médicis, aumônier dHenri
IV , et chef du parti dévot à partir de 1620. Mais
un conflit lopposa à son ami Richelieu dans les années
1628-1629 : par réalisme politique, Richelieu décida
de composer avec les protestants, et il fut soutenu par Louis
XIII., ce qui signifia la défaite de Bérulle et
du parti dévot.
Cette implication dans les affaires de son temps ne lempêcha
pas dêtre avant tout un grand spirituel, qui vécut
dans lévidence et ladoration de Dieu. Bérulle
développa un vrai christocentrisme : son Dieu est celui
de lincarnation, de l abaissement, tels que lexprime
la confession de foi de lépître aux Philippiens
au ch 2, versets 5-11. Lenfant Jésus tenait dailleurs
une grande place dans la dévotion du XVIIème siècle
En tant que maître spirituel, Bérulle sinterrogea
sur les liens unissant le chrétien à Jésus
: lien sacramentel de lEucharistie, vu de servitude
à Jésus, proposé aux carmélites et
aux oratoriens, et adhésion mystique aux états de
Jésus par la prière. Il inventa dailleurs
une méthode pour prier : garder Jésus sous les yeux,
dans le cur, et dans les mains. Cest cette spiritualité
quil proposait aux prêtres et qui est à la
base de ce que lon appelle lécole française
de spiritualité , laquelle marquera beaucoup Saint
Sulpice et tous les prêtres français jusquà
nos jours. Mais Bérulle tenait à rappeler aux prêtres
quils étaient dabord des baptisés, et
que le lieu de leur sanctification est le ministère qui
leur est confié.
Bérulle, cet homme petit, doux, onctueux même,
autoritaire et très secret, a marqué la spiritualité
française bien au-delà de son époque, de
par ses fondations mais aussi de par ses convictions spirituelles.
Il a façonné un certain type de prêtre et
de chrétien : le catholique dévot. Une belle figure
en est Saint Vincent de Paul, qui fonda les lazaristes pour les
pauvres ; un exemple moins édifiant en est le Tartuffe
immortalisé par Molière
.
Merci encore au Père Richard Cadoux pour sa passionnante
présentation de celui dont nous sommes aussi, - ironie
de lhistoire- , un peu les héritiers. Mais on sait
que son corps a quitté lOratoire au moment de la
révolution. Quant à son âme, peut-être
se réjouit-elle finalement de ce retournement des choses
? Qui sait ? Avec le temps
.
Florence Taubmann