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Annie Vallotton et larmée des crayons
Dessinatrice,
musicienne, écrivain, Résistante,
Annie Vallotton est une figure de lOratoire.
Portrait réalisé par Anne Biroleau-Lemagny
Annie Vallotton, le nom s'enroule
comme un ruban, un nom d'héroïne de livres pour enfants.
Son visage qui semble sculpté dans l'ivoire, ses cheveux
de neige relevés en chignon et ses yeux bleu ciel auraient
inspiré les maîtres hollandais du XVIIème siècle
et on l'imagine volontiers vêtue d'une robe noire et d'un
col de dentelle dans une peinture de Hals, dont le modèle
sourirait. Chaque dimanche, assise à la même place
dans les stalles du chur, elle écoute avec concentration
et chante avec énergie.
Annie est suisse, mais sa mère était alsacienne.
Elle est dessinatrice, mais son père était écrivain,
son grand-père pasteur. Elle est sagement assise, discrète
et bienveillante, mais si vous interrogez Google sur son nom, vous
obtenez 32 pages de références. Elle a l'air grave,
mais n'est vraiment pas coincée. C'est bien plus qu'une figure,
une véritable rencontre.
Annie est la fille de l'écrivain suisse Benjamin Vallotton,
défenseur acharné de la langue française, qu'il
enseigna avant de se consacrer pleinement à la faire connaître,
de veiller à sa diffusion et à son maintien international
par des tournées de conférences. Il épousa
une jeune femme de la bourgeoisie alsacienne favorable au capitaine
Dreyfus, et ils eurent quatre enfants.
1834 crayons bien taillés
Annie Vallotton a toujours aimé dessiner et il fut tout
naturel pour elle d'entrer à l'Ecole des Arts décoratifs
de Strasbourg et d'entreprendre la carrière que lui ouvrait
ce cursus
elle dessine encore. Elle m'a reçue dans le
confortable salon-atelier où elle règne sur une armée
de 1834 crayons bien taillés (c'est à cela qu'on reconnaît
le vrai dessinateur) qui attendent leur tour de courir sur le papier.
Je n'ai jamais vu une telle collection de crayons, feutres, stabilos
de toutes couleurs.
Elle crée des personnages d'album pour enfants. Clémentine,
son héroïne, petite fille vive et curieuse, a sans doute
hérité beaucoup de ses traits de caractère,
de l'espièglerie de sa créatrice. Mais Annie Vallotton,
passionnée par la transmission du message biblique, a aussi
choisi de mettre en images les récits bibliques. De nombreux
petits livrets consacrés à l'illustration des paraboles
sont publiés en français et en anglais, des éditeurs
de la Bible font appel à ses services. Elle vient de recevoir
la dernière en date, publiée en Corée du Sud,
ses dessins y ont été agrémentés de
délicates couleurs pastel.
Initiation à la plasticographie
Elle est prodigue de son talent et n'en tire d'autre bénéfice
que la satisfaction de délivrer un message. Le travail dont
elle est la plus fière est le fruit d'un pari, d'une invention
audacieuse basée sur le matériau le plus trivial qui
soit : la matière plastique. Annie, attirée par les
possibilités de ce matériau, a inventé la plasticographie.
Des silhouettes toutes simples mais d'une grande harmonie, découpées
dans des feuilles de matière plastique permettent de raconter
tous les récits, bibliques ou non.
Les enfants, son public d'élection, peuvent s'approprier
les silhouettes repositionnables, les agencer à leur manière
sur un support plastique ou une vitre tout en racontant l'histoire
qu'ils inventent ou restituent. Il ne lui reste qu'un exemplaire
sur trois mille de cet ouvrage qu'elle publia à coup de culot
et de persuasion grâce aux subsides d'une éditrice
suisse. Le résultat évoque la simplicité et
l'harmonie des découpages de Matisse. Si on lui demande d'où
lui est venue cette idée très neuve à une époque
où l'interactivité n'était pas vraiment la
vertu cardinale de l'enseignement, elle pointe l'index vers le plafond.
Manifestement elle désigne quelqu'un d'autre que le voisin
du dessus.
Ses dessins ont fait et font encore le tour du monde, ont voyagé
de l'Afrique à l'Asie en passant par l'Amérique, mais
elle est la créatrice de best seller la plus discrète
du monde. Harry Potter est KO debout ! Elle a renoncé à
percevoir les droits des quelque 185 millions de Bibles éditées
afin de permettre une diminution de leur prix de vente. Pourquoi
ce succès? Elle l'attribue à la simplicité,
au dépouillement, à l'absence d'ethnocentrisme, qui
permet à chacun de projeter son propre visage et sa propre
culture sur ses propositions graphiques.
Violoniste, son intérêt s'étend par conséquent
à la musique, elle me montre une douzaine de disques de chansons
pour enfants aux petits livrets comportant dessins et partitions.
Il ne faudrait pas imaginer cependant qu'elle se soit cantonnée
à l'univers des enfants, ni qu'elle se soit contentée
de nourrir leur goût du merveilleux et de la fantaisie.
Journal de bord au jour le jour
Elle me raconte aussi des choses beaucoup plus graves, des aventures
insensées, des dangers réels. Nous ne nous sommes
peut-être pas si éloignés de l'espiègle
Clémentine, mais une Clémentine dotée d'une
conscience politique et d'un souci humanitaire. La première
guerre mondiale semblait avoir connu l'épouvante à
son apogée, mais la seconde guerre la déchaîna
d'une manière nouvelle. Dès le commencement des hostilités
la famille Vallotton est consciente des dimensions de la catastrophe.
Annie et sa sur Gritou suivent, dès 1939, une formation
de secouriste et rejoignent leur oncle, chargé de l'accueil
et du transport des réfugiés venus des départements
de l'Est.
Leur rôle de travailleuses sociales les mène en Limousin,
puis dans le sud de la France. Malgré leurs déplacements
incessants et épuisants elles tiennent séparément,
un journal de bord où sont racontés les réussites
ou les tracas de chaque jour. Cet admirable document , écrit
au jour le jour, montre tous les aspects de la vie quotidienne du
pays en guerre, puis occupé. Les faits sont bruts et brutaux,
choc des cultures, incompréhension mutuelle des réfugiés
et des habitants, réticences et mesquineries ou au contraire
actes de générosité et d'abnégation.
Leur action consistera aussi à faire sortir de France les
juifs menacés des camps d'extermination. En effet dès
1942 apparaît dans leur journal un témoignage sur le
sort qui leur est réservé. Les surs Vallotton
ne sont pas les seules à payer de leur personne dans cette
aventure humanitaire, et elles ne se donnent jamais la vedette,
mais leur récit est si spontané, généreux
et si drôle parfois que l'on finit par oublier qu'il ne s'agit
pas d'une fiction. L'amie de toujours, Jeanne Bulté qui s'est
jointe à nous, vient d'ailleurs apporter des précisions
sur la gaieté et la joie de vivre des surs Vallotton
dans les moments les plus sombres.
Lindex vers le plafond
En 1942 alors qu'elle se trouve à Toulouse, Annie est contactée,
convoquée même, par Berthie Albrecht qui lui explique
en peu de mots ce qu'elle attend d'elle, et qu'elle accomplira sans
hésitation. L'espiègle devient intrépide et
transmet le courrier de la Résistance, promène dans
son petit sac tout ce qui est nécessaire pour faire sauter
les ponts, échappe grâce à un sixième
sens à bien des périls. Si je lui demandais d'où
lui vient cette inspiration, elle lèverait, je pense, l'index
vers le plafond. Son goût du dessin ne l'ayant jamais abandonnée,
elle illustre les années noires avec son humour habituel
. Jacques Tati pâlirait d'envie devant la scène consacrée
à la défense passive
Annie est dotée d'un humour jamais méchant, mais
bigrement décapant. Elle me raconte ses séjours dans
le clocher de la cathédrale de Lausanne, "ma cathédrale",
afin d'y écouter de près sonner les cloches. Pour
ce faire il fallait soudoyer la gardienne à l'aide d'une
bouteille (du bordeaux tout de même). Elle me relate les tractations,
avec l'accent suisse, dans un sketch à la Zouc, à
se rouler par terre. Elle peut tenir un chauffeur de taxi en arrêt
pendant dix minutes afin de lui raconter comment elle a kidnappé
(et restitué) la queue du lion du pont des Invalides.
A lOratoire après la guerre
Elle aime raconter, rire, communiquer avec les autres. La convivialité
est son élément, aussi se sent-elle proche des sensibilités
évangéliques, bien qu'elle soit paroissienne de l'Oratoire
depuis son arrivée à Paris après la guerre.
Elle chanta dans la chorale, évoque les prédications
du pasteur Loriol.
Je la quitte à regret, certaine qu'elle avait encore beaucoup
à dire, beaucoup à faire comprendre, et après
avoir seulement entrevu un tout petit aspect d'une personne riche,
profonde, réfléchie et pourtant drolatique au delà
de l'imaginable. Comment la reconnaître? C'est facile, un
peu de ciel se reflète dans son regard.
Anne Biroleau-Lemagny
*Annie Vallotton est l'auteur de nombreux ouvrages destinés
à la jeunesse, et de films d'animation tels que «
Les Animaux dans la Bible », « Les Histoires de Jésus
», « Les histoires de Clémentine et Pépin
», publiés par Méromédia , à
Paris
(1) Gritou et Annie Vallotton « Cétait au
jour le jour ». Paris. Payot 1995. Coll.Documents Payot
(2) Annie Vallotton « La résistance sous loccupation
». Paris. LHarmattan, 2001
Laccueil cest aussi un sourire
Avec ces deux dessins, Annie Vallotton a voulu illustrer la meilleure
façon daccueillir les paroissiens, le dimanche matin,
en leur remettant le « Psautier » et le « Louanges
et prières ».
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