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Dans lattente dune parole honnête
Ananias et Saphira (Actes
5,1-10)
Au début du Livre des
Actes des apôtres nous sommes surpris par un récit
très dur : la mort brutale dAnanias et Saphira (Actes
5,1-10). Il sagit dun couple appartenant à la
communauté des croyants de Jérusalem, qui sest
formée à lécoute de lEvangile annoncé
par les apôtres. Nous apprenons que cette communauté
est nombreuse, et caractérisée par son unité
de cur, sa communion de vie, et la pratique du partage des
biens. A ce propos exemple nous est donné dun lévite,
nommé Joseph et surnommé Barnabas, qui vend son champ
et en remet le prix aux apôtres.
Lhistoire dAnanias et de Saphira
Vient alors lhistoire dAnanias et Saphira. Eux aussi
vendent un terrain, mais ils en partagent le prix en deux, remettant
une partie aux apôtres et gardant lautre pour eux-mêmes.
Pierre adresse à Ananias ces paroles terribles : «
Tu as menti au Saint-Esprit et tu as gardé une partie de
largent rapporté par ce terrain. Avant que tu le vendes
il était à toi, et après que tu las vendu,
largent tappartenait, nest-ce pas ? Comment donc
as-tu pu décider de commettre une telle action ? Ce nest
pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu ».
Foudroyé par ces paroles Ananias meurt, bientôt rejoint
par son épouse. Deux remarques : dabord ce couple des débuts de lEglise
peut nous faire penser au couple des commencements, Adam et Eve.
Ils commettent lun et lautre une faute grave au point
dêtre sancionnés, dans le mythe de la Genèse,
par la sortie dEden et la privation de larbre de la
vie, et, dans le récit des Actes, par une mort foudroyante.
Cette radicalité de la sanction nous invite à une
lecture attentive de la faute commise. Et lapôtre Pierre
est clair dans son apostrophe : « Ce nest pas à
des hommes que tu as menti, mais à Dieu ». Et il y
voit luvre de Satan, rappelant bien sûr les propos
prometteurs et mensongers du serpent.
Le mensonge : une question spirituelle
Le mensonge nest pas seulement une question morale, mais
également et surtout une question spirituelle, qui touche
à lexistence de lhomme, à son psychisme,
à sa condition politique et historique. Mentir à Dieu,
et donc se mentir à soi-même, est mortifère.
Sinstaller dans un état de mensonge, cest se
priver de la présence de Dieu ou, traduit autrement, de la
puissance vivifiante de la vérité. Et cette affaire
dépasse le cadre de la vie personnelle, elle atteint forcément
la vie familiale et par voie de conséquence la vie sociale. Après tout, on peut penser quAnanias et Saphira sont
des gens généreux, et que donner la moitié
de son gain nest déjà pas si mal, ce qui rend
terrible et injuste leur punition. Nest-ce pas dans les sectes
quon exige des gens quils abandonnent tous leurs biens
? Mais lauteur des Actes nous montre explicitement que la
question ne réside pas dans le plus ou moins de générosité.
Celle-ci nest que la conséquence dun véritable
choix moral et existentiel.
Ce qui tue et ce qui fait vivre
Ce qui tue, cest de ne pas être entier dans ce quon
fait ou ce quon dit, cest donc la duplicité,
le double langage, la fausseté, la langue de bois
.tout
ce qui frappe de néant le bien le plus précieux de
lhomme : la parole. Et ce désastre touche non seulement
au cur de lêtre, mais aussi à celui de
la cité, car le droit et la justice sont menacés.
Le délitement de la parole conduit à la déstructuration
des individus et à lanarchie sociale, qui est mère
de la terreur et de la tyrannie. A lopposé, ce qui fait vivre, cest lintégrité,
la clarté, la droiture, la promesse tenue
tout ce
qui témoigne que la parole de lhomme est fiable, quelle
nest pas vide et dérisoire mais quelle compte,
doù quelle vienne. La parole respectée
et constructive permet lédification dune société
plus juste et plus fraternelle, une société de saine
démocratie et douverture aux autres.
Lenjeu essentiel de la parole
Cet enjeu de la parole est essentiel aujourdhui, dans notre
société médiatique surchargée de mots
et qui cultive parfois la communication comme elle soignerait une
idole exigeante. Le monde est devenu extrêmement complexe
et, pour beaucoup, les choix politiques se révèlent
difficiles et incertains. En revanche on sent bien que les femmes
et les hommes de notre temps sont en attente dune parole honnête,
ne cachant pas les difficultés du siècle, les doutes
pour lavenir, les efforts collectifs à réaliser,
une parole ferme traçant pour demain des perspectives réalisables
et bienfaisantes pour la vie collective. Il nest pas question de rêver dune vie parfaite,
telle que celle de la première communauté chrétienne
de Jérusalem nous est présentée, mais plutôt,
en nous appuyant sur le contre-exemple dAnanias et Saphira,
de comprendre quels choix, quelles attitudes nous conduisent vers
la vie, et non vers la mort. Les contre-exemples, nous en avons
chaque jour sous les yeux, comme nimporte quelle société
humaine. Mais ils ne doivent pas nous servir de prétextes
pour désespérer ou démissionner de la vie publique.
Lindignation moteur de laction
Au contraire, ils ont une vertu pédagogique, vertu que
visait certainement lévangéliste Luc en écrivant
cet épisode cruel au début du Livre des Actes. A la
vue des scandales, des uvres de duplicité et de corruption,
la juste indignation doit devenir le moteur de laction et
non du retrait. Car, comme lécrivait Burke, homme détat
et philosophe anglais du 18ème siècle, "Pour
que le mal triomphe, il suffit que les hommes de bien ne fassent
rien". On pourrait ajouter : «
et que les hommes
qui rencontrent la vérité nen portent pas témoignage,
en pensées, en paroles et en actions. »
Florence Taubmann
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