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Aimer l'avenir

 

Quand j'étais au Centre 8, j'ai un jour invité Sœur Myriam, ancienne prieure des diaconesses de Reuilly, pour un café théologique, afin qu'elle nous parle de sa vision du temps. Venant de retrouver les notes rédigées à la suite de son intervention, qu'elle avait intitulée : AIMER L’AVENIR, J'ai eu envie de les partager avec vous en ce début d'année.

L'avenir du monde est imprécis, et l'amour de l'avenir est donc abstrait. Le terme qui convient pour aborder l'avenir, c'est l'Espérance, qui se vit aujourd'hui. Car l'avenir est projection du présent. C'est donc ce présent qu'il faut vivre, sans s'y enliser ; car collés à l'expérience, nous risquons d'être immobilisés et de n'avoir plus d'élan pour entrer dans l'avenir.

Ce qui nous donne cet élan, cette joie et cette force dans le présent c'est de croire ce que nous ne voyons pas encore. Alors tendus entre l'expérience et l'espérance nous sommes inscrits dans un~ dynamique de l'amour.

Sœur Myriam nous invite d'abord à Veiller.

Nous marchons éclairés par une promesse : «Je reviendrai !» Cette promesse de Jésus tombe dans notre présent ; nous la tenons comme une ancre solide qui a traversé le voile. Car si le futur dont elle parle n'est pas le futur humain, il assume néanmoins tout le temps humain. Cette promesse est pour tout homme de bonne volonté qui cherche à poser dans le monde des signes de vie, d'espérance et d'amour.

C'est cela qu'on appelle eschatologie.

Il ne s'agit pas d'une utopie hors du monde nous invitant à une spiritualité évasive, mais d'une promesse qui nous appelle à poser dans le présent des choses qui ressemblent à ce qui sera dans le futur. Ce que nous faisons dans le présent, nous le faisons car cela nous est indiqué par le futur. Dans le présent, nous sommes une annonce du matin qui vient. Le moindre de nos gestes a une importance pour le bout du monde.

Le temps de la veille, c'est le temps de l'Église. Temps de la vigilance, par la prière, la méditation de la Parole de Dieu. Mais la vigilance s'exerce aussi à d'autres niveaux, et concerne les besoins de la terre et du monde. Comme le chat, il faut garder un oeil ouvert.

Quelle est la spécificité chrétienne ? La bonne question n'est pas: «bien faire ou mal faire?» Mais c'est la question de l'identité. Le chrétien est invité à être comme le sel, à être comme la lumière du monde.

Le sel lutte contre la fadeur. Il nous est donné par la foi en quelqu'un, la rencontre, la découverte. La lumière se situe en haut : au-dessus de la ville, au sommet d'une montagne. Comme Paul le dit aux Corinthiens, nous sommes une lettre du Christ. Parfois des gens s'arrêtent, lisent la lettre.

Sœur Myriam nous invite ensuite à Discerner.

Discerner, ce n'est pas forcément voir très clair, mais accommoder le regard, chercher des directions à prendre. En notre époque, c'est très difficile car nous sommes devant des confusions multiples et des questions infinies. Mais le discernement prend toute la vie, et toute l'histoire depuis le commencement. Si la Parole de Dieu éclaire le regard, c'est aussi une question d'intelligence, de culture, de réflexion. Un alliage d'esprit critique et de spiritualité

Nous sommes invités à nous engager dans le monde pour tenter d'interpréter l'histoire à la lumière du dessein de Dieu. Alors que Satan tente de nous persuader que Dieu a déserté le monde, il s'agit de discerner sa présence, contre toute apparence. C'est possible si l'on accepte de ne pas voir seulement que le monde est mauvais, mais de regarder tous les signes de beauté et de bonté.

Nous avons besoin d'émerveillement. Sœur Myriam évoque le clair-obscur chez Rembrandt, où l'on ne devine et voit ce qu'il faut voir qu'au fur et à mesure. C'est ainsi qu'il faut regarder le monde dans l'Espérance de Dieu.

Mais il faut aussi Résister.

On pense bien sûr à Marie Durand qui grava ce verbe dans la pierre à la Tour de Constance. Résister àun aspect moral et spirituel. Résister, c'est ne pas se séparer de Dieu parce que Dieu ne se sépare pas de nous. Dieu se laisse mettre en question. Il ne reste pas au ciel, mais vient sur la terre. Il n'a que nous comme témoins. Il faut donc continuer de l'aimer, môme si nous n'avons pas de réponse à nos demandes.

Sœur Myriam cite les résistants de l'Église Confessante d'Allemagne pendant la seconde guerre mondiale. Mais également Dostoievski qui écrit, dans les Frères Karamazov: «Alors dans notre grande douleur nous ressusciterons dans la joie sans laquelle l'homme ne peut exister et Dieu sera présent car Dieu donne la joie. C'est là son privilège, son grand privilège. Si l'on chasse Dieu de la terre, nous le rencontrerons sous la terre. Alors nous autres hommes souterrains, nous entonnerons dans les entrailles de la terre un hymne tragique au Dieu de la joie. Vive Dieu et sa joie. Je l'aime. »

L'amour inconditionnel n'est pas quotidien, c'est une ligne de fond.

On peut perdre cette ligne. D'où l'inquiétude du Christ. « Quand je reviendrai, trouverai-je la foi sur terre ?»

Pour résister, il faut donc Aimer.

Aimer, c'est le temps de l'adoption. Adopter, c'est choisir. Nous sommes invités à adopter ce monde étrange, cette jeunesse qui nous déconcerte, à sauvegarder l'homme vivant, à lui donner des raisons de vivre. À travers les rencontres, la sympathie, la confiance;. Car ce n'est pas le futur qu'il faut adopter, mais des êtres de chair et d'os.

Les jeunes ont un droit fondamental : un héritage fait de notre présence. Le mot présence est un mot théologique fort. Il indique le témoin.

Nous sommes les alieux, parents, amis d'une génération qui a besoin d'un héritage : l'héritage de nos vies, de nos expériences, d'une connaissance, d'une espérance. Héritage qui est fait de paroles, et par la Parole. Les jeunes ont besoin qu'on les entende, mais aussi qu'on leur parle. Parler, c'est donner un héritage. Il ne faut pas manquer à la parole, dans tous les sens de l'expression. Il y a une parole pour le temps présent, et pour chaque situation. Il y a un héritage de la parole.

Un beau dialogue laisse une lumière, donne des sécurités intérieures, construit des raisons de vivre.

Des raisons d'aimer l'avenir.

Florence Taubmann

 

 

 

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Article tiré du bulletin de l'Oratoire du Louvre à Paris

 

 

 

 

 

 

 

pasteur Florence Taubmann


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