Éclairer le monde plutôt que le juger

(Jean 8:12-20)

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Culte du dimanche 19 octobre 2014 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, si Jésus est la lumière du monde, est-il encore nécessaire d’acheter des ampoules pour s’éclairer le soir ? Derrière cette blague se cache une vérité plus fondamentale : il n’est pas possible de prendre ce texte biblique à la lettre. Il s’agit là, comme ailleurs, d’une image, d’une métaphore qui nous permet de découvrir un aspect non matériel de la vie. Qu’est-ce que cela peut bien signifier que le héro de l’Evangile selon Jean soit la lumière du monde ?

Tout d’abord il convient de noter que Jésus est réputé être lumière du monde, du cosmos selon le terme grec, autrement dit de l’ensemble du monde créé. Jésus n’est pas seulement lumière pour les Juifs, autrement dit pour son peuple. Il n’est pas seulement lumière pour les croyants. Il est lumière de manière universelle. Ce caractère universel est décisif pour bien comprendre ce qui oppose les pharisiens à Jésus. D’un côté les gardiens d’une tradition congelée qui établissent un clivage entre pur et impur, entre juifs et païens, entre sacré et profane – les pharisiens – de l’autre Jésus qui transgresse tous ces clivages, qui passe allègrement par-dessus ces frontières socio-religieuses. Jésus ne voit pas d’un côté les sauvés et de l’autre les réprouvés, d’un côté le bien de l’autre le mal. Jésus voit le monde dans son ensemble. Il embrasse le cosmos d’un seul regard au sein duquel chacun est en bonne place.

Éclairer la vie

Cela nous conduit au premier point à noter : Jésus est lumière du monde en ce sens qu’il éclaire la vie ; il place la vie, l’ensemble de la vie, sous une lumière nouvelle qui nous permet de découvrir de nouveaux aspects de la vie. Jésus ouvre nos yeux sur le réel, il nous rend sensible à des dimensions de la vie qui, jusque là, nous échappaient peut-être. Dire que Jésus est lumière du monde, c’est dire que sa manière de voir le monde, sa manière de regarder ceux qui habitent le monde, est particulièrement éclairante. Son regard nous aide à changer notre propre regard. Par exemple, il entre en relation avec des personnes qu’il était interdit de fréquenter à son époque (ou qu’il était infamant de rencontrer). C’était vrai aussi bien des femmes, des samaritains, des syro-phéniciens, des romains et autres étrangers, des collecteurs d’impôt, que des handicapés, des malades contagieux, des malades psychiques, ou de ceux qui avaient des troubles de la personnalité. Jésus mettait en lumière l’humanité de chaque individu qu’il rencontrait au lieu de stigmatiser ce qu’il pouvait y avoir chez lui d’inhumain.

Jésus a mis en lumière de nouveaux rapports humains où tous participent d’une même dignité, jeunes et vieux, grand prêtre et pauvre veuve. Jésus a mis en lumière de nouveaux rapports sociaux, économiques, où ce qui compte n’est pas indexé sur le prestige, la réputation ou la quantité, la valeur monétaire, mais sur ce que chaque chose apporte au mieux être, au bonheur dirions-nous aujourd’hui. Jésus a mis en lumière que la couche superficielle du monde, des hommes, des sociétés - la chair, pour reprendre le terme qui est employé dans ce passage – la surface de tout cela est insuffisante pour dire la vérité de l’être, la vérité d’un être. Pour être plus précis, Jésus en mis en lumière que la vie telle qu’elle peut être dite avec justesse à un moment donné, a besoin d’être dite autrement plus tard. Jésus a prêché contre les discours convenus, contre les positions de principes, contre les réponses faites avant que la question soit formulée.

Certainement est-il anachronique de faire de Jésus l’origine des Lumières, ce large mouvement de pensée qui a embrasé l’Europe du XVIIIème. La geste est pourtant analogue : avoir confiance dans les pouvoirs de la raison (Jésus précise bien que l’amour de Dieu et de l’homme doit s’enraciner dans la pensée). Lutter contre l’ignorance en dispensant largement la connaissance au lieu d’en faire une rétention de caste. Lutter contre la superstition en disqualifiant les principes de cause à effet sans fondement (par exemple naître aveugle serait une punition contre les parents, Jn 9). Remettre en question la tradition (« on vous a dit que, mais moi je vous dis » Mt 5). Avoir foi dans le progrès est une notion discutable ; je dirai que Jésus avait confiance dans la capacité de chacun à progresser vers plus d’humanité (cela est particulièrement sensible à travers les multiples récits de guérison qui soignent les identités humaines blessées). Etre tolérant, au sens du respect dû à chaque personne (Jésus prenait au sérieux ses interlocuteurs en faisant place à leur étrangeté). Revendiquer la liberté de conscience est l’affaire du XVIIIème (Martin Luther parlera de serf-arbitre, pas de libre arbitre). Mais cette liberté de conscience déjà visible au XVIème avec des hommes de la trempe de Sébastien Castellion est aussi repérable dans l’attitude de Jésus qui encourage chacun à se prononcer en son âme et conscience (« et toi, qui dis-tu que je suis » Mt 16/15 pour ne prendre qu’un exemple).

Jésus s’inscrit dans cette démarche que la foi biblique a initiée bien avant lui, et qui consiste à sortir l’humanité de l’obscurantisme. Bien avant 1784, année où Emmanuel Kant présentait ce mouvement des Lumières comme « la sortie de l’être humain de sa minorité », la dynamique de la foi biblique engageait chacun à accéder à sa majorité. Que Jésus ait replacé chacun face au Père, face à l’ultime, était une manière d’affirmer qu’il n’est pas un être qui doive vivre sous la tutelle d’une instance familiale, religieuse ou quel qu’ordre de pouvoir que ce soit. Jésus, est lumière du monde en ce qu’il nous donne à penser notre rapport au monde à nouveaux frais. Jésus est lumière du monde en ce qu’il permet à chacun de sortir de la caverne des réalités secondes.

Réveiller la vie

La lumière éclaire, elle fait sortir de toutes les nuits de l’homme, de tous les obscurantismes dont le Moyen-âge n’a pas eu le monopole. Elle a un autre effet, celui de réveiller. La lumière nous réveille de notre sommeil. La lumière réveille la nature somnolente, hivernante. La lumière tire le vivant de sa torpeur, le fait éclore, lui fait porter du fruit. C’est cela, la lumière de la vie (Jean 8/12bb).

Cette lumière de la vie permet de comprendre les phrases de Jésus sur le non-jugement. A ses opposants qui jugeraient selon la chair, selon les apparences, Jésus déclare ne juger personne et, s’il juge –ajoute-t-il – c’est en disant ce qui est vrai, autrement dit il ne prend pas la parole pour condamner, mais pour exprimer la vérité de l’être, la vérité d’une situation. Alors que nous sommes dans une ambiance polémique qui est déjà traversée par les risques d’arrestation, de lapidation, nous découvrons que la lumière de Jésus ne tue pas, mais qu’elle suscite la vie, qu’elle encourage la vie, qu’elle réveille la vie, qu’elle ressuscite la vie.

Quel contraste avec les opposants de l’époque. Quel contraste avec les fous furieux d’aujourd’hui qui veulent faire passer leur désir de pouvoir pour une forme authentique de religion. La religion, même lorsqu’elle juge, ne tue pas. Mieux que cela, la religion ne moralise pas. Jésus n’avance pas interdit sur interdit. Jésus ne fait pas la chasse aux transgresseurs de la loi de l’époque. Au verset précédent le texte que nous avons lu, Jésus vient de sauver une femme qui avait été surprise en adultère. Il ne l’a ni violée, ni excisée, ni lapidée, ni décapitée, mais lui a donné l’opportunité de vivre une nouvelle histoire. Il renvoie chacun à sa responsabilité individuelle, précisément parce qu’il considère que chacun être un être majeur, doué d’une raison qui lui permet de développer une éthique de la responsabilité qui sera mieux à même de faire droit à la vie, non pas selon la chair, la seule vie biologique (bios) qui serait une règle naturelle érigée en droit absolu, mais faire droit à la vie doté de sens, dotée d’espérance (zoé).

Jésus ne s’est pas posé pas en gardien de la morale qui viendrait harceler celles et ceux qui ne se conformeraient pas au règlement du moment. Jésus est venu souffler sur les braises de l’humanité, il est venu réveiller la vie qui sourd en chacun. Il est venu rendre témoignage d’une loi supérieure à la loi du moment, cette loi à laquelle les pharisiens voulaient l’assigner. Jésus est venu rendre témoignage de cette loi qui est la loi d’un Père, autrement dit une loi féconde, une loi qui stimule l’épanouissement de la vie, une loi éternelle qui transfigure les états lamentables dans lesquels nous nous traînons parfois ; une loi éternelle qui fait éclater au grand jour la beauté des relations humaines, la grandeur de l’amour, le caractère inachevé et infini de la vie. Cette loi éternelle, c’est cette loi qui fait qu’Antigone brave la loi de Créon pour offrir à Polynice une sépulture décente. Cette loi éternelle, c’est cette loi qui inspire celles et ceux qui se sont succédés dans l’histoire pour protester, pour témoigner en faveur de l’humanité de l’homme, plus fortement encore lorsqu’elle était malmenée voire bafouée. Plus proche de nous, il y a Rosa Parks qui connaissait cette loi éternelle, prémisse des droits civiques et qui surpassait le droit américain en vigueur jusque là. Théodore Monod avait au cœur cette loi éternelle l’emportant sur la loi martiale qui sévissait en Algérie à son époque. Plus tôt, Victor Hugo était éclairé de cette même loi éternelle qu’il estimait supérieure à la loi qui permettait la peine de mort.

En tant que chrétien ou apprenti chrétien, nous ne sommes pas là pour juger et encore moins pour condamner tel ou tel. Plutôt que juger le monde et le vouloir conforme à ce que nous pensons être bien, nous avons à l’éclairer. Eclairer le monde pour que chacun soit en mesure de faire ses propres choix en ayant la connaissance la plus large possible des enjeux. En prenant la parole dans le lieu où était le trésor, Jésus était là où les chandeliers étaient allumés pour la fête des tentes, lieu symbolique pour attester que le théologique n’est pas une instance de légitimation de l’obscurantisme, mais un moyen d’éclairer les choix que nous avons à faire, les décisions que nous avons à prendre.

Que chacun soit également éclairé de cette lumière qui réchauffe, qui fait croître la vie. Cela est possible lorsque nous ne nous plaçons pas en donneurs de leçons ou en censeurs, mais lorsque nous nous faisons les chantres de l’amour, les poètes de Dieu, les artisans de la paix. Cela est possible lorsque nous ne nous contentons pas de réactions épidermiques, selon la chair, mais que nous témoignons de notre dialogue intime avec le Père qui nous a envoyés (v.18), autrement dit lorsque nos convictions sont forgées en conformité avec ce que nous percevons de l’Eternel. C’est ainsi que nous pouvons réchauffer les cœurs glacés par la violence des rapports inhumains.

Amen

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