Quand vous serez accablés
par la désolation

( Évangile selon Marc chapitre 13 :1-4, 14- 35 )

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Culte du dimanche 19 septembre 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

Pour ces « Journées du Patrimoine », pour fêter aussi Ariane qui vient de demander le baptême et qui suit des études en vue d’être conservatrice du patrimoine, mais également pour ce culte de rentrée de notre église, je vous propose un texte de l’Évangile texte où les disciples de Jésus admirent le Temple de Jérusalem : « Maître, regarde ! Quelles pierres, quelles constructions ! ».

Jésus profite de cette occasion pour inviter les disciples à adopter une certaine dose de réalisme. Il ne faut pas tout mélanger. Il y a des choses qui paraissent solides et qui ne le sont pas tant que ça. Il y a quelque chose dans notre monde, dans notre univers, qui est sur le point de s’écrouler, qui déjà s’effrite déjà, qui s’éboule comme la façade de l’Oratoire, et ce serait fou de faire comme si de rien n’était.

Les disciples étaient enthousiastes en sortant du temple de Jérusalem. Voilà du beau et du solide. « Quelles pierres, quelles constructions ! »

Nous avons nos temples à nous, de bonnes constructions de pierre qui nous rassurent, comme un doudou rassure le petit enfant. La vie coule ainsi, comme si elle était immuable :

  • comme si les murs de nos protections sociales et de nos traités resteraient en place pour toujours,
  • comme si le socle de la théologie que nous avons reçue des générations passées pouvait résister à l’épreuve du temps et de la vie,
  • comme si chacun de nos proches était fidèle et le demeurerait toujours, sans jamais nous trahir,
  • comme si notre corps pouvait rester éternellement jeune et beau,

Et bien non, nous dit Jésus. Être réaliste, c’est admirer ce qui est beau en ce monde, admirer sa solidité, mais c’est aussi en mesurer la fragilité, voir déjà les fissures, voir même l’éboulement qui est en cours.

Être réaliste, c’est ne pas se tromper d’optimisme, ni se tromper de pessimisme, d’ailleurs. C’est prendre un peu de recul, de hauteur, c’est ouvrir les yeux et ne pas s’arrêter aux belles constructions en pierre, ne pas non plus s’arrêter à leur éboulement en cours, mais c’est voir ce qui reste, et voir enfin à travers les fissures qu’il y a une réalité qui demeure et qui est vivante, elle. Qu’il y a quelque chose qui advient, qui se développe et rend meilleur.

Ce n’est donc pas par méchanceté que Jésus fait prendre conscience aux disciples de la fragilité du patrimoine dont ils ont hérité. Le plus beau des patrimoines n’a d’intérêt que s’il ouvre à la vie, pas s’il nous écrase sous ses ruines.

Jésus ne critique pas le temple en lui-même. L’évangile nous montre qu’il le fréquente, et que ce temple lui tient même particulièrement à cœur, puisque deux chapitres plus haut, on voit Jésus lutter pour qu’il reste ce qu’il est : « un lieu de prière pour toutes les nations » Mr 11:17-33, c’est-à-dire littéralement « un Oratoire pour les gens de toutes trajectoires », ce qui nous irait bien comme devise pour notre église.

Comme le dit Salomon à l’inauguration du temple (1 Rois 8 :27), Dieu n’habite évidemment pas ce tas de cailloux, sa fonction est de nous aider à penser à Dieu et à prier Dieu. C’est utile, mais comme le rappelle Jésus, ce n’est qu’une construction. On pourrait dire la même chose de la religion, mais aussi tout ce qui permet d’assurer un petit peu de justice, de santé, d’éducation, de paix, d’avenir pour les habitants de notre planète, présents et futurs.

Pour se rendre compte à la fois de la vraie valeur de ces constructions et de leurs limites, Jésus invite ses disciples à prendre un peu de recul et de hauteur. Il les conduit « sur le mont des Oliviers, en face du Temple ». La montagne évoque la prière. L’huile étant une image très classique de la bénédiction de Dieu, l’olivier évoque celui qui est source de bénédiction pour les autres. Un peu d’élévation, un peu de bénédiction reçue, une occasion d’être un petit peu une bénédiction pour un autre, dans ces expériences toutes simples et très concrètes il y a une vie, une qualité de vie, il y a infiniment plus que le temple et en même temps ça ne rend pas le temple inutile, ça le remet à sa place comme un simple moyen. Bien des éléments de la religion sont utiles et beaux. Mais la religion est faite pour s’effacer devant l’essentiel et même pour tomber en poussière quand elle a fini de servir.

« Quand cela arrivera t il ? » demandent les disciples à Jésus. Quand « vous verrez l’abomination de la désolation là où elle ne doit pas être ». Là encore, c’est très concret, très pragmatique. La religion est bonne tant qu’elle nous fait avancer, elle n’est plus bonne quand elle profane en nous quelque chose d’essentiel, par exemple notre capacité à réfléchir, notre personnalité, notre souffle de liberté et de créativité, ou quand elle nous fait oublier de porter sur le monde un regard concerné. Ça ne veut pas dire que la religion doive nous faire plaisir. Non, la religion doit nous bousculer quand nous sommes trop confortables, tout autant qu’elle doit nous réconforter quand nous sommes souffrant et nourrir notre croissance. Mais dans tous les cas, il faut que, globalement, la religion nous élève vers Dieu, qu’elle nous conduise sur le mont des oliviers, qu’elle fasse de nous un petit peu un olivier.

Par contre dès que notre religion (ou une autre de nos constructions humaines) devient source de désolation pour nous, c’est qu’il nous faut évoluer, avoir un autre rapport avec notre religion, évoluer dans notre théologie, réformer notre église si l’on peut, ou sinon en changer.

Mais le plus grave, et Jésus insiste d’un rare « faites bien attention ! », c’est quand notre temple intérieur, quand notre être profond est envahi par la désolation. Car pour Jésus, nous le savons, quand il parle du temple de Jérusalem, il parle aussi du temple qu’est notre être, puisque nous sommes bien plus réellement habités par Dieu qu’aucune maison de pierres ou aucun rite religieux.

La désolation ! C’est vrai qu’aujourd’hui nous voyons tant de personnes désespérées, déprimées, à bout de force. Cela demande une compassion toute particulière.

Parfois, c’est pour masquer cette détresse que l’homme essaye de se rassurer en croyant que nos constructions de pierres seront éternelles : que nos institutions, nos vérités, nos avantages acquis, notre éternelle jeunesse… nous garderons en paix pour les siècles des siècles. Quelles pierres, quelles constructions ! Oui, c’est de la belle ouvrage, nous dit Jésus. Tout cela est bien, on peut d’ailleurs penser à ne pas le garder pour soi tout seul et à en être reconnaissant. Mais attention, c’est très très fragile, nous dit Jésus. N’y mettons pas trop notre cœur afin qu’une lézarde dans l’édifice ne soit pas pour nous source de désolation. Un pépin de santé, la trahison d’un être cher, le chômage, la dépression sont des choses vraiment dures que Dieu ne veut pas, évidemment. Mais rien de cela ne devrait briser l’estime que nous avons de nous-mêmes, ni toucher notre espérance, ni notre capacité à être heureux, ni notre foi.

Et pourtant. La désolation peut arriver dans notre existence. Jésus ne pose pas la question des responsabilités mais il nous invite à réfléchir : que faire quand cela arrive, comment nous préparer ? Ça vaut pour chacun, ça vaut pour nos enfants et ça vaut pour notre église.

Quand vous verrez la désolation là où elle ne doit pas être,
que ceux qui seront en Judée  fuient dans les montagnes.

Qu’y a-t-il pour nous d’essentiel dans ce simple déplacement, de quitter les environs de Jérusalem pour aller dans les montagnes ? Quand vient la désolation nous pouvons commencer par sortir un petit peu de notre tourbillon, sortir de nos constructions et de nos remparts humains pour un temps d’élévation. La montagne évoque un temps de culte et de prière, un temps de louange, même, pour remercier Dieu de ce qu’il y a eu de bon dans notre vie, pour ce qu’il y a encore de bon maintenant, et pour le bon qui pourra venir encore, qui sait ? Quand on est sur une montagne, la perspective est changée, des chemins inconnus sont aperçus, des choses qui nous semblaient importantes deviennent minuscules, et l’on voit ce qu’il y a sur l’autre versant de la réalité.

Ne craignons pas de prier. Ça fait peut-être un peu pieusard, on a du mal à dire autour de soi : désolé, je me retire un moment pour prier, je prends une semaine pour un temps de retraite… et pourtant. Quel temps gagné !

Que celui qui sera sur le toit ne descende pas et n’entre pas
pour prendre quelque chose dans sa maison.
Que celui qui sera dans les champs ne retourne pas en arrière
pour prendre son manteau.

Notre premier réflexe quand ça ne va pas, c’est de renforcer les défenses, de descendre aux abris, d’ajouter comme manteau le rempart d’une apparence… C’est une mauvaise idée. La sortie est par le haut, pas par la cave. La fin de la désolation n’est pas dans le repli sur soi, elle n’est pas dans les faux-semblants, mais en s’exposant au contraire sous le ciel, dans les montagnes, à ce flux bienfaisant qui vient de Dieu et de ses anges que sont parfois nos frères et sœurs.

Malheur aux femmes qui seront enceintes
et à celles qui allaiteront en ces jours-là !

La naissance, dans les évangiles, est souvent l’image de notre être spirituel, de notre foi qui naît, que l’on allaite ensuite avec de la théologie de base et des textes faciles, puis qui demande des aliments plus nourrissants dans la mesure où notre foi devient plus autonome et notre capacité à prendre un peu mieux la mesure des choses s’affine.

Malheur à celui dont la foi est encore en germe, ou tout bébé, quand vient un temps difficile. Malheur à celui qui n’a jamais appris à regarder les autres et le monde, jamais appris à se poser des questions et à réfléchir par lui-même et à transgresser ce qu’il a appris quand cela est juste. Ce n’est pas une menace de la part de Jésus, c’est juste un cri de compassion. Et c’est une idée qu’il nous souffle : faites bien attention : veillez sur votre petite foi, veillez sur celle de ceux que vous aimez, nourrissez-la avec du lait, des vitamines, passez à de la nourriture plus consistante, éduquez votre foi, sortez-là, apprenez-lui à s’ouvrir.

Priez pour que ces choses n’arrivent pas en hiver.

Même si elle a bien grandi, il arrive que notre vie spirituelle connaisse un coup de froid, comme l’hiver sur les arbres, et que notre cœur soit comme du bois sec. Avec cette image, Jésus nous dit que ce n’est pas forcément notre faute et que tout n’est pas fini. Parfois notre foi est faiblarde parce que nous l’avons négligée, mais parfois elle est sèche parce que c’est l’hiver et que nous n’y pouvions rien. Ou plutôt si, dans ce cas-là, nous pouvons prier, nous dit encore Jésus. Il ne s’agit pas de prier pour que Dieu ne nous envoie pas de catastrophe sur le nez précisément quand nous ne sommes pas en forme ! Ça n’a pas de sens. Dieu n’envoie jamais la désolation, sur personne. Au contraire, il envoie une légion d’anges pour nous offrir de l’aide quand nous sommes faibles, nuls ou éprouvés. Mais alors, pourquoi prier « pour que la désolation n’arrive pas quand nous sommes en hiver » ? Parce que Dieu peut faire en tout cas le miracle de transformer pour nous l’hiver de notre foi en printemps.

Regardez les signes, nous dit Jésus. Déjà les branches de figuier deviennent tendres, les feuilles poussent. Certes, nous ne pouvons pas encore sentir le parfum des fleurs ou la pulpe des fruits, mais il y a un frémissement de progrès sensible. Attachons nous à voir ces signes de frémissement positif en nous. Aimons une étincelle de foi, un léger assouplissement de brindille dans notre cœur désespéré, desséché.

Déjà le fils de l’homme vient d’en haut, nous dit Jésus, toujours d’en haut et il est aux portes de notre être, aux portes de notre corps, de notre intelligence, de notre âme et de notre esprit. Le « fils de l’homme », dans la Bible, 9 fois sur 10 c’est tout simplement le fils d’Adam, l’humain normal, au sens où Dieu l’entend, à la fois bien sur terre dans ce monde que Dieu aime, mais aussi un être génial et d’une incroyable dignité.

Et ça, nous dit Jésus, ce n’est pas une promesse en l’air. « En vérité, nous dit-il, cette génération ne passera pas, sans que tout cela ne se réalise ! ». Peut-être que ça peut prendre encore quelques jours ou quelques heures, mais cette promesse est pour vous. Ce n’est pas l’hiver qui arrive, mais le printemps. Soyons plus vivants et plus heureux, maintenant.

Amen.

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

Évangile selon
Marc 13:1-37

Lorsque Jésus sortit du temple, un de ses disciples lui dit: Maître, regarde quelles pierres, et quelles constructions!
2 Jésus lui répondit: Vois-tu ces grandes constructions? Il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit détruite.
3 Il s’assit sur la montagne des Oliviers, en face du temple. Et Pierre, Jacques, Jean et André lui firent en particulier cette question: 4 Dis-nous, quand cela arrivera-t-il, et à quel signe connaîtra-t-on que toutes ces choses vont s’accomplir?

14 Lorsque vous verrez l’abomination de la désolation établie là où elle ne doit pas être, -que celui qui lit fasse attention, -
alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes;
15 que celui qui sera sur le toit ne descende pas et n’entre pas pour prendre quelque chose dans sa maison;
16 et que celui qui sera dans les champs ne retourne pas en arrière pour prendre son manteau.
17 Malheur aux femmes qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là!
18 Priez pour que ces choses n’arrivent pas en hiver.
19 Car la détresse, en ces jours, sera telle qu’il n’y en a pas eu de semblable depuis le commencement du monde que Dieu a créé jusqu’à présent, et qu’il n’y en aura jamais.
20 Et, si le Seigneur n’avait abrégé ces jours, personne ne serait sauvé; mais il les a abrégés, à cause des élus qu’il a choisis.
21 Si quelqu’un vous dit alors: Le Christ est ici, ou: Il est là, ne le croyez pas. 22 Car il s’élèvera de faux christs et de faux prophètes; ils feront des prodiges et des miracles pour séduire les élus, s’il était possible.
23 Soyez sur vos gardes: je vous ai tout annoncé d’avance.
24 Mais dans ces jours, après cette détresse,
le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, 25 les étoiles tomberont du ciel, et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées.
26 Alors on verra le Fils de l’homme venant sur les nuées avec une grande puissance et avec gloire.
27 Alors il enverra les anges, et il rassemblera les élus des quatre vents, de l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.
28 Instruisez-vous par une comparaison tirée du figuier. Dès que ses branches deviennent tendres, et que les feuilles poussent, vous savez que l’été est proche.
29 De même, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche, à la aux portes.
30 Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera pas, que tout cela n’arrive.
31 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas.
32 Pour ce qui est du jour ou de l’heure, personne ne le sait, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul.
33 Prenez garde, veillez et priez; car vous ne savez quand ce temps viendra….
37 Ce que je vous dis,
je le dis à tous : Veillez.