L’Éternel nous rend libre d’agir( Ecclésiaste 3:1-13 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 12 septembre 2010 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, ce texte particulièrement fameux suscite des lectures très contrastées. La première manière de comprendre ce texte, la plus courante, consiste à voir dans les propos de Qoheleth une sorte de manifeste en faveur du fatalisme. Tout commence avec le début de ce livre biblique dans lequel nous entendons l’autre phrase célèbre : « vanité des vanités, tout est vanité » (1/2) et cela continue un peu plus loin avec « il n’y a rien de neuf sous le soleil » (1/9). Voilà les trois passages sur lesquels nous nous faisons une opinion au sujet de ce livre biblique et qui peuvent nous donner le sentiment que la vie n’est qu’un éternel recommencement sans intérêt et que nos gesticulations sont bien illusoires puisque, quoi que nous fassions, cela ne change rien, strictement rien. « Après la pluie le beau temps », « la roue tourne » pourraient être d’autres manières d’exprimer la sagesse qui semble se dégager de ce texte. C’est l’idée que les jours se succèdent et qu’on n’y peut rien changer, qu’il y a une sorte de mécanique à l’œuvre dans l’histoire, sur laquelle nous n’avons aucune prise. Ainsi, en économie, on peut expliquer qu’il y a des cycles A et des cycles B, qu’il y a un temps pour la croissance et un temps pour la crise de la même manière que l’on pourrait dire il y a un temps pour inspirer et un temps pour expirer. Tout cela n’aurait pas vraiment d’autre sens que de nous faire tourner en rond dans une routine digne du « métro-boulot-dodo ». Toujours la même chose, l’ordre implacable des événements, avec parfois quelques grains de sable qui viennent s’immiscer mais qui ne changent pas fondamentalement la donne. Un jour on naît, on grandit, on meurt, un autre naît, grandit et meurt aussi, point. Vanité des vanités. Sauf que « vanité » n’est que la traduction latine du mot hébreu « hébel » qui donnera le nom propre Abel et qui désigne la buée, la légèreté. Oui, quelque chose qui n’a pas beaucoup de consistance, mais qui évoque la fragilité plutôt que la vacuité. Et si nous prenons conscience de ce qui suit la liste des temps qui donnent l’impression de se succéder, nous lisons que Qohéleth n’est pas quelqu’un de désabusé par une forme de vanité du monde et de fatalité de l’histoire, mais celui qui dit que l’homme est appelé à se réjouir de sa vie et à faire ce qui est bon, aidé en cela par l’Eternel. Je ne décèle pas de fatalité chez Qoheleth car il ne me semble pas qu’il développe une vision mécanique de l’histoire, tout au contraire. Il reconnaît la fragilité des êtres et des choses, il reconnaît la fragilité de notre existence qui est comme une buée qui peut laisser une belle empreinte ou s’évaporer sans laisser de trace. Et le fait qu’il dise qu’il y a un temps pour toute chose (il faudrait peut-être traduire par « il y a un temps pour chaque chose » pour éviter l’ambigüité) est autre chose que s’il avait dit « il y a un temps pour toutes les choses ». Il ne me semble pas que Qoheleth envisage notre histoire comme la succession inévitable de tous les temps dont il a fait la liste. Qoheleth exprime plutôt la conviction que toutes ces actions sont possibles, qu’elles sont réalisables, qu’elles sont comme autant d’actions à notre disposition que nous pouvons choisir ou non. Qoheleth ne nous invite pas à avoir une vision fataliste de l’histoire ; la liste qu’il établit n’invite pas à y entendre une succession inexorable de tout ce qui doit arriver : Qoheleth nous invite à découvrir ce que l’Eternel met à notre disposition pour que nous construisions notre propre histoire en fonction de ce qui nous fait plaisir et de ce qui est vivable pour nous. Il faudrait moins lire ce texte comme la liste des temps qui vont nous arriver sur le coin de la figure que comme une palette de couleur que l’Eternel met à notre disposition pour nuancer notre vie. Une autre manière de comprendre ce texte, après la lecture fataliste, ce serait ce que j’appelle la lecture catégorielle. C’est une lecture qui ne se focalise plus sur la question du temps, de la succession des événements, mais qui se concentre sur les verbes, sur les actions qui sont listées et qui sont comme des catégories dans lesquelles nous pouvons classer ce que nous faisons. Cette lecture constate que la liste est construite sur une série de couples qui forment des oppositions. Planter et le contraire d’arracher un plan, jeter des pierres est le contraire de ramasser des pierres, déchirer est le contraire de recoudre, pour prendre des exemples évidents. Cette lecture classe nos actions dans des cases en attribuant une valeur. Enfanter, cela nous semble mieux que mourir. Aimer, cela nous semble mieux que haïr. La paix, cela nous semble mieux que la guerre. Cette lecture catégorielle donne une valeur à chaque verbe, ce qui permet de classer nos actions dans un tableau à deux entrées : dans une colonne vous mettez ce qui est bien et qui vaut un point, dans l’autre colonne vous mettez ce qui est mal et qui vaut zéro point. A la fin, vous faites la somme. Si vous avez 0 vous êtes perdu, entre 1 et 8 vous êtes pécheur, entre 9 et 13 vous êtes sauvé et si vous obtenez 14 vous êtes divin. Je caricature. Il n’empêche que Qoheleth ne suggère pas un système de valeurs au sujet de tous ces verbes. Il ne sous-entend pas que certains seraient du côté du bien et d’autres du côté du mal. Il nous laisse, tout au contraire, libre de déterminer ce qui augmentera notre plaisir et ce qui nous permettra de faire ce qui sera bon. Enfanter… c’est splendide, sauf quand cela peut être vécu comme une malédiction par une femme qui est obligée de supporter une énième grossesse qu’on lui a imposée ou qu’il y a eu viol. Mourir… voilà bien ce à quoi nous ne voulons pas être confrontés ; et pourtant, apprendre à mourir, accepter le fait que nous allons mourir, n’est-ce pas indispensable pour commencer à vivre ? d’ailleurs, ne construisons-nous pas le temps justement en fonction de la mort ? Ceci pour dire que ces verbes n’ont pas une valeur absolue. Jeter des pierres sur quelqu’un est bien autre chose que jeter des pierres pour combler un fossé. Déchirer un acte d’excommunication est bien autre chose que déchirer un acte de naissance. Il peut être un peu dangereux de voir dans cette liste d’action un tableau à double entrée avec d’un côté ce qui est bien et de l’autre ce qui ne l’est pas car cela peut nous conduire à avoir une vision très catégorielle de la vie ou il y aurait d’un côté les scientifiques et de l’autres les littéraires ; d’un côté les croyants et de l’autre les athées ; d’un côté les pacifistes et de l’autre les belliqueux ; d’un côté les anarchistes et de l’autre les fascistes ; d’un côté les beaux et de l’autre les moches ; d’un côté les mauvais et de l’autre les bons ; d’un côté les riches et de l’autre les pauvres ; d’un côté les imbéciles et de l’autre les intelligents ; d’un côté les amis et de l’autre les ennemis etc. Ce n’est pas la conjonction de coordination « ou » qui structure la liste de Qoheleth, mais la conjonction « et », une conjonction on ne peut plus copulative qui associe, qui relie, qui met ensemble au lieu de diviser. Qoheleth ne dit pas que la vie c’est « ou bien… ou bien », mais que c’est« et… et… ». La troisième lecture de ce texte, qui me semble préférable, voit en Qoheleth le sage qui nous révèle à quel point Dieu suscite en nous la capacité d’agir librement. Qohéleth veut nous faire comprendre que notre vie n’est pas entièrement soumise à une mécanique de l’histoire mais qu’elle dépend avant tout de notre vision personnelle. Que voulons-nous faire de notre vie ? si nous le savons, alors la promesse que Dieu nous fait, c’est qu’il nous donne la possibilité de mener notre vie vers cet horizon que nous souhaitons. Mieux que cela, Qoheleth nous révèle que Dieu place en nous la pensée de l’éternité pour nous aider à nous orienter. L’éternité ce n’est pas l’immortalité, mais le fait de s’engager avec Dieu dans des actions qui participent au bien absolu. Qohéleth nous rappelle que toutes les occasions sont devant nous, que nous pouvons choisir. S’il se lamente qu’il n’y a rien de neuf sous le soleil ce n’est pas parce que la vie serait condamnée à se répéter à perpétuité. Il se lamente des être humains qui ne cessent de tourner en rond ou qui restent coincés dans une petite case du tableau des valeurs dans lequel ils se sont enfermés au lieu de vivre à la hauteur de cette éternité que Dieu place au cœur de notre humanité et qui nous donne le sens de chaque chose, qui nous fait aspirer aux dons les meilleurs, qui nous donne le goût de la réjouissance et du bon ! Certains disent qu’il faut donner du temps… mais qu’est-ce que le temps sinon le rythme que nous donnons à nos journées, à nos années ? ne comptez pas sur le temps pour qu’il vous rende service ou qu’il joue en votre faveur car le temps n’est pas je ne sais quelle substance qui travaillerait pour vous pendant votre sommeil. Quand on est fâché avec quelqu’un, certains disent que cela s’arrangera avec le temps, mais qu’est ce que le temps pourrait bien faire pour nous et pour la personne concernée ? seule existe et travaille notre volonté, suscitée par Dieu ; seule existe notre capacité à agir, suscitée par Dieu ; seule existe la possibilité que nous avons d’accomplir tel ou tel acte, de garder ce qu’est vraiment cette personne et de jeter ce qui relève de nos mauvaises interprétations, de tuer les rumeurs, les on dit et de soigner l’image de cette personne, de démolir les murs qui nous séparent de son univers et de bâtir un pont qui nous tendra vers elle, de chercher les mots qui la feront sourire et de perdre les mots qui blessent etc. Pour ne prendre que l’exemple des relations humaines, cela s’arrange (ou se détériore) non pas avec le temps, mais avec nos paroles, nos actes, nos comportements, ce que nous sommes et ce que nous laissons voir de nous-mêmes. Si nous avons envie qu’une situation tourmentée s’arrange, ce n’est pas au temps qu’il faut s’en remettre, mais à notre capacité d’initiative que l’Eternel cultive en nous. Si quelque chose ne va pas, c’est en intervenant résolument par notre énergie et notre intelligence que cela pourra s’arranger. Donner du temps au temps, c’est décider de maintenir la situation en l’état. Faire des choix, agir, entreprendre, c’est décider de faire évoluer la situation. C’est prendre les choses en main et injecter dans la vie quotidienne ce surplus de vie que Dieu nous propose. Je redis cela avec les mots du poète Paul Celan (« Corona ») : « il est temps que la pierre se décide enfin à fleurir, que batte un cœur à l’inquiétude. Il est temps que le temps advienne. Il est temps. » Amen
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