Soyez des hommes à la manière de Dieu( Psaume 82 ) Culte du dimanche 29 août 2010 à l'Oratoire du Louvre « Vous êtes des dieux, vous mourrez comme des hommes »… chers frères et sœurs, c’est le verset biblique qui sert de sous titre au film « des dieux, des hommes » qui sortira dans une dizaine de jours au cinéma, film qui raconte l’histoire de ces moines cisterciens à Tibhirine, assassinés il y a maintenant 14 ans. Evidemment, l’histoire de ces moines sur les écrans de cinéma va contraster fortement avec les scénarios de grosses productions telles que Salt, une espionne jouée par Angelina Jolie qui porte admirablement bien son nom, mais qui tue à tour de bras ou, pire encore, Expendables qui rassemble les gros bras de Hollywood en une équipe de mercenaires qui représentent bien ces héros de cinéma qui massacrent comme ils respirent, et toujours pour la bonne cause bien évidemment. D’un côté des hommes, fragiles, qui se posent des questions, qui se savent vulnérables, mais qui sont aussi conscients de leur vocation divine et, de l’autre côté, des hommes qui sont des dieux de l’art de la guerre et qui font oublier qu’ils ne sont que des hommes. C’est là, dans ce contraste saisissant, le drame que souligne ce psaume 82 : un drame qui n’a de cesse d’être rejoué de part et d’autre de notre bonne vieille terre. Dieu a confié à l’humanité la responsabilité de prendre soin de la création. L’humanité s’est organisée avec des institutions en délégant à certains de ses membres des responsabilités particulières pour assurer la justice et favoriser l’épanouissement de tous. Ces responsables, ce sont les dieux dont il est question dans ce psaume ; c’est chaque être humain responsable, pour la part qui lui revient, de la bonne marche du monde. Les hommes, quoique de nature humaine, c’est-à-dire mortels, ont donc une fonction divine, qui est de créer un monde habitable, vivable, à l’image de ce qu’entreprit Dieu. Seulement, il y a un petit problème dans cette histoire. C’est que tout le monde n’a pas forcément une image très juste de Dieu et, du coup, lorsque certains jouent le rôle de Dieu, ils jouent au Dieu de leurs fantasmes plutôt qu’au Dieu du scénario. Par exemple, penser que Dieu a droit de vie et de mort sur ses créatures, peut donner à penser à certains hommes en situation de responsabilité qu’ils ont, eux aussi, le droit de vie et de mort sur leurs sujets. Considérer que Dieu exerce un contrôle des esprits et des actes, peut donner à penser à certains hommes en situation de responsabilité qu’ils peuvent, eux aussi, exercer un tel contrôle sur leurs sujets et, du même coup, penser à leur place. L’image que l’on se fait de Dieu n’est pas sans conséquence sur notre manière d’agir en société. Un Dieu justicier conduit à être assez impitoyable envers son prochain alors qu’un Dieu miséricordieux conduit à être miséricordieux. C’est tout le sens d’une réplique fameuse dans le premier épisode de la saga Rambo : un shérif qui est aux trousses du soldat John Rambo, vétéran de la guerre du Vietnam, demande des renseignements à son ancien supérieur, un colonel qui lui explique que Rambo est capable de se sortir de tous les guêpiers, de survivre avec trois fois rien, de venir à bout de tous ses ennemis même dans des situations impossibles et que ce que le shérif appelle l’enfer, Rambo appelle ça « chez lui ». Alors le shérif dit au colonel : mais c’est qui ? Dieu ? Et le colonel de répondre : « non, Dieu aurait pitié, pas lui ». Dialogue d’anthologie qui révèle que le shérif une image d’un Dieu tout puissant et cruel et la suite du film révèlera qu’il se pensait lui-même ainsi. Dans une perspective laïque où la référence à Dieu n’est pas de mise dans les institutions, ne nous faisons pas d’illusion, chacun à sa théologie, même ceux qui revendiquent un athéisme pur et dur. Les fondements politiques, les fondements judiciaires, pour ne parler que des premiers pouvoirs, ces fondements sont toujours fondés sur plus que la constitution et les textes législatifs. Chaque personne en situation de responsabilité interprète les textes fondateurs en fonction de ses propres fondements théologiques, philosophiques, culturels et en fonction de sa propre histoire, de ses propres expériences. Fort heureusement, dans une certaine mesure, on ne demande pas à un homme politique ou à un magistrat de laisser sa conscience au vestiaire. Reste que cette conscience n’est pas toujours forgée du mieux qui soit alors que rendre la justice demande un minimum de « jugeote ». C’est ce qu’explique le psaume 82 qui fait état d’une situation où les tenants de la justice, les « lieu-tenant » de Dieu, n’ont pas une bonne vision du mandat qui leur est confié (le psaume dit qu’ils marchent dans les ténèbres : jolie métaphore pour dire qu’ils ne voient pas très clair). La justice est bafouée, les plus fragiles en subissent les conséquences de plein fouet et, ajoute le psaume, les fondements de la terrent chancellent. Pour autant, le monde ne va pas à l’abandon, même si certaines pratiques humaines le font sérieusement souffrir. Le verset 8 affirme la confiance en Dieu qui peut juger la terre entière : non pas la condamner mais la juger, c’est-à-dire mettre fin à l’injustice, rétablir la balance déséquilibrée. Cela s’accomplit de deux manières. La première est de sortir les plus fragiles de cette situation qui est en train de les broyer. La seconde est de transformer ceux qui pratiquent l’injustice. Lorsqu’au verset 2 Dieu demande : « jusques à quand jugerez-vous avec injustice ? », cela indique que Dieu envisage un changement des personnes en cause, qu’il espère un futur meilleur avec elles et qu’il ne se comporte pas en justicier qui élimine tout ce qui n’est pas conforme à ses projets. Il n’est pas question de mettre en place des purges, il s’agit de convertir ce qui est perverti, de réformer ce qui est déformé. Et c’est là que l’histoire des moines de Tibhérine nous aide à comprendre la pédagogie de Dieu en matière de justice. Convertir, réformer, cela nécessite d’être présent auprès de ceux qui doivent changer, d’être au cœur des ténèbres pour apporter de la lumière et la connaissance et l’intelligence qui font manifestement défaut. Il est frappant de constater la présence de religieux partout où il y a de la violence, de la barbarie. Il est frappant de constater que les communautés religieuses ne désertent pas les lieux de mort. Pour ces croyants, fuir, ce serait créer des zones de non-droit, ce serait laisser l’injustice et, parfois l’ignominie, aller bon train. Leur présence offre une alternative, une autre histoire, un autre scénario possible. Leur foi en ce Dieu qui ressuscite ce qu’on met à mort, précisément, les encourage à tenir bon et à être un phare dans l’obscurité, à être cette veuve qui harcèle le juge inique de la parabole, à être les yeux de Dieu au sein de l’enfer. Les moines de Tibhérine soignaient gratuitement les gens du village, ils enseignaient les enfants et les adultes, offraient des divertissements, des objets culturels et ils cultivaient la terre. Les moines de Tibhirine, à l’instar des religieux vivant là où les guerres civiles déchirent les pays, là où les réseaux mafieux étrillent les populations, sont un exemple radical d’un engagement au service de la justice, et cet exemple peut sembler bien éloigné de ce que nous pouvons vivre en France. Et pourtant, il n’est pas nécessaire d’aller du côté de Grenoble pour voir à quel point des quartiers sont laissés aux mains de ceux que ce psaume fustige. Et il ne s’agit pas seulement de quartiers difficiles et de zone de non-droits où les pompiers hésitent à se rendre sans escorte policière. Etre là, au cœur des ténèbres, et proposer une alternative, un autre scénario, c’est aussi ce qui est nécessaire dans certains établissement scolaires qui sont abandonnés par les familles qui veulent non seulement un bon niveau d’enseignement mais, surtout, de la sécurité pour leur enfant. Peu à peu des établissements deviennent des endroits invivables parce qu’ils ont été désertés de la même manière que des entreprises ou des associations qui rassemblaient plus de malfaiteurs que de bienfaiteurs. Et c’est compréhensible. Est-il raisonnable de prendre nos enfants en otage au nom de nos idéaux ? est-il raisonnable de mettre sa santé voire sa vie en jeu au non de nos idéaux ? A vrai dire, c’est à chacun de se prononcer et de savoir quelle est la bonne décision, quel est le bon lieu pour exercer sa responsabilité personnelle. Les moines de Tibhérine, eux-mêmes, furent divisés sur l’attitude à adopter : partir ou rester ? Leur décision de rester fut le fruit de discussions, de prières, de réflexions partagées. Qui leur en aurait voulu de faire le choix contraire ? personne. Il n’en demeure pas moins vrai que la justice ne peut reprendre ses droits que par l’exercice de la justice. Et cette justice est d’abord une affaire individuelle. Ce n’est pas l’Etat algérien qui a permis aux habitants de Tibhérine de traverser la guerre civile et d’être aujourd’hui munis de ce qu’il faut pour assumer leur existence. Une habitante algérienne, dans un geste de reconnaissance peut-être un peu naïf, écrivit cette lettre aux religieux, plusieurs années après leur mort : « nous étions seuls dans notre souffrance et aucun n’a eu le courage ou la pensée de prier au moins pour nous et de dire : « Dieu, aide-les ! » excepté vous… ». Dieu nous confie, personnellement, cette responsabilité de rétablir la justice à la fois en prenant soin des plus faibles et en prenant soin des malveillants. Cette responsabilité peut nous donner le sentiment d’être largement au-delà de nos capacités, d’être une sorte d’utopie qui a sa place dans l’imaginaire du croyant mais pas dans sa vie quotidienne. Et pourtant il n’y a pas de mystère. Ce n’est qu’en étant au cœur des ténèbres que nous permettons à Dieu de les dissiper. Cela peut nous sembler être parfois largement au-delà de nos forces, de nos capacités, et pourtant… Et pourtant Timothy Radcliffe qui fut le supérieur des Dominicains il y a quelques années, raconte ce qu’il vécu lors d’une veillée pascale, au Vénézuela. Pendant la célébration, une jeune moniale chante au pied du cierge pascal, seule lumière dans l’obscurité qui a enveloppé l’assemblée. Elle chante dans le noir un chant d’amour. Et cette image suggère à Timothy Radcliffe que les croyants sont pris dans un autre drame, une autre histoire. La voilà notre histoire. C’est le cœur de la nuit et cette moniale chante un chant farouche. C’est la nuit et elle chante les louanges de Dieu. Parce que même dans le noir, entre le commencement et la fin, on peut rencontrer Dieu et le glorifier. C’est maintenant l’heure. Attendant d’être assassiné, Jésus dit à ses disciples : « dans le monde, vous aurez à souffrir. Mais gardez courage ! j’ai vaincu le monde. » (Jean 16/33). C’est maintenant l’heure de la victoire et de la louange. Amen. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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