Comme attendre la vague et jouer avec elle(Hébreux 10:39-11:10)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 29 novembre 2015 Le temps de l’Avent nous encourage à plus et mieux attendre quelque chose dans notre existence en attendant la venue du Christ. Ce n’est pas facile de bien attendre. Il y a plusieurs raisons à cela :
Il est donc difficile d’attendre quelque chose de la vie et de bien attendre. Nos pires souffrances sont peut-être celles auxquelles on s’attend, celles que l’on craint :
Face à ces soifs profondes et ces peurs de manquer, notre attente peut être souffrante, et cela se manifeste par de la fièvre comme la violence, ou se manifeste par cette sorte d’évanouissement qu’est le désespoir. Qu’attendre et comment attendre ? C’est à ce vrai travail que nous invite cette période d’attente de Noël qu’est l’Avent. Se regarder en vérité dans le miroir de l’Évangile, avec l’aide de Dieu, et travailler sur ce que l’on attend vraiment. Au moins, attendre quelque chose. Et puis choisir un petit peu plus ce que j’attends, purifier cette attente. Mais encore la rendre moins passive, en cherchant modestement à incliner le cours des choses pour ce qui dépend de nous, et sinon améliorer notre réception de ce qui arrivera malgré nous. Pour cela, peut-être pourrait-on choisir d’abord pour soi-même de prendre un temps chaque jour pour se tourner à l’intérieur de nous mêmes pour y être à l’écoute de nos attentes profondes, réelles, et des attentes de ceux qui nous sont proches, et des attentes de Dieu. Dans la réflexion et la prière. Ce passage de la lettre aux hébreux met en effet en lien la foi d’Abraham et son attente. C’est une bonne piste. Au moins, pour attendre, il faut avoir foi en quelque chose. Ce texte témoigne :
Nous, nous ne sommes pas de ceux
Ici comme dans toute la Bible, l’âme n’est pas seulement la partie spirituelle de la personne humaine, mais c’est son être entier, vivant. Avoir foi en quelque chose, c’est faire face au tourbillon de la vie, c’est avoir une attente, une direction. Sans cela, nous dit l’auteur de cette lettre aux hébreux, nous sommes dans une fuite qui nous disperse, nous sommes emportés, ballottés par les événements comme une feuille morte dans les tourbillons de vent. Mais si nous avons comme une attente, une visée, une foi, bien que secoué par les éléments, notre évolution personnelle est orientée. Une qualité d’attenteLa foi d’Abraham, nous dit ce texte est une attente, « l’attente de la cité qui a de solides fondations, celle dont Dieu est l'architecte et le constructeur. » Une personne qui « croit en quelque chose », par exemple dans un idéal, cette personne est déjà dans l’attente d’une cité dont très précieux. Mais ici, ce que le texte appelle Dieu est plus qu’un architecte, il est aussi le constructeur, cela suppose une puissance active. Et c’est la différence entre la foi chrétienne et une philosophie humaniste même si celle-ci est vécue comme une foi animant son sujet. La différence est double :
C’est à cette qualité d’attente que nous invite ce texte, une attente à la fois humble et ouverte sur une transcendance, une attente ferme et en même temps dynamique, souple, vivante, personnelle. Qu’est-ce que la personne humaine peut attendre ainsi ? L’avoir et l’êtreLe premier exemple que donne cette lettre reprend l’éternelle question de l’avoir ou de l’être. Notre attente est-elle comme celle de Caïn dont le nom signifie possession et qui incarne ainsi notre attente d’avoir ? Ou est-ce que nous sacrifions plutôt à une attendre d’être vraiment quelqu’un, cette attente étant incarnée par son frère Abel « le souffle » ? Caïn et Abel, tous les deux comptent sur Dieu car tous les deux reconnaissent en lui la source de ce qu’ils ont de bon dans leur vie, et tous les deux lui présentent leur attente pour le futur. Alors, est-ce que nous serions invités à nous dépouiller de toute attente de possession, d’arrêter de conjuguer le verbe avoir non seulement pour ce qui est d’espérer avoir du pain, un toit, une situation, mais même cesser d’espérer avoir des connaissances ou des amis... de sacrifier ainsi notre soif d’avoir afin de mieux nous concentrer sur le verbe être dans notre attente, dans notre espérance ? C’est plus compliqué et plus fin que cela dans la Bible. Le texte ne dit pas que l’attente de Caïn serait mauvaise mais que l’attente d’Abel est meilleure. C’est évidemment une mauvaise idée de tuer notre âme dans une attente pathologique de possession. On le sait, mais c’est si facile de tomber dans le panneau qu’il n’est pas inutile de méditer là-dessus de temps en temps. Mais ce n’est pas une invitation au dépouillement. Nous sommes ainsi fait que nous ne pouvons être sans avoir, nous sommes donc évidemment à la fois Caïn et Abel. D’ailleurs Jésus ne dit pas « heureux les pauvres », mais il dit « heureux les pauvres en Esprit »(Matthieu 5) : heureux ceux qui ont cette attente-là, attente de l’Esprit de Dieu, attente de ce Dieu créateur agissant en eux. Alors oui, comme l’attend Abraham nous sommes dans cette cité que Dieu rêve et construit. Il transformera notre façon d’attendre ce qui est nécessaire à notre vie en ce monde. Et si Jésus déclare ensuite « Ne dites pas : Que mangerons-nous ? que boirons-nous ? de quoi serons-nous vêtus ? Car toutes ces choses, ce sont les païens qui les recherchent. Votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu, et toutes ces choses vous seront données en plus ». (Matthieu 6:31-33) Quand Jésus dit cela, ce n’est manifestement pas pour nous inviter au dépouillement mais pour prioriser nos attentes, pour nous concentrer sur l’attente de l’Esprit, ou du Royaume de Dieu pour aujourd’hui, ce qui est la même chose. La suite de la lettre est intéressante car après avoir évoqué le drame de Caïn tuant Abel, elle dit que néanmoins la foi d’Abel parle encore, montrant qu’il n’est jamais trop tard, qu’aucune personne ne s’est jamais perdue au point de tuer radicalement sa foi ni son être au plus profond de lui. Même quand la frénétique avidité de l’avoir nous saisit, nous sommes encore quelqu’un, la voix de notre personnalité profonde parle encore, elle est alors plus endormie et paralysée que morte. Même en ayant laissé triompher l’avidité des choses matérielles, ou celle du savoir, ou la celle de la morale et du dogme, ou celle de la situation et du pouvoir... par l’amour dont Dieu aime notre âme, sa voix parle et parlera encore. Mais il n’y a pas qu’Abel qui parle encore, il y a aussi Hénoc qui est un descendant de Caïn. Hénoc vit lui aussi par la foi, et vit éternellement, recueilli par Dieu, nous dit le texte, laissant entendre que rien n’est jamais perdu pour Dieu, pas même cette attente de possession qu’il est bon de domestiquer mais pas de mépriser. La constructionL’exemple suivant dans cette lettre aux hébreux évoque une autre attente, avec Noé. C’est celle de construire quelque chose pour sauver notre peau. Cette action conjugue l’avoir et l’être, car il faut évidemment avoir les deux pour construire quelque chose. Mais ici, l’avoir est un moyen, ce n’est pas une attente, ce n’est pas une avidité de possession qui écrabouille l’être comme dans l’histoire précédente. Cette soif d’agir aussi peut devenir une avidité qui dilapide l’avoir et écrabouille l’être. Et cela mérite de se demander ce que l’on cherche vraiment quand on entreprend un chantier ? En vérité ? Ce texte nous suggère de le faire par la foi, comme Noé. C’est par la foi qu’il reçoit de Dieu comme une information spéciale dont il ne pouvait avoir l’intelligence seul. C’est comme une de ces alertes « priorité au direct » qui surgissent parfois sur nos écrans. Il avait connaissance d’un monde et d’un comportement à tenir pour vivre. Cela se trouve être périmé. Noé va mobiliser son avoir et son être dans une attente nouvelle, une envie d’agir pour sauver les siens. Il prend des troncs d’arbres, il prend ses forces et son temps, il mobilise son énergie, son savoir-faire et ses proches... tout ce qu’il a. Cette attente de Noé par la foi, c’est un retournement : non pas une attente d’avoir plus mais une attente de dépenser ce que l’on a au service de ce qui est juste, et d’y impliquer son être. Et là encore, cette foi qu’a Noé le met au bénéfice du Dieu architecte et constructeur. Mais pas sans Noé, plutôt avec Noé, le rendant souple, s’adaptant, anticipant la vague qui va venir, et surfant dessus, et sauvant les siens, et son monde. Et devant tant de douce puissance divine, Noé est impressionné, humble et reconnaissant. La vocationNoé nous invitait à revisiter par la foi notre attente en ce qui concerne notre avoir. Abraham nous invite à revisiter notre attente dans le domaine de l’être. Dieu lui adresse, il nous adresse une vocation. L’entendre nous met en route vers un lieu que nous ne pouvons pas connaître puisqu’il appartient au futur, un lieu qui n’existe donc même pas encore mais qui vient. Mais ce lieu, cette façon d’être est assortie d’une promesse. Pa définition, ce lieu est donc étranger à tout ce qui nous a précédé, est étranger à notre passé et à notre présent. Ce lieu, c’est une nouvelle façon d’être, en mouvement. La lettre aux Hébreux insiste bien là-dessus avec une jolie pirouette. Il nous dit en effet que :
Abraham, par la foi,
Normalement, on attendait qu’Abraham habite comme chez lui dans cette terre étrangère qui lui est donnée par Dieu, qu’il s’y installe en possesseur de cette terre. Mais c’est l’inverse, elle est à lui et il l’habite en étranger, en nomade, en voyageur sous une tente faite pour être démontée demain matin pour aller ailleurs. C’est ce que j’essayais d’exprimer avec cette image du surf sur la mer. Habiter notre être, habiter ce que nous avons : notre monde, nos dons, nos valeurs et notre théologie, notre religion et notre culture... avec souplesse et mobilité, avec fluidité, en étranger, en nomade. Pas en maître. Pas en patron. Mais comme un invité, comme un étranger qui découvre une culture qu’il ne connaît pas et une météo imprévisible. Avec Abraham, nous apprenons à attendre que notre être s’anime en une bénédiction profonde, vivante, pleine de nouveautés. Réellement. Je n’ai jamais fait de surf, mais d’autres sports de glisse. Quand on se lance la première fois, il y a un temps de vertige car ce n’est plus une prise qui nous assure, mais c’est le mouvement qui nous porte, ce sont des forces puissantes qui ne sont pas les nôtres : la vague pour le surfeur, la neige poudreuse pour le skieur, les ascendances pour le parapente, la terre de la piste pour le motard... Au début, c’est un peu comme pour le croyant qui commence à interroger son dogme, c’est comme le philosophe athée qui commence à découvrir la prière. Alors se fait sentir un temps de vertige, l’eau est profonde, le vent est fort, la vague se creuse, puissante, et nous soulève, et nous donne la liberté d’une belle trajectoire. La foi, c’est attendre comme cette vague et jouer en équipe avec elle. Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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