Jésus déradicalise la Samaritaine(Jean 4:3-26) (écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 22 novembre 2015
Chers frères et sœurs, que faisait-elle là, cette femme ? Que faisait-elle là à midi, au plus chaud de la journée, alors que c’est le matin ou en fin de journée qu’il est d’usage d’aller chercher de l’eau au puits ? Manifestement, si cette femme vient à cette heure-ci, c’est pour éviter la présence d’autres personnes. C’est délibérément qu’elle se tient à l’écart du reste de la population. Elle ne veut pas de contact avec les autres. Certains commentateurs font l’hypothèse que c’est en raison de sa vie dissolue, puisqu’il sera dit qu’elle a eu cinq maris. Elle pourrait ne pas vouloir supporter les cancanages et les moqueries à son sujet. Mais nous verrons que les maris en questions ne sont probablement pas des maris de chair et de sang. Je forme donc l’hypothèse que la femme se tient à distance parce qu’elle a une grande crainte de l’impiété et des personnes impies. Comme cela sera indiqué dès que le dialogue s’engagera entre Jésus et elle, les frontières symboliques sont bien présentes à son esprit. Les mélanges sont récusés. Elle insistera lourdement sur tout ce qui la sépare du juif qui se tient en sa présence. Cette femme, je forme l’hypothèse qu’elle s’est radicalisée ou, du moins, qu’elle est en voie de radicalisation. Quant à Jésus, s’il est précisé qu’il lui fallait passer par la Samarie, je forme l’hypothèse que c’est pour y accomplir un devoir impérieux, une tâche qui lui incombe et à laquelle il n’entend pas se soustraire : déradicaliser cette samaritaine, figure récapitulatrice de la Samarie, héritière du Royaume du Nord, frère ennemi du royaume du Sud, Juda, dont la capitale, Jérusalem, est en concurrence avec le sommet sacré de la Samarie : le mont Garizim. Je forme l’hypothèse que Jésus intervient pour essayer d’enrayer un processus de radicalisation, par trois actions qui pourraient bien nous inspirer : lever les malentendus, analyser le réel, valoriser les pulsions de vie. Lever les malentendusLa lecture du texte biblique fait apparaître un quiproquo au sujet de l’eau. Jésus et la femme ne parlent pas de la même chose. Comment pourraient-ils se comprendre, dès lors ? Lever les malentendus, c’est se débarrasser des déchets de la pensée, c’est se débarrasser de ce qui fait obstacle à la compréhension du monde dans lequel nous vivons. Un malentendu, c’est par exemple ce journaliste qui écrit dans une publication de la fédération baptiste, en France, que les morts du bataclan ont subi le même sort que le mort qu’il y a eu lors de la chanson Sympathy for the Devil, lors du Concert des Rolling Stones à Altamont en 1969. Il précise « …sous réserve qu’on ait conscience de l’existence d’un monde spirituel (…) il y a des choses ou des entités avec lesquelles on ne joue pas ». Dans les deux cas, il est reproché d’avoir joué avec le diable, et d’avoir été puni -ce qui, déjà, laisse entendre que les jihadistes seraient effectivement le bras armé de la justice divine. Par ailleurs, s’il ne s’agit pas de mettre Mick Jagger, le chanteur des Rolling Stones, et René Girard, sur le même niveau académique, pourquoi ne pas dire que René Girard est lui-même mort pour avoir fait, à un niveau universitaire, le travail des chanteurs, des poètes, des artistes en général : mettre en évidence les mécanismes de violence. La chanson des Rolling Stones montre justement la banalité du mal, la capacité qu’a chacun de nous de pouvoir être artisan du mal - ce qui est une manière d’être vigilant face à la violence collective, comme le fait, dans un autre registre Je vois Satan tomber comme l’éclair. La femme de Samarie parle d’eau matérielle, Jésus parle d’une eau qui n’est pas faite seulement d’hydrogène et d’oxygène. La femme parle de substance, Jésus parle d’un idéal de vie. Les rencontres avec des personnes revenues de Syrie révèlent que ce n’est pas pour la gloire d’Allah qu’elles sont parties. Le plus souvent, ce sont des besoins matériels qui ont été couverts par des groupes ou des personnes charismatiques qui sont à l’origine de leur départ : ces « gourous » ont petit à petit mis la main sur ces personnes pour en faire ensuite ce qu’ils voulaient. De même que l’eau peut recouvrir plusieurs réalités, le diable peut signifier des choses différentes, et un nom de religion peut désigner des pratiques et des idées diamétralement opposées. Il convient de lever les risques de malentendu, éviter les amalgames, pour reprendre l’expression en vogue actuellement. Analyser le réelAu malentendu sur l’eau fait suite une discussion sur l’état marital de la femme. De même que l’eau n’est pas de l’eau, les maris ne sont pas des maris et Jésus n’est pas omniscient, sachant tout sur tout le monde. Ce dont il parle, c’est de l’histoire de la Samarie, au moment où elle est tombée aux mains des Assyriens. C’est à cette époque, en 722, que Sargon II, le roi d’Assyrie, a déplacé les peuples de cinq pays pour les installer en Samarie, avec leur divinité respective (2 Rois 17/24ss.). Le mari, c’est le Baal, dans les langues sémitiques, ce qui est aussi le nom de Dieu dans les nations proches d’Israël. Jésus parle des divinités auxquelles la Samarie a été exposée et il parle du fait qu’aujourd’hui, elle se retrouve sans mari, c’est-à-dire sans Dieu. L’alliance avec l’Eternel n’a plus cours. Au lieu d’avoir des analyses aussi fulgurantes et fausses que ce rabbin (Rav Shimon ben Tov) qui annonçait qu’aucun mort ne serait à déplorer dans la communauté juive concernant les attentats de la semaine dernière, ce qui revient à dire que les six membres de la communauté juive qui ont été tués auront probablement été punis pour ne pas avoir respecté le shabbat, ce qui fait également des terroristes des agents de la justice divine, il est plus intéressant d’examiner avec soin l’histoire des uns et des autres, histoires qui les mènent à la radicalisation pour des motifs différents. Ici Jésus prend appui sur l’histoire spécifique de la Samarie pour la rejoindre dans son univers. Jésus ne se contente pas d’approximations, il ne fait pas une théorie générale sur la radicalisation, mais il permet à la Samarie de raconter son histoire propre et notamment ce qu’elle a fait pour exister. Car c’est bien de cela dont il est question dans le dialogue entre Jésus et la femme : comment s’y prendre pour ne pas disparaître, pour ne pas mourir de soif, étant entendu que la soif n’est pas matérielle. Comment survivre dans un monde qui ne veut plus de vous, dans une société où nous n’avons plus notre place ? Je le répète, Jésus analyse le réel en convoquant l’histoire. Il ne réfléchit pas sur du ressentiment ou des impressions. Qu’il se réfère à l’histoire indique qu’il fait place à la raison, à la rationalité. A la fois il tient compte de la situation spécifique et il s’appuie sur des faits pour s’adresser à la personne radicalisée. Il ne discute pas idéologie contre idéologie. Il prend en compte le cheminement, les différentes étapes qui ont mené à la radicalisation. Oui, Jésus essaie de comprendre ce qui s’est passé. C’est la seule manière d’avoir ensuite un discours qui pourra faire effet. Valoriser les pulsions de vieC’est à ce moment que Jésus va prendre la parole plus longuement pour lui dire que le fossé qui les sépare va pouvoir se résorber. La situation peut s’arranger non parce que la femme se rangerait à la position de Jésus ou que Jésus se radicaliserait également, mais parce qu’il y a une perspective commune par delà leurs deux positions. Ce n’est ni le Garizim ni Jérusalem qui sont l’horizon ultime, dit Jésus ; l’un et l’autre renvoient à un universel supérieur, ce que Jésus appelle le Père, qui sera adoré en esprit et en vérité, indépendamment d’un lieu, d’un rituel spécifique. Ce que fait Jésus, c’est d’offrir à la femme un idéal supérieur à l’idéal qu’elle s’était donné jusque là. Ce que fait Jésus, c’est d’attirer la femme vers la perspective d’une vie autrement plus jouissive que ce qu’elle connaissait jusque là. C’est d’ailleurs ainsi que Jésus a commencé l’entretien, mais la femme s’était aussi repliée sur elle-même. Souvenez-vous, la première parole que Jésus lui a adressée est : « donne-moi à boire ». Oh, dit comme cela, cette parole est aussi anodine que de demander l’heure à quelqu’un. Pourtant, cela signifie bien plus pour Jésus et pour la samaritaine qui sont l’un et l’autre connaisseurs de la Torah. « Donne-moi à boire » c’est l’expression qui annonce la demande en mariage. Du moins est-ce la formule qui retentit en Gn 24, au puits qui sera celui de Jacob, lorsque Rebecca est repérée pour devenir la femme d’Isaac. A la génération suivante, Jacob y embrassera Rachel. On comprend mieux que la Samaritaine ait répondu à Jésus : « Comment, toi qui es juif, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une Samaritaine ? » En effet, on ne saurait imaginer qu’un juif puisse avoir une relation avec une Samaritaine. On ne saurait l’imaginer dans la perspective de relations en miroir. On ne saurait l’imaginer si l’intégrisme l’emporte. On ne saurait l’imaginer si nous nous accordons avec les propos relayés par l’Union des Eglises méthodistes : un texte qui déclare que « nous avons produit le mal qui nous assaille. La présence de l’islam manifeste aujourd’hui notre infidélité à l’Évangile. » Outre l’absence d’analyse du réel, une telle affirmation va à l’encontre du projet porté par Jésus dans cet évangile. Pour Jésus, il s’agit de faire alliance ; il s’agit de sortir de la répétition des scénarios et d’accomplir le désir frustré dont il est question en 2 R 17/35 : restaurer l’alliance avec l’Eternel, autrement dit, renouer avec ce qui fait advenir la vie en plénitude. En disant à la femme qu’elle pourrait avoir de l’eau vivante, Jésus la met sur la piste de la pulsion de vie en lieu et place du repli identitaire dont elle fait preuve, elle qui est bloquée sur le puits de Jacob dont elle fait, sinon un lieu saint, du moins exclusif. Il la met sur la possibilité de nouvelles alliances qui ne sont pas une infidélité à son histoire, mais, au contraire, qui lui donneront une amplitude bien plus importante. Ce n’est pas à coups de pulsions de mort qu’on vient à bout d’autres pulsions de mort. Ce n’est pas à coups de lois liberticides qu’on défend la liberté. Ce n’est pas en figeant la vie qu’on la rend meilleure. C’est en nouant de nouvelles alliances, en croisant des horizons, en dépassant les affiliations à des chapelles particulières, qu’il est possible de célébrer pleinement la vie dont parle la Bible. Les ultras de Marseille sont bien plus proches de l’attitude de Jésus lorsqu’ils tendent une banderole « Nous sommes Paris » que n’importe quel religieux qui s’enferme dans son bréviaire. Les supporters anglais qui chantent la Marseillaise à Wembley sont bien plus fidèles à l’Evangile que n’importe quel religieux qui se contente de sa déclaration de foi. Dans cet épisode biblique, Jésus remet en cause les frontières traditionnelles, les oppositions classiques, les clivages qui deviennent une part de notre identité. Nous pouvons exister sans être les ennemis de quelqu’un. Dans un monde en tension, Jésus propose une convivialité qui n’ignore rien des conflits, qui n’ignore rien des histoires, mais qui envisage qu’il y a plus à gagner ensemble que les uns contre les autres. La déradicalisation ne passe pas par la mise en cage des menaces. Cela, ce serait de l’immobilisation. La déradicalisation passe par une réponse à la soif de vivre. Elle passe par des propositions plus intéressantes en termes d’idéal. Elle refuse de se contenter d’eau plate, autrement dit morte. La déradicalisation passe par la résurrection du désir de vivre et d’être soi-même source de vie pour les autres, d’être soi-même source d’eau vivifiante, d’être soi-même transmetteur de pulsions de vie ; ces pulsions de vie qui ne connaissent ni frontière, ni religion. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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