Le fils de l'homme(Marc 13, 24-32 ; Daniel 12, 1-3 ; Hébreux 10, 11-18)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 15 novembre 2015
Ce n’est pas l’actualité qui m’a fait choisir les trois textes bibliques que j’ai lus pour le culte de ce dimanche. Ce sont là en effet les textes proposés par le lectionnaire dominical en usage dans les paroisses luthériennes. Je suis bien conscient, qu’ils retentissent pourtant de manière très singulière aujourd’hui, alors que nous avons tous en tête – et certainement devrais-je dire plutôt dans le cœur – les événements de ces jours derniers : un avion piégé qui s’écrase dans le désert entraînant ses passagers dans la mort, et avant-hier des bombes qui sèment la mort encore à Bourj al-Barajneh, faubourg de Beyrouth, et il y a moins d’une quarantaine d’heures non plus au loin mais chez nous, dans notre ville, quelques cent trente morts assassinés et de si nombreux blessés… Employant au milieu de la nuit les mots forts et implacables de peur et d’horreur, et encore au matin celui de guerre, « un acte de guerre commis par une armée terroriste » disait-il, le président de la République nous aurait-il cependant renvoyés à ce que nous avons écouté ce matin à la lecture de notre Bible ? La question n’est pas insidieuse, car je suis persuadé que, tout comme il m’est arrivé, vous avez vous aussi rencontré de ces gens qui, non sans toujours une morbide délectation, nous préviennent, que les catastrophes annoncées par l’Écriture, qui avertiront de la proximité des jours terribles de la fin de toutes choses, sont bel et bien celles de notre temps. Ce que je regrette, et je le dis d’emblée, dans l’attitude de ces gens dont je parle, c’est que d’une part ils me semblent se livrer à une lecture très littéraliste du texte biblique, et que d’autre part ils n’envisagent pas l’évangile dans son entier, et par conséquent en ont une compréhension tronquée. Ah ! Peut-être savez-vous que l’on appelle communément « apocalypse synoptique » les chapitres parallèles des évangiles, dont celui qui nous retient aujourd’hui, où sont rapportés ces dites catastrophes. Or, personnellement, je regrette que de l’apocalypse on ne fasse qu’une source de terreur, quand le terme signifie en vérité « révélation », une révélation de ce que Dieu prépare pour nous, et que du tréfonds de ma foi, je crois qu’il ne prépare ni ombre, ni obscurité, en lesquelles nulle révélation n’est possible puisqu’on se trouve dans l’impossibilité de voir et de comprendre, mais lumière plutôt ! Je veux précisément comprendre comme une incitation à saisir la beauté de la révélation de ce que Dieu me promet, dans cette belle pédagogie mise en œuvre dans la tradition luthérienne, lorsqu’elle nous invite à y réfléchir tout particulièrement à l’occasion des trois derniers dimanches de l’année ecclésiastique. Et nous y sommes, puisque dans quinze jours nous entamerons un nouveau cycle liturgique avec le premier dimanche de l’Avent ! Vous saisissez donc déjà, qu’il va pour moi être moins question de discuter ici ce qu’on appelle d’un terme commode (mais qui resterait à préciser si l’on veut éviter certaines confusions fâcheuses) la fin du monde, comme si la création de Dieu pouvait avoir une fin, ce qui risquerait fort d’être un échec, qu’envisager le dessein de Dieu pour le monde et pour les siens… les siens : j’aurais pu dire les saints, je l’espère bien... nous-mêmes ! o0o Ce qui me retient d’emblée, c’est la figure qui domine l’évangile de ce dimanche, la figure du Fils de l’homme ! Le Fils de l’homme... Le problème est que nous nous méprenons parfois sur la signification de cette expression, assez étrange au prime abord. Je m’explique. Puisque c’est à Jésus que ce titre, Fils de l’homme, s’applique, comme lui-même d’ailleurs l’a revendiqué pour lui, nous imaginons souvent qu’en ce Jésus-Christ, dont nous reconnaissons simultanément la proximité avec Dieu et avec nous, les plus orthodoxes diront que nous confessons être simultanément vrai Dieu et vrai homme, quand les plus libéraux affirmeront qu’il nous enseigne à comprendre ce qu’il y a de spirituel en tout être de chair, ce terme, Fils de l’homme, disais-je, pour beaucoup signifie que Jésus est notre compagnon en humanité qui sur sa croix dans l’obéissance nous unit pleinement à lui, nous évitant l’emploi de sa contrepartie à l’accent trop fabuleux pour ne pas dire mythologique pour certains : Fils de Dieu. Je craindrais, voyez-vous, qu’à trop distinguer le Fils de Dieu du Fils de l’homme, premièrement nous n’en venions très vite à couper en deux le Messie jusqu’à en voir deux, d’un côté un Christ céleste toujours lointain, et de l’autre un Jésus copain toujours incertain, et secondement que parlant du Royaume de Dieu, nous nous demandions sans trouver de réponse ce que, s’agissant de Dieu, l’homme vient faire là. Je voudrais donc, dans cette prédication, tout simplement expliquer qui en vérité est le Fils de l’homme, en tâchant de ne pas trop faire de théologie, et de souligner plutôt ce que cela implique pour notre vie quotidienne. o0o Jésus parlait araméen, une langue très voisine de l’hébreu, une langue populaire. C’est en araméen qu’il a prononcé ces mots qu’aujourd’hui nous traduisons par Fils de l’homme, les reprenant d’ailleurs de l’Ancien Testament, où le prophète Daniel les a introduits. Demandons-nous donc deux choses : d’abord si notre traduction est correcte, et ensuite quel sens il convient de lui donner. Ah ! une remarque encore avant d’en venir là. Je viens de dire que c’est dans le livre de Daniel, que l’expression apparaît dans notre Bible, Daniel que j’ai qualifié de prophète. Assez intéressamment me semble-t-il, dans la Bible des Juifs, Daniel n’est pas un prophète et le livre qui lui est attribué est ce qu’on appelle un hagiographe, un livre saint, utile à la piété. Au vrai, cette expression prend une dimension touchant au salut, sotériologique dans un autre livre de la tradition juive, le livre d’Hénoch, rédigé en araméen mais conservé intégralement en éthiopien seulement. Pouvons-nous nous y fier ? Vous allez rétorquer en effet, qu’en cela nous nous éloignons de la Bible. En êtes-vous sûrs ? Il n’est pas indifférent que le livre d’Hénoch figure dans une Bible chrétienne, celle, vous vous en doutez, des chrétiens d’Éthiopie. Pas dans la nôtre, c’est vrai. Mais pour quelle raison, je vous le demande, notre Bible serait-elle plus crédible, plus authentique, que celle des autres ? Les livres retenus en tant qu’Écritures Saintes l’ont été par rien d’autre que par la tradition, et le consensus n’est pas universel, puisque les Juifs eux-mêmes, d’Alexandrie ou de Jérusalem, ne possédaient pas la même Bible, et aujourd’hui protestants, catholiques, orthodoxes, ont des canons – ou listes des livres – différents, vous le savez. Permettez-moi de relever chemin faisant, que cela devrait conduire les protestants que nous sommes, à réfléchir sérieusement sur ce que signifie le principe réformateur du Sola Scriptura, l’Écriture seule comme appui pour la foi, quand l’Écriture est si variable. Quelle Écriture… seule ? Celle qui nous arrange ou en tout cas nous dérange le moins ? Remarquez que pour moi, je réponds à la question en faisant confiance au discernement que l’Esprit Saint me réserve lorsque je lis les Écritures, au témoignage que l’Esprit me conduit à rendre après que j’ai été instruit par une Écriture que je reçois comme un don précieux ; voyez, il m’arrive d’être calvinien ! Sans rentrer dans des détails qu’il n’y a pas lieu ici d’exposer, qu’il me suffise d’expliquer que Fils de l’homme est une traduction servile, mot à mot, d’une expression qui ne vise pas en araméen, ni même en hébreu, à noter une filiation, voire une origine ou encore une nature, mais qui veut souligner une plénitude, le caractère complet, parfait. Ainsi, le Fils de l’homme ce n’est pas vraiment l’homme tel que nous le sommes maintenant, puis précisément que nous sommes loin d’être parfaits, étant plutôt pécheurs, faibles, inconstants, tout soumis à nos désirs et à nos vanités, l’homme que Jésus a assumé sur la croix, mais c’est l’homme tel que Dieu l’a créé, nous dit la Bible à son image et à sa ressemblance, l’homme qui est appelé à dominer la création de Dieu et qui, voyant devant lui l’arbre de la vie, peut encore choisir la vie. Acceptez que je cite du haut de cette vénérable chaire de l’Oratoire une vision d’Hénoch : « Là je vis l’Ancien des jours, dont la tête était comme de la laine blanche, et avec lui un autre, qui avait la figure d’un homme. Cette figure était pleine de grâce, comme celle d’un des saints anges. Alors j’interrogeai un des anges qui était avec moi, et qui m’expliquait tous les mystères qui se rapportent au Fils de l’homme. Je lui demandais qui il était, d’où il venait, et pourquoi il accompagnait l’Ancien des jours. Il me répondit en ces mots : ‟Celui-ci est le Fils de l’homme, à qui toute justice se rapporte, avec qui elle habite, et qui tient la clef de tous les trésors cachés ; car le Seigneur des esprits l’a choisi de préférence, et il lui a donné une gloire au-dessus de toutes les créatures.” » [Hén 46, 1-2] Reprenant cette image, qu’il ne pouvait ignorer tant elle était commune pour le judaïsme de son temps, et affirmant dans l’Évangile qu’il est cet homme-là, Adam non point chassé de l’Éden, Adam mort, mais Adam vivant, Jésus fait plus que de nous promettre un salut possible. Il martèle à nos oreilles pour que nous en soyons bien persuadés, que le commencement n’est pas aboli, disparu, envolé, perdu à tout jamais (et voilà la raison pour laquelle parler d’une fin du monde est malhabile), mais que ce commencement avec lui et en lui revient, ou plutôt continue, perdure. Ce n’est pas du possible, c’est du réel, du concret. Oui, devant nous, ici, quand nous écoutons cet Évangile et contemplons le Seigneur crucifié, nous voyons en la croix l’arbre de la vie, l’humanité n’y est pas seulement portée, elle y est rétablie, et il peut être question de puissance et de gloire : « Alors on verra – c’est l’évangile de ce dimanche cette fois, selon Marc – le Fils de l’homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire », nous cessons de ne regarder qu’à nous-mêmes et nous chantons la louange de Dieu ! Ah oui, même nous ne craignons plus le jugement et déjà nous savons que se rassemble le peuple des saints ! o0o Déjà se rassemble le peuple des saints. Il est rassemblé autour du Christ de la croix, rassemblé disait Jésus, c’est le verset suivant dans notre texte, vous vous en souvenez, « des quatre vents, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel », ce qui souligne si besoin est le caractère total, complet, du peuple réuni, comme complet, parfait est le Fils de l’homme qui le rachète. Il est en outre, le peuple des saints, nourrit par lui, le Christ son Seigneur, affermi par lui, et c’est aussi le signe de la sainte-cène quand nous recevons le corps de cet homme-là, l’homme parfait, l’image et la ressemblance de Dieu qu’il restaure en nous. Est-ce suffisant pour exprimer cette conviction, qu’il ne faut pas craindre malgré tous les bouleversements qu’elle ne manque pas d’entraîner, de l’irruption du Royaume de Dieu dans le monde, dans notre vie l’établissement du règne de Dieu ? On a trop longtemps fait peur aux gens avec cette fameuse fin du monde. Eh bien moi, je dis c’est assez ! Oh certes, j’écoute avec sérieux ce que m’enseigne Jésus-Christ accomplissant les prophètes, qu’il ne convient pas de prendre Dieu à la légère comme nos vanités précisément, du vent, du vide, mais je sais que ce vide assurément est comblé. Là où il n’y avait rien, rien à quoi me raccrocher pour ne pas perdre pied, rien pour me consoler, pour m’encourager, voici que désormais il y a quelqu’un, c’est mon Sauveur, quelqu’un notre Rédempteur ! Oui, quelqu’un et qu’avec lui, nous tous ici réunis, nous pouvons, nous sommes capables de grandes choses. Si l’Église n’avait à prêcher que la crainte et le tremblement, ne trouvez-vous pas que cela ne saurait vous satisfaire ? Ah ! mais qu’elle (l’Église, c’est-à-dire nous) ait à proclamer qu’il est possible d’entreprendre et mener à bien de grandes choses, voici qui est plus stimulant n’est-ce pas ! Aussi, parce que Jésus est le Fils de l’homme, j’espère bien que notre « religion » – je place le mot entre guillemets – ne consistera ni pour nous à subir, ni pour les autres à leur faire subir, le seul poids d’une collection d’interdits. La prédication de l’Évangile du Christ ne consiste pas à répéter « il ne faut pas », mais à convaincre celui auquel on s’adresse, que lui également, maintenant et ici, est saisi par la grâce du Seigneur qui lui ouvre des horizons nouveaux. Comprenons-nous bien. Lorsque je prétends, comme maintenant, que l’Évangile du Christ, parce que celui-ci est le Fils de l’homme, l’homme parfait heureux du bonheur de la création de Dieu, ne se résume pas à un catalogue d’interdictions, je ne dis pas pour autant que nul frein désormais ne nous retient plus. Au contraire même. Il nous reste à être dignes de ce Christ-là notre Sauveur. Que l’auteur de l’épître aux Hébreux que nous avons entendue ce matin nous enseigne – ce que reprennent tant de confessions de foi de l’Église universelle – que le Fils « est assis à la droite de Dieu » [Hb 10,12], pensez-vous donc que cela n’ait aucune conséquence ? N’ait aucune répercussion sur notre vie, aujourd’hui et maintenant encore ?... Nous sommes les disciples de ce Jésus qui partage avec le Père la puissance et la gloire, après avoir dans son abaissement partagé notre péché et notre attente. Comme lui-même est solidaire de nous, nous, nous le sommes de lui. C’est-à-dire que nous sommes solidaires de Dieu, et par conséquent que premièrement nous ne saurions nous satisfaire en quoi que ce soit, de ce que lui réprouve, rejette, dément, et deuxièmement que nous devons militer pour qu’aujourd’hui sa volonté soit faite : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel », cela aussi, n’est-ce pas, nous le redisons souvent. Quel est le sens de ces paroles ? Martin Luther répondait que cela signifie que, je le cite, « Dieu réprime et brise – le mot est fort ! – tout mauvais dessein », mais qu’en même temps « il nous fortifie et nous maintient fermement dans sa parole et dans la foi », en d’autres termes qu’il nous donne les moyens d’être ce que nous devons. Encore nous faut-il ne pas oublier que ces moyens, eh bien ils sont à notre disposition ! Et en premier lieu dans les sacrements. o0o Je soulignais tout à l’heure qu’il ne convenait pas de séparer radicalement le Christ divin de Jésus notre compagnon en humanité. Vous constatez que ce refus d’une coupure, c’est à quoi nous sommes en fin de compte parvenus en nous arrêtant à ce dont ce matin l’Évangile veut nous convaincre. Eh oui ! Pour nous, je reprends le verset relu en commençant, « le Fils de l’homme est proche », et je n’oublie pas qu’il est à nos portes, portes qu’il nous faut ouvrir, porte de l’espérance et porte de la joie, porte de toute consolation, porte de toute intelligence ! Non, non, si catastrophes il y a annonçant la venue du Fils de l’homme, ce sont des catastrophes dans notre cœur, mon péché. De cela, l’évangile me convainc. Je m’écris alors : « Figuier de l’évangile, parle-moi de Dieu ! » Et les rameaux du figuier m’annonce l’été. C’est là la pleine révélation, apocalypse, du projet de Dieu pour moi, pour moi, pour nous, son dessein quand il veut, Dieu, qu’à cause de Jésus-Christ, en qui nous voyons « le Fils de l’homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire », nous sommes solidaires de lui, oui solidaires de Dieu ! Dans ce mot solidaire, il y a solide, ce qui signifie consistant. Puissions-nous être toujours consistants, cohérents ! Puisse notre exemple être pour beaucoup un point d’appui ! Oui, que beaucoup puissent compter sur nous, et espérer avec nous... surtout s’il y a peur et horreur, guerre. Au fait, vous savez que c’est là aussi la signification de ce petit mot « Amen » par quoi nous ponctuons et nos prières et notre louange : il évoque l’image du rocher sur lequel on construit et l’on se repose, qui ne bouge ni ne chancelle. Alors que chacune de nos journées soit tout entière un Amen ! Une prière et une louange. Notre prière et notre louange au Seigneur dans la communion de l’Église universelle. Amen ! oui Amen ! Ainsi soit-il ! Jacques-Noël PÉRÈS Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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