in englishLa foi comme épreuve

(Jacques 1:1-8)

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Culte du dimanche 6 décembre 2015
prédication du professeur Pierre-Olivier Léchot (Institut Protestant de Théologie)

« Heureusement que j'ai la foi ! » « Ah si je n'avais pas eu la foi ! » Des phrases de cette nature, chères frères et sœurs, nous en avons toutes et tous entendues et nous les avons peut-être prononcées nous-mêmes. Elles expriment une opinion courante : la profonde conviction que la foi encourage, rend fort, voire qu'elle procure un sentiment d'imperturbable assurance, bref qu'elle est une forme de sécurité face aux difficultés de la vie et qu'elle peut même « renverser devant nous les plus fortes murailles » – ainsi que nous venons de le chanter.

Mais ici, dans cette épître de Jacques que Matin Luther n'aimait guère, c'est le moins que l'on puisse dire, la foi se trouve définie autrement, puisqu'elle y est associée à l'épreuve. Il nous est dit en effet que ces épreuves auxquelles « nous sommes exposés » doivent être considérées comme source d'une « joie pleine et entière », d'une joie « complète » – c'est-à-dire qui touche à l'intégralité de notre être et de notre personne.

Cette affirmation ouvre à mon sens un questionnement que je crois fondamental : comment l'épreuve vécue dans la foi peut-elle être considérée comme source d'une joie « pleine et entière » ? Et de quelle « épreuve » s'agit-il au fond ?

La réponse la plus simple consisterait naturellement à prétendre que la foi doit toujours s'affirmer face à l'adversité pour s'en trouver renforcée, qu'elle doit « tenir ferme » afin que nous puissions affronter avec confiance ce cap difficile qu'est l'épreuve et en ressortir grandi, plus fort, plus résistant.

Mais est-ce assez d'en demeurer à cette explication ? Et n'est-il pas finalement révoltant de jeter à la face de ceux qui traversent l'épreuve, la vraie, que celle-ci doit être considérée comme source de joie s'ils ont vraiment la foi ? N'est-ce pas là une affirmation bien scandaleuse pour ceux qui font l'expérience de l'angoisse devant l'inconnu, du divorce, de la séparation, de l'échec professionnel, de la maladie, du deuil voire de la proximité de la mort elle-même !

Ce que notre épître nous dit d'abord, je crois, ce n'est donc pas que ces épreuves sont en fin de compte des accidents de parcours, un aspect additionnel et somme toute négligeable de notre parcours de foi ou, au mieux, une infortune survenue dans une vie de foi linéaire parce que bien réglée et dont qu'il s'agirait simplement de traverser avec la ferme conviction que de lendemains qui chantent suivront.

Non, ce que l'épître de Jacques nous dit d'abord c'est que l'épreuve, la mise en cause, la fragilité font partie intégrante de l'essence de la vie et donc de la foi. Il nous apprend que la foi n'est pas un remède face à l'épreuve, un « passeport sérénité » face au mal mais qu'elle est elle-même épreuve, doute et, j'oserai le mot, tentation.

Oui, notre foi se trouve menacée, tentée, mise en question tout au long de notre existence et cette mise en cause de notre foi est, paradoxalement et en même temps, source de joie. Bref, c'est lorsque nous doutons, que nous faisons face à l'épreuve sous toutes ses formes que la foi peut devenir, réellement, source de joie.

Cette épreuve ne doit donc pas être perçue comme source de déclin possible pour notre foi, comme une éclipse potentielle de la foi ou, au contraire, comme l'origine d'un renforcement de notre foi. Elle lui est au contraire consubstantielle, elle est, à proprement parler, la foi.

Pourquoi ? D'abord parce que cette épreuve est celle du Christ lui-même, et qu'elle est aussi celle de ses disciples, de ceux qui veulent bien le suivre. C'est ce que met en évidence l'épître aux hébreux par exemple, lorsqu'elle nous dit : « Nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a connu l'épreuve en tout, d'une manière semblable... car du fait qu'il a lui-même souffert l'épreuve, il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés. »

Ensuite parce que la foi n'est pas adhésion nue à une doctrine, à une théologie, à un jolie système de pensée, qu'il soit orthodoxe, libéral, protestant, catholique ou évangélique... mais parce qu'elle est, abstraction faite de sa formulation doctrinale, vie, expérience et profondeur de l'être. Or notre être, notre vie, notre expérience sont par essence soumis au changement, à la rupture, à l'échec, à la souffrance et, en fin de compte, à la mort. Prétendre que la foi serait étrangère à ces événements ou qu'elle nous permettrait de les considérer comme de simples « couacs », ce serait nier le fait qu'elle s'enracine dans notre vie, qu'elle y trouve sa source et sa force et qu'elle est en somme la vie elle-même.

II.

Or, si la foi est consubstantielle à notre vie et aux événements qui la jalonnent, c'est parce qu'elle est elle-même un événement constitutif de notre existence. Chaque parcelle de notre vie, chaque instant de notre existence est en effet le lieu d'une décision, d'une épreuve qui nous impose de choisir entre la foi et l'incroyance.

Bien sûr, nous n'en sommes pas toujours conscients et nous n'avons pas à en faire l'expérience au quotidien. La vie c'est aussi une certaine routine, un cheminement serein et, parfois, sans souci réel. Mais c'est précisément dans l'expérience du mal, lorsque la linéarité de notre vie se trouve rompue, quand notre être que nous croyions unifié se trouve déchiré ou lorsque l'ancien est définitivement derrière et que l'inconnu se trouve encore devant nous que surgit justement et de manière inévitable cet événement de la foi que notre texte associe à une épreuve.

La foi n'est donc pas cette espèce d'énergie paranormale qui nous porte par-dessus les tribulations de la vie et dont nous entendons parfois parler, mais elle est au contraire, au plus profond de ces épreuves, le lieu d'une décision, d'un choix que nous sommes toujours et encore appelés à faire face à la vie. L'épreuve, c'est ce moment où toute notre existence en raison des obstacles qu'elle rencontre se concentre soudainement en un seul point, où tout notre être semble se résumer à une seule question et où notre vie paraît dépendre d'un seul choix, celui de la foi ou de la non-foi.

Naturellement, cet événement, nous pouvons toujours le négliger, considérer qu'il n'est pas décisif, que tout continuera comme avant et essayer vaille que vaille de restaurer l'ancien, de se réfugier dans ce qui n'est déjà plus, dans les fantômes du passé.

Ce choix ou plutôt ce non-choix, ce choix de ne pas choisir, c'est précisément ce que les textes bibliques appellent le manque de foi, l'« oligopistia », ce que des philosophes comme Kierkegaard désignent comme le « désespoir » et ce que la tradition chrétienne, en particulier protestante, appellera « le péché originel ». Non pas au sens d'une corruption consécutive à la Faute d'Adam ou d'un acte moral répréhensible appelant sur nous le jugement divin, mais plutôt d'une définition de nous-mêmes dont nous faisons le choix, d'une glaise dont nous décidons de ne pas nous débarrasser et qui nous englue mais qui nous rassure, d'une vie moins pleine qui peut nous sembler étouffante mais qui, en même temps, semble nous tenir chaud – du moins pour un temps ; le choix du passé contre le futur, de l'immobilisme contre le mouvement, de la mort, même à petit feu, contre la vie.

Le péché, c'est lorsque nous refusons d'affronter la vérité en face, de reconnaître que notre vie est soumise au changement et au mal et que ce changement et ce mal que nous rencontrons nous imposent de choisir entre la vie et la mort, entre l'engagement et le renoncement, entre la confiance et le désespoir ou, comme le dit le Deutéronome, entre la bénédiction et la malédiction. Oui, je crois que ce dont l'épître de Jacques nous parle ici, c'est de l'épreuve du péché, de la tentation de la non-foi, bref du refus de choisir entre la vie et la mort.

Là encore, les mots ne manquent pas pour exprimer les diverses manifestations de cette épreuve : Luther l'appelait la « tentation », là où Calvin préférerait parler d'« idolâtrie »... Peu importe finalement le qualificatif. L'image que choisit Jacques est suffisamment transparente : « celui qui doute, celui qui hésite ressemble aux vagues de la mer que le vent soulève et agite de tous côtés. Un tel homme est un homme partagé, instable dans toute sa conduite. »

Refuser de faire le saut de la foi face à l'inconnu, refuser d'être soi face au mal, c'est se laisser aller à dire un jour oui et l'autre non, se résoudre à hésiter pour finalement s'enfoncer dans l'indifférence rassurante et l'indolente naïveté d'une vie sans remous ; c'est, en fin de compte, se soumettre au danger de la mort, comme le marin abandonnant son gouvernail se laisse porter au gré des flots au risque de voir son navire s'écraser finalement contre les récifs.

Luther, dont je vous ai dit qu'il n'aimait pas cet épître, voyait dans ce verset son meilleur passage – et pour cause ! Car il parlait à ses yeux de cette tentation ultime, la seule, la vraie, celle qui menace tout croyant et dont il avait lui-même fait l'expérience : celle du désespoir, du refus de choisir entre la vie et la mort, du refus d'être soi au cœur de cette grâce qu'est l'existence – celle donc, de l'incroyance.

III.

Certes, on ne nous dit pas que ce saut de la foi face à l'épreuve, nous devons le faire sans réfléchir, sans autre considération. Ce que l'Evangile requiert d'ailleurs de nous, c'est d'abord la patience. « L'épreuve de votre foi produit la patience. » La patience – non pas l'absence d'action, la passivité ou la résignation. Mais le fait d'accepter le décentrement que l'épreuve dont nous faisons l'expérience provoque en nous, l'ébranlement de ce que nous avions cru être notre identité profonde. Choisir d'opter pour la patience, c'est accepter ce décentrement que la souffrance et le mal provoquent pour s'arrêter l'espace d'un instant, renoncer au « toujours plus de la même chose » pour chercher, comprendre, méditer... mais surtout pour écouter et pour demander.

« Si l'un de vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu. » – C'est à à nous lire devant Dieu ou, plutôt, à nous relire en replaçant l'entier de notre vie devant l'Ultime, le Divin, l'Eternel que l'épreuve nous appelle. « Demander à Dieu la sagesse », c'est accepter de reconnaître que notre vie ne dépend pas de nous mais de l'Autre, c'est appréhender la possibilité que cette rupture dont nous faisons l'expérience est le lieu même où peut se manifester le divin, l'Ultime. « Demander la sagesse » , c'est décider que derrière cette mort qui semble envahir notre existence, au cœur même de ce doute qui nous assaille et nous taraude peut retentir une parole de vie, une promesse d'éternité. C'est croire envers et contre tout que notre vie nous est donnée et opter pour la bénédiction première de l'existence en dépit de la malédiction que nous croyons percevoir dans le monde et dans notre vie.

Il ne s'agit donc pas de nier le doute en tant que tel – et ce n'est pas, je crois, ce que veut dire ici notre lettre lorsqu'elle dit qu'il faut croire sans douter. Car il ne nous est pas demandé de refouler le sentiment d'abandon, de souffrance, d'échec que peuvent provoquer les tribulations de la vie il s'agit plutôt d'apprendre à les regarder autrement, malgré tout, en dépit de la peur, du doute et de la mort.

Le théologien allemand Gerhard Ebeling, qui avait connu l'épreuve de la guerre et la perte de son maître et ami Dietrich Bonhoeffer, définissait la foi avec une très grande simplicité comme un simple « pourtant », ce « pourtant » que nous décidons d'opposer à l'angoisse, au mal, à la souffrance et à la mort pour dire : « l'angoisse et pourtant la confiance », « la souffrance et pourtant la joie », « la mort et pourtant la vie » !

Oui, nous avons le droit, et j'oserais même dire le devoir, de choisir la vie, la confiance et la bénédiction en dépit de tous les maux de la vie parce que cette épreuve nous permet de redécouvrir que la vie demeure toujours un don, que l'existence, malgré ses ruptures, est toujours porteuse d'une promesse d'éternité « car Dieu donne à tous, et sans faire de reproche ».

Dans la foi, la vie n'est plus une terre à conquérir, un rêve utopique à réaliser, mais elle devient un don, un espace d'infini, le lieu d'une éternité non à prendre ou à gagner, mais à recevoir et à accueillir. Car, comme le disait Luther, « la loi de la vie, c'est la grâce ».

Ce que cette patience à laquelle nous invite l'épître de Jacques nous permet de découvrir c'est en fin de compte que notre existence peut toujours trouver sens en dehors de nous-mêmes, dans un appel ou une vocation particulière, celle de la vie, de la joie et pour finir de Dieu lui-même. La vérité, le sens de la vie ne sont donc pas à trouver au fond de nous, mais d'abord en-dehors de nous, autour de nous, dans cette vie elle-même que nous n'avons pas choisie mais qui nous est offerte.

C'est alors que l'existence, avec ses déchirures, ses manques, ses souffrances, pourra révéler, malgré tout, son caractère unique et fascinant, son potentiel d'éternité.... C'est alors que nous pourrons faire l'expérience du fait que l'existence, ce « déjà-là » qui nous caractérise et nous dépasse, n'est pas le lieu d'une souffrance première, comme lorsque Chateaubriand reprochait à sa mère de lui avoir « infligé la vie », mais bien d'une joie première, d'un « oui » originel que Dieu nous adresse à tout instant. La vie est là, son sens lui est déjà donné et il provient justement de ce qu'elle nous est offerte.

L'existence suppose d'être confronté à une multitude d'épreuves qui certes mettent en jeu notre vie toute entière et nous appellent à la requalifier mais qui nous permettent aussi de grandir dans la promesse que notre vie est un don et, qu'en tant quel telle, elle est d'origine divine. « La foi, disait encore Luther, est créatrice de divinité en nous » – « creatrix divinitatis in nobis ». Oui, la foi est créatrice de divinité en nous parce que, justement, elle nous invite à voir la vie comme porteuse d'éternité et à en vivre, en dépit du mal, de la souffrance et de la mort même.

Et cela, nous ne le découvrons jamais aussi bien que lorsque nous faisons l'expérience de la rencontre, l'expérience de l'autre. C'est dans l'autre, dans celui qui vient à nous et s'impose à nous dans toute l'immédiateté et la profondeur de son être que nous pouvons le mieux sentir cette part d'éternité qui nous habite. Car la rencontre de l'autre nous pousse justement à faire sauter les limites de notre être et à le conduire là où il ne pouvait et ne voulait aller, c'est-à-dire à son origine-même : celle du divin. En répondant à cet appel qui se manifeste dans la rencontre, en prenant au sérieux cet impératif, « tu dois aimer ! », que la rencontre de l'autre nous impose et qui nous requiert tout entier, nous avons l'occasion de comprendre la force que l'autre peut représenter et la possibilité de confesser que le mal peut toujours être changé en bien, que l'absurde peut toujours trouver sens, « puisque l'amour, toujours, est possible » – pour citer encore Kierkegaard.

Alors bien sûr, il ne nous est pas interdit d'avoir peur : nous avons le droit d'éprouver de l'angoisse face à l'inconnu, du chagrin face à la souffrance, de la peine face à la perte d'une réalité ou d'une personne qui semblait nous qualifier tout entier ; mais ce que l'Evangile nous offre, c'est, en même temps que nous éprouvons cette peine, d'espérer contre toute espérance, de vivre en dépit de la mort, parce que la foi nous permet de découvrir, pour peu que nous sachions écouter, que notre vie est toujours porteuse d'éternité et que, précisément, elle est toujours capable de vie, de confiance et d'amour.

Alors nous serons peut-être à même de goûter à cette « joie parfaite » cette « joie pleine et entière » dont l'épître de Jacques parle ici et auquel l'Evangile tout entier nous invite pour regarder vers demain avec confiance : « L’ancien monde s’en est allé. Voici, je fais toutes choses nouvelles. » C'est peut-être en fin de compte à vivre de cette parole tirée de l'Apocalypse, livre de confiance et non d'horreur, que nous invite ici et maintenant l'épître de Jacques et, avec elle, tout l'Evangile. Et si nous l'entendons, alors peut-être que la foi aura commencé à renverser quelques petites murailles... « L’ancien monde s’en est allé. Voici, je fais toutes choses nouvelles. » Amen

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
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Lecture de la Bible

Jacques 1:1-8

Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ, aux douze tribus qui sont dans la dispersion, salut!

2 Mes frères, regardez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés,

3 sachant que l’épreuve de votre foi produit la patience.

4 Mais il faut que la patience accomplisse parfaitement son oeuvre, afin que vous soyez parfaits et accomplis, sans faillir en rien.

5 Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans reproche, et elle lui sera donnée.

6 Mais qu’il la demande avec foi, sans douter; car celui qui doute est semblable au flot de la mer, agité par le vent et poussé de côté et d’autre.

7 Qu’un tel homme ne s’imagine pas qu’il recevra quelque chose du Seigneur:

8 c’est un homme irrésolu, inconstant dans toutes ses voies.