L’Église réformée de Paris de 1802 à 1870 :

L’Église réformée de Paris de 1802 à 1870
II. Les hommes

 

On connaît assez mal la population protestante parisienne. Une évaluation faite par le président du Consistoire en 1850 retient le chiffre de 26 000 protestants réformés*. Cela ne constitue qu’un ordre de grandeur, et il est bien difficile de préciser davantage.

En ce qui concerne la composition socio-professionnelle de la communauté protestante, on la connaît pour le milieu du siècle, avec une étude fondée sur l’analyse des registres de baptême et des registres de mariage pour la période 1850-1860*. Certes, ces registres donnent une image un peu déformée, puisqu’ils concernent des fidèles plutôt jeunes (les mariés et les parents de jeunes enfants). Mais ils fournissent tout de même des renseignements utiles. On constate, en effet, que les protestants parisiens font en général partie du peuple et qu’ils ne sont guère riches. De fait, les professions indiquées sur ces registres permettent de dénombrer, entre 1850 et 1860, 41 % d’artisans et ouvriers, 17 % d’employés, 13 % de commerçants et 10 % de gens de maison. Quant à la bourgeoisie (cadres et patronat) elle ne rassemble que 7 % des fidèles présents sur ces registres. Cela ne doit pas nous surprendre. En effet, en 1850 le Consistoire dépense 50 000 F. pour aider les pauvres protestants ; en 1859 il en dépense 88 000 F.*.

Quant à l’origine géographique des protestants parisiens, on peut noter que seulement 22 % des personnes figurant sur ces registres sont nées à Paris et 7% en banlieue parisienne, soit un peu moins d’1/3 au total. Les autres viennent de la plupart des régions françaises. Le Midi ne fournit pas encore un grand nombre « d’immigrants », seulement 4 % ; mais 21 % des personnes étudiées sont originaire de Suisse, et 5 % d’Allemagne. On comprend que le Consistoire ait recruté en 1857 un pasteur auxiliaire germanophone, chargé notamment de présider des cultes en allemand, d’autant plus que 8 % des protestants étudiés sont originaires de l’Est et qu’une partie d’entre eux sont probablement germanophones.

François Guizot à la chambre des députés

François Guizot à la chambre des députés

Nous connaissons déjà l’appartenance sociale des membres laïcs du consistoire et du conseil presbytéral*. Au point de vue personnel, certains sont très connus, comme François Guizot (1787-1874), nommé professeur à la Sorbonne à 25 ans, conseiller d’État, député du Calvados, ministre de l’Intérieur, ministre de l’Instruction Publique, ambassadeur, ministre des Affaires Etrangères, premier ministre, trois fois membre de l’Institut (Sciences morales et politiques, Inscriptions et Belles-lettres, Académie Française) et dont les travaux historiques font de lui l’un des principaux historiens français.

Signalons également François-Antoine Boissy d’Anglas (1756-1826), homme politique qui joua un rôle non négligeable pendant la Révolution. Député aux Etats Généraux de 1789 et donc à l’Assemblée nationale, puis à la Convention, et au Conseil des Cinq cents, membre du premier comité de Salut Public et qui, président de la Convention, résiste à l’émeute de prairial an III (mai 1795). Sous l’Empire, il est membre du Tribunat, puis sénateur ; tandis qu’enfin Louis XVIII le nomme pair de France en 1814.

Citons aussi Benjamin Delessert (1773-1847), qui succède à son père (Etienne Gabriel Delessert, 1735-1816) comme membre du Consistoire et qui, après sa mort, est remplacé par son frère (François Delessert, 1780-1868). Banquier et industriel comme son père et son frère, et également homme politique, Benjamin Delessert est surtout connu pour avoir été le fondateur de la Caisse d’Epargne de Paris en 1818.

Sans tous les énumérer, évoquons les banquiers Dominique André (1766-1844) et son fils, Ernest André (1803-1864), qui lui succède ; l’amiral Charles Baudin (1784-1854) sénateur au début du Second Empire ; Adrien de Gasparin (1783-1862), officier des armées de Napoléon, préfet, ministre de l’Intérieur et pair de France ; le baron Jean-Conrad Hottinguer (1764-1841) ; le marquis de Jaucourt (1757-1852) ; les banquiers Guillaume Mallet (1747-1826) et son fils James Mallet (1787-1868) qui lui succède ; Jean Pelet de la Lozère (1759-1842), bien connu pour son rôle pendant la Révolution, et son fils Clarmond Pelet de la Lozère (1785-1871) ; ou Auguste de Staël (1790-1827) le fils de « Madame de Staël ». On le voit, à cette époque le Consistoire de Paris, c’est un peu le Who’s Who, du protestantisme parisien. D’autant plus que, comme le fait remarquer Michel Richard, entre 1803 et 1848, 36 % des anciens font partie de groupes familiaux (fils succédant à son père, ou à son beau-père)*.

Quant aux pasteurs de Paris, ils sont très occupés, ce qui ne doit pas surprendre. En effet, en 1850 on dénombre sept pasteurs (cinq titulaires, un adjoint et un auxiliaire) pour desservir environ 26 000 paroissiens, ce qui fait un pasteur pour 3 700 fidèles. C’est évidemment très peu. D’autant plus que leurs occupations sont très nombreuses. Outre, naturellement, leur prédication dominicale, souvent les pasteurs président d’autres cultes le dimanche, par exemple, dans les lycées, les prisons, ou les hôpitaux dont ils sont les aumôniers ; ou alors, l’après midi, en banlieue dans des communes où il n’y a encore ni temple ni paroisse complète. Certains président aussi un culte (dit d’édification) le dimanche soir, voire un culte en semaine.

Ils font des réunions religieuses en semaine, et notamment des réunions de prières, président aux inhumations*, donnent des cours d’instruction religieuse pour les jeunes, surveillent les écoles protestantes, font des visites aux parents et à ceux des paroissiens âgés ou malades qui le souhaitent, etc. Par ailleurs, bien des pasteurs font partie des nombreuses sociétés religieuses protestantes, fondées à partir de 1818 et dont le siège est souvent à Paris. Comme, par exemple, la Société biblique, la Société des missions, la Société des traités religieux, la Société pour l’encouragement d’instruction primaire parmi les protestants de France, la Société des écoles du dimanche, la Société de l’histoire du protestantisme français, etc. D’ailleurs, les membres du Consistoire sont aussi nombreux à faire partie du comité de ces sociétés (et à participer à leur financement). De plus, les journaux protestants d’audience nationale – comme les Archives du christianisme ou L’Espérance pour la tendance évangélique, ou Le Lien ou Le Disciple de Jésus-Christ pour la tendance libérale – sont édités à Paris et les pasteurs parisiens participent à la direction et à la rédaction de ces journaux. Ils sont aussi membres de divers comités de bienfaisance et ont des heures de réception, où souvent ils distribuent des secours aux nécessiteux. De plus, nous allons le voir, certains trouvent encore le temps d’écrire des livres. Enfin, les pasteurs parisiens ont aussi une vie « mondaine » ou plutôt « pieusement mondaine ». Juliette Rognon, femme du pasteur Louis Rognon, l’évoque en ces termes en 1862 dans une de ses lettres :

« Mais le dehors prend ici un temps énorme […] Mercredi dernier nous dînions chez Mme Jacques Fauquet, jeudi chez la comtesse du Viviers, et là au milieu d’un luxe millionnaire. Ce lundi nous avons passé la soirée dans les magnifiques galeries de M. Delessert, galeries qui valent mieux que beaucoup de musées de province […]. Hier nous dînions en petit comité chez notre cher ancien, M. Mettetal ; cela a été moins splendide et bien plus amusant. Ce soir, nous sommes invités à la soirée de contrat de Mlle Félix Vernes, qui épouse M. Waddington. Je laisse aller Louis seul parce que ce sera, je pense, une soirée décolletée. »*

Par ailleurs, on peut noter que certains pasteurs ont un tempérament assez vif et que toutes les séances du Consistoire ne se passent pas dans le calme et la sérénité. Tel est le cas, par exemple, le 28 octobre 1852, lors de la discussion sur les conditions religieuses de l’électorat paroissial. Le procès-verbal précise :

« Mons. Delessert se plaint avec vivacité de la défaveur avec laquelle Mess. les pasteurs Coquerel et Martin ont parlé de ceux qui formaient ou devaient former la part la plus importante des souscriptions pour le culte ; il vaudrait mieux renoncer à toute souscription que de déclamer contre les riches, veut-on décourager les principaux souscripteurs ? Il ne leur resterait plus qu’à se retirer des listes.

Mons. le pasteur Martin s’empresse de protester contre ces allégations : il nie formellement que rien dans ses paroles ni dans ses intentions les justifie. Mons. le pasteur Coquerel fait la même déclaration ; il la termine en disant avec force : Mons. Delessert, vous avez menti, puis il se lève et va se placer en face de l’honorable membre et lui répète deux fois avec violence : vous avez menti devant Dieu. Mons. le président agite sa sonnette et rappelle M. Coquerel à l’ordre ; ce pasteur s’écrie, je ne veux pas de votre rappel à l’ordre, je demande la parole. Les membres se lèvent et expriment leur sentiment sur ce qui vient de se passer. On entend Mons. le Past. Vermeil dire : c’est abominable. Mons. le pasteur Coquerel demande : qui a dit cela ? Puis il s’avance en face de Mons. le pasteur Vermeil et lui disant : c’est ce drôle de Vermeil, s’il juge les autres je le jugerai aussi. L’assemblée se sépare dans l’agitation à 11 heures et 1/4*. »

Notons, toutefois, que ce genre d’incident est exceptionnel. Et rappelons, en souriant, que lors de sa dernière année d’études de théologie ses professeurs jugent nécessaire d’ajouter aux travaux obligatoires d’A. Coquerel un sermon sur ce verset de l’Evangile « doux et humble de cœur »*.

Qui sont les pasteurs de Paris ? Naturellement nous n’allons pas présenter tous les pasteurs ayant exercé leur ministère dans l’Église réformée de Paris entre 1803 et 1870, mais nous allons en évoquer très rapidement deux, un pour chaque tendance théologique. On sait, en effet, qu’alors les protestants – et les pasteurs – se divisent en deux tendances l’une dite « évangélique »* et l’autre « libérale ». Par exemple, à Paris en 1850 sur les six pasteurs rétribués par l’Etat, trois sont évangéliques, H.-F. Juillerat, A. Monod et A. Vermeil et trois sont libéraux, A. Coquerel, J. Martin-Paschoud et A. L. Montandon. Quant au pasteur auxiliaire, M. Rouville, il est libéral ; cependant, en 1852 le second pasteur auxiliaire nommé est un évangélique, H. Paumier. Tandis que, logiquement, les deux suffragants appartiennent à la même tendance que le pasteur qu’ils aident : J. H. Grandpierre est évangélique (comme H.-F. Juillerat) et A. Coquerel fils est libéral (comme J. Martin-Paschoud). On le voit, au milieu du siècle à Paris on compte autant de pasteurs de chaque tendance, bien que le Consistoire possède une nette majorité en faveur des évangéliques.

Alors, à Paris le principal représentant de la tendance libérale est Athanase Coquerel (1795-1868)*. D’origine normande (et anglaise par sa mère) il fait ses études à Genève puis Montauban et, influencé par l’ambiance doctrinale du temps, il intitule son mémoire de fin d’études Sur l’existence de Dieu prouvée par la contemplation de l’univers. Il montre aussi d’emblée son attachement à ce que l’on va peu à peu appeler le libéralisme en refusant un poste de pasteur à Jersey, parce qu’il aurait dû signer la confession de foi de l’Église d’Angleterre et qu’il est hostile au principe des confessions de foi.

Sur recommandation de Marron, en 1819 il est choisi comme pasteur de l’Église wallonne d’Amsterdam. En mai 1830 il vient à Paris, comme suffragant de Marron ; puis, en mai 1832, il devient pasteur adjoint, et enfin pasteur titulaire en septembre 1832 (en remplacement de Marron, décédé). Il demeure à ce poste jusqu’à sa mort. Comme nous allons le voir, la fin de sa vie est assombrie par le non renouvellement de la suffragance de son fils en 1864 et aussi par ses démêlés avec le Consistoire à propos de son suffragant. Par ailleurs, dans les années 1850, il connaît à propos de son logement, une mésaventure, contée en ces termes par Juliette Rognon :

« […] M. Coquerel père, peu de jours après avoir loué l’appartement qu’il occupe rue Moncey, avait reçu une lettre anonyme dans laquelle on lui témoignait une grande surprise de ce qu’il allait loger juste au dessus de l’étage occupé par une des plus fameuses lorettes de Paris ; on lui disait que ce rapprochement pourrait nuire à la dignité de son ministère, etc. M. Coquerel […] consulte alors des avocats, des hommes d’affaires pour savoir s’il ne pourrait pas faire casser son bail ; on lui répond que non […]*. »

Esprit brillant et cultivé, il acquiert rapidement une réputation qui dépasse la simple communauté protestante pour atteindre, dès les années 1840, le monde de l’intelligentsia parisienne et celui des cercles dirigeants de l’État. Sa vie connaît, d’ailleurs, un épisode politique puisqu’il est élu député en 1848 ; réélu en 1849 il reste député jusqu’en décembre 1851, tout en continuant à exercer son ministère pastoral (à l’Assemblée nationale, il se montre fort conservateur au point de vue politique et social). De plus, au début du Second Empire, on lui propose un poste de sénateur*, qu’il refuse toutefois. Actif – nous savons qu’il est à l’origine de la fondation de la paroisse des Batignolles –, c’est incontestablement un brillant orateur. Jean Pédézert, qui est pourtant de tendance doctrinale opposée, écrit à son propos :

« M. Coquerel père a eu, pendant de longues années, le plus grand auditoire protestant de la capitale. On le suivait de temple en temple, on ne se lassait pas de l’entendre. Je l’ai entendu bien des fois, moi aussi, et j’ai partagé l’admiration commune. Aux morceaux et aux mots heureux on aurait applaudi volontiers*. »

Ferme partisan du libéralisme il combat la tendance évangélique, notamment en polémiquant contre elle dans un livre – rédigé avec son frère Charles et publié sous le pseudonyme de Ludovic Dauern – intitulé Lettres méthodistes*, où il caricature les partisans du mouvement du Réveil, les présentant comme des obscurantistes, dont certains ne jouissent que d’un équilibre mental précaire.

Il fonde aussi plusieurs journaux. Tout d’abord Le Protestant (1831-1834), puis Le Libre examen (1834-1837) et enfin Le Lien, en 1841 (avec son frère Charles, son fils Athanase, Martin-Paschoud, Montandon et Rouville), qui paraît jusqu’en 1870 et devient rapidement le principal porte parole des libéraux français. Il en prend tout d’abord la direction ; il la cède ensuite à son fils Athanase dans le courant des années 1860*. Outre six volumes de sermons, il a publié plusieurs livres où il s’efforce de défendre le libéralisme modéré auquel il adhère. En particulier L’orthodoxie moderne, paru en 1842*, qui est plutôt une présentation générale de ses positions doctrinales ; et, surtout, en 1847, un gros ouvrage de 529 pages intitulé Le Christianisme expérimental*. En choisissant ce titre, au moment où la méthode expérimentale s’affirme dans le domaine des sciences exactes, il cherche, probablement, à montrer que la théologie est une science et qu’elle a le droit de revendiquer toute sa place dans le développement de la pensée scientifique.

Toutefois, ses principales idées doctrinales sont fondées sur une méthode issue de l’élaboration théologique du XVIIIe siècle, qui vise plus à atténuer la dogmatique classique, dans le but de la rendre plus acceptable par la raison, qu’à la contester frontalement. Par ailleurs, il est peu influencé par l’exégèse scientifique (dite « historico-critique ») qui connaît un réel développement à cette époque. Ainsi, par exemple, à propos de l’inspiration des Ecritures, qu’il défend, il écrit que les prophéties et les miracles sont les deux seules preuves de l’inspiration que l’intelligence puisse admettre et que l’imagination puisse supposer, parce que, à son avis l’inspiration est :

« […] un simple développement de la prévoyance rationnelle ; c’est une borne reculée ; c’est le champ agrandi ; c’est un moment de longue vue perçant l’avenir jusque dans un éloignement où à l’œil nu le regard humain ne saurait plus parvenir*. »

Quant aux miracles, à ses yeux ils sont :

« […] simplement le produit des forces qui régnaient dans la nature avant la chute, et que la rédemption momentanément, y ramène, y déploie, y revivifie, ou bien l’effet du pouvoir régénérateur de la rédemption sur les forces de la nature telles que la chute les a modifiées*. »

On le voit, A. Coquerel est bien un libéral modéré*. Par ailleurs, certaines de ses initiatives, en particulier en 1852, au moment de la mise en application du décret-loi du 26 mars, laissent penser qu’il aurait aimé se trouver à la tête du protestantisme parisien, voire de l’ensemble de l’Église réformée (par l’intermédiaire du Conseil central des Églises réformée)*. Mais il n’y parvient pas, en particulier parce que depuis le début des années 1840 les libéraux sont nettement minoritaires au Consistoire, puis au conseil presbytéral de l’Église réformée de Paris.

Adolphe Monod (1802-1856), le second pasteur dont nous allons ici esquisser très rapidement le portait, est très différent d’A. Coquerel. Fils du pasteur Jean Monod (1765-1836, pasteur à Paris de 1808 à sa mort) il a trois frères pasteurs (Frédéric, Guillaume et Horace). Il fait ses études de théologie à Genève, dans une faculté dominée par le libéralisme modéré, auquel il adhère dans un premier temps. Il est tout d’abord pasteur de la colonie francophone de Naples. Toutefois, il y connaît une « conversion » qui lui fait adopter les idées du Réveil religieux. Ce mouvement, on le sait, souhaite insuffler une vie nouvelle aux chrétiens de ce temps en les amenant aussi à connaître une « conversion » du coeur et, également, favoriser un retour à une partie de la dogmatique des Réformateurs, dont l’affadissement lui semble en partie responsable de ce qui lui apparaît comme un sommeil spirituel chez les fidèles. En 1828 il est nommé pasteur à Lyon, où il a comme collègue

J. Martin-Paschoud, qu’il retrouvera à Paris. Mais, dès l’été 1829 il entre en conflit avec le Consistoire.

En effet, il souhaite promouvoir ses choix doctrinaux tandis que la majorité du Consistoire, et les autres pasteurs lyonnais, entendent rester fidèles au libéralisme. Le conflit se cristallise sur un point : A. Monod pense que seuls les fidèles qu’il juge « convertis » peuvent être admis à la Sainte Cène ; et il demande à être autorisé à faire un tri entre ceux qu’il laisserait communier et ceux (qu’il appelle les « inconvertis ») qui ne seraient pas autorisés à communier. Ainsi en mars 1831 il prononce un sermon qu’il intitule « Qui doit communier ? », où il déclare, notamment : « Pour moi, j’aimerais mieux poser sur une pierre le corps du Christ et jeter au vent le sang du Christ, que de les livrer à une bouche incrédule et profane* ! » Et, comme le Consistoire refuse d’accéder à sa demande, le dimanche de Pentecôte 1831, il refuse de distribuer la communion. Le Consistoire décide alors en 1832 de le révoquer.

Dans un premier temps, il reste à Lyon comme pasteur d’une petite communauté indépendante, qui partage ses convictions doctrinales. Mais il évolue peu à peu et, en 1836, il rentre dans l’Église concordataire, en devenant professeur à la Faculté de théologie de Montauban. Il y enseigne d’abord la morale et l’éloquence sacrée, puis l’hébreu et enfin l’exégèse du Nouveau Testament. Son enseignement le conduit, d’ailleurs, à modérer et à modifier ses convictions, en particulier sur les formes de l’inspiration des Ecritures. Mais il reste toujours un très ferme partisan de la tendance évangélique. D’ailleurs, en 1846 il participe, à Londres, à la grande réunion fondatrice de l’Alliance évangélique, où il joue un rôle non négligeable*. Chacun s’accordant, par ailleurs, à reconnaître ses qualités de prédicateurs, ses amis souhaitent qu’il puisse se faire entendre par de vastes auditoires. Si bien qu’en 1847 il est appelé à Paris comme suffragant d’H. F. Juillerat ; et, en 1849, il est nommé pasteur titulaire, en remplacement de son frère Frédéric démissionnaire (et fondateur de l’Union des Églises évangéliques libres).

Bien qu’il soit avant tout un pasteur, à Paris la plus grande partie de son activité est orientée vers la prédication. Et il est vrai qu’il y remporte un grand succès, qui le fait connaître (à l’instar d’A. Coquerel) bien au delà de la simple communauté protestante. Paul Stapfer l’évoque en ces termes :

« J’ai vu le grand temple de la rue Saint-Honoré, l’Oratoire […] profondément silencieux, bien qu’il fût rempli de monde assis et debout jusque sur les marches de la chaire et jusque dans les tribunes des étages supérieurs ordinairement désertes […]. Ce qui était frappant c’est le silence d’avant et d’après, le silence de l’attente d’abord et ensuite le silence de l’effet produit*. »

Certes, nous avons tendance aujourd’hui à trouver son éloquence surannée ; d’autant plus qu’il n’hésite pas à tenter de provoquer l’émotion, et même la crainte chez ses auditeurs ; Michelet disait de lui : « tous ceux qui l’ont entendu en tremblent encore »*. Il reste qu’elle est particulièrement appréciée par ses contemporains. E. G. Léonard l’appelle « la voix du Réveil » et affirme que d’autres « ont parlé au nom du Réveil avec puissance et autorité […] mais aucun ne s’est acquis une telle audience »*. Mais, à Paris, son ministère dure peu de temps, puisqu’il meurt dès 1856.

Suite : III. La querelle entre les évangéliques et les libéraux à Paris

André Encrevé 
extrait du livre du bicentenaire

Notes :

* Consulter André Encrevé, Protestants français…, p. 1063 et p. 1076.

* Voir André Encrevé, « Une paroisse protestante… », art. cit, p. 58-78 ; la première forme de cet article est un Diplôme d’études supérieures préparé à la Sorbonne en 1963-1964 et intitulé également Une paroisse protestante de Pairs : l’Oratoire de 1850 à 1860; il est plus précis et plus détaillé que l’article (qui n’en reproduit qu’une partie) et il peut être consulté au Centre d’histoire du XIXe siècle de l’Université de Paris I.

* André Encrevé, « Une paroisse protestante… », art. cit., p. 346-347 ; et le détail dans le DES cité, p. 181-193.

* Pour tous ces anciens, consulté l’article, déjà cité, de Michel Richard, « Notice sur les membres… », B.S.H.P.F., t. 125 (1979), p.449-490.

* Art. cit., p. 454.

* Jusqu’aux années 1860 on conserve l’habitude ancienne (elle remonte au XVIe siècle) de ne pas célébrer de service religieux dans le temple à l’occasion des inhumations. Le pasteur se contente d’accompagner le convoi funèbre de la maison du défunt jusqu’au cimetière et de prononcer une courte allocution devant la tombe. Comme ces « convois » sont nombreux, le consistoire désigne à tour de rôle un pasteur « de semaine » qui est chargé d’accompagner les convois. Naturellement les paroissiens peuvent aussi faire appel au pasteur de leur choix. Cette habitude se perd dans le courant des années 1860 ; ainsi par exemple, en 1867 un service est célébré dans le temple de l’Oratoire à l’occasion de l’inhumation de l’ancien ministre des finances, Achille Fould.

* Claude Michel, « Un pasteur à Paris sous le Second Empire : Louis Rognon et son rôle dans l’Église réformée de 1857 à 1869 vus à travers les lettres de sa femme », dans Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, t.127 (1981), p. 397-456 ; p. 432

* Registre n° 6, p. 422 ; cité par André Encrevé, Une paroisse ….DES cité, p. 171-172.

* Cité par Daniel Robert, notice consacrée à Athanase Coquerel dans André Encrevé (dir.) Les protestants, vol. 5 du Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, Paris, Beauchesne, 1993, p. 141.

* Certains appellent cette tendance « orthodoxe » ; nous préférons utiliser le terme d’évangélique parce, surtout depuis la fondation en 1846 de l’Alliance évangélique, c’est le nom que les dirigeants de cette tendance ont eux-mêmes choisi.

* Consulter André Encrevé, « Samuel Vincent, Athanase Coquerel et le courant libéral modéré au milieu du XIXe siècle », dans Jean-Paul Chabrol et Laurent Gambarotto (dir.) Eclairer le peuple, Jean-Louis Médard (1768-1841) négociant, mécène, protestant, languedocien, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2004, p. 105-132.

* Claude Michel, art. cit., p.407.

* On sait que sous le Second Empire les sénateurs sont nommés par le chef de l’État.

* Jean Pédézert, Cinquante ans de souvenirs religieux et ecclésiastiques, 1830-1880, Paris, Fischbacher, 1896, p. 6. Cet ouvrage contient de nombreux portraits de protestants parisiens.

* Ludovic Dauern, Lettres méthodistes, Paris, Cherbuliez, 1833.

* Sur ce dernier consulter le livre d’Ernest Stroehlin, Athanase Coquerel fils, Paris, Fischbacher, 1886.

* C’est un ouvrage assez bref, de 80 pages, publié à Paris chez Marc Aurel.

* Paris, Cherbuliez, 1847. Il publie aussi en 1858 un livre intitulé Christologie ou Essai sur la personne et l’œuvre de Jésus-Christ…, Paris, Cherbuliez, 2 vol.

* Le Christianisme expérimental, p. 241.

* Ibid., p. 244.

* Dans son livre sur la Christologie, paru en 1858, A. Coquerel s’intéresse davantage aux débats contemporains ; mais il y modifie peu ses idées fondamentales.

* Consulter à ce propos André Encrevé, Protestant français…, p. 516-533 et 545-561.

* Adolphe Monod, Sermons, première série, Lyon, 2e éd. Paris, Meyrueis, 1855, p. 282.

* Consulter James L. Osen, Prophet and Peacemaker, the life of Adolphe Monod, New York, University Press of America, 1984, p. 251-258.

* Paul Stapfer, La grande prédication chrétienne en France. Bossuet, Adolphe Monod, Paris, Fischbacher, 1898, p. 251.

* Ibid., p. 195, note 1.

* Emile G. Léonard et Boris Decorvet, « Esquisse biographique » en introduction à la réédition du livre d’Adolphe Monod Les Adieux, Vevey, Editions des Groupes Missionnaires, 1957, p. 56.

 

      

1802 : le Concordat et ses "articles organiques"

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