Usés de ne pas user de la parole de Dieu( Jérémie 13:1-11 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 14 novembre 2010 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, le livre biblique de Jérémie se situe à un moment de crise particulier dans l’histoire du peuple hébreu. Il y a certes une crise internationale qui se prépare : Jérusalem est pris entre de grands Empires menaçant et la question se pose de savoir avec qui les Hébreux doivent faire alliance. Il y a aussi une crise spirituelle qui, par bien des aspects, n’est pas sans évoquer notre situation actuelle. De quoi s’agit-il ? Le chapitre 5 nous renseigne sur le fait que le droit est bafoué de bien des manières, que l’injustice provoque une violence sauvage et que l’Eternel est devenu quantité négligeable au point que sa parole est bafouée, ignorée ou usurpée. Le verset 13 est on ne peut plus explicite sur le climat religieux du moment : « les prophètes ne sont que du vent, il n’est pas de parole en eux ». Autrement dit, il y a d’un côté ceux qui ont rejeté Dieu aux oubliettes et, d’un autre côté, ceux qui usent de l’étiquette divine pour cautionner leurs propres discours. Et au milieu, il y a notre Jérémie, un jeune garçon qui déclare ne pas savoir parler, précise le texte biblique (Jr 1/6). La cause de l’Eternel semble bien mal partie ! C’est pourquoi Dieu réagit et l’un des premiers actes décisifs pour retourner la situation consiste à faire de Jérémie un prophète digne de ce nom ! Le chapitre 13 nous montre de quelle manière Dieu s’y prend pour faire de cet adolescent l’un de ses portes paroles, une autre manière de dire « prophète ». Interpréter les signesPuisque nous sommes en pleine crise de la parole de Dieu, l’Eternel va prendre les habits du catéchète et faire preuve de pédagogie envers le jeune Jérémie. La parole pose problème ? qu’à cela ne tienne, Dieu passe outre la parole parlée et oriente Jérémie vers la parole vue. Pas de longs discours, pas d’argumentation, mais un objet, une ceinture en lin, qui va devenir un outil catéchétique par lequel Dieu va faire comprendre à Jérémie l’importance qu’il y a à intervenir. Jérémie ne se sent pas capable de parler au nom de Dieu ? il n’est pas en mesure de comprendre la parole de Dieu et d’en rendre compte autour de lui ? Alors Dieu utilise un autre moyen que la parole, en l’occurrence un signe, pour rendre Jérémie capable de la mission qu’il veut lui confier. Cette ceinture de lin est donc déposée dans un endroit abrité des intempéries, elle est mise à l’écart, de côté, mais, au bout d’un moment, lorsque Jérémie la récupère, elle est abîmée et n’est plus bonne à rien. A Jérémie de comprendre ce que cela veut dire, à Jérémie d’interpréter les signes, à nous tous d’être prophètes du sens ! l’exemple de Jérémie est d’autant plus intéressant que, si nous sommes un tant soit peu honnêtes, nul ne peut se targuer d’entendre, réellement, la parole de Dieu. C’est toujours un abus de langage de notre part lorsque nous disons que nous sommes à l’écoute de la parole de Dieu. Déjà, nous distinguons la parole de Dieu du texte biblique car nous avons bien conscience que ce n’est pas Dieu qui parle à chaque mot du texte biblique. Mais la situation est bien plus critique que cela : même lorsque nous faisons des efforts pour comprendre la volonté de Dieu à travers ces textes, lorsque nous faisons des efforts pour saisir l’espérance que Dieu forme pour nous, ce n’est jamais directement Dieu que nous entendons. Et lorsque nous prions et que nous faisons un peu silence en nous-mêmes, ce n’est pas Dieu qui parle à la manière de ce que nous entendons au sens courant de parler. Dieu ne nous parle pas comme je suis en train de le faire. Par certains aspects, nous faisons preuve d’une grande arrogance lorsque nous prétendons nous mettre à l’écoute de la parole de Dieu, laissant croire à ceux qui ne sont pas croyants ou à ceux qui voudraient l’être, que Dieu nous parle comme nous le faisons entre nous. Il peut même y avoir là une source de découragement pour tous ceux qui veulent entendre Dieu leur dire ce qu’il a à nous raconter, mais qui désespèrent d’entendre cette fameuse petite voix intérieure qui s’exprimerait comme nous le faisons. Le récit qui met en scène Jérémie nous rend attentif au fait que nous aussi, nous ne pouvons avoir accès à la parole de Dieu qu’à travers des signes, qu’il faut décrypter, comprendre, interpréter. Souvent, se mettre à l’écoute de Dieu relève d’une véritable enquête policière : le texte biblique, nos intuitions, le témoignage d’autres personnes, les faits de la vie quotidienne, le raisonnement… et c’est avec tout cela que nous devons nous débrouiller pour faire émerger la vérité. Et encore… « La vérité », voilà qui est bien présomptueux : Jérémie qui est face à un signe qu’il doit interpréter pour comprendre ce que Dieu veut lui expliquer, se retrouve avec plusieurs interprétations assez différentes l’une de l’autre pour ne pas dire contradictoires : soit la ceinture représente le peuple que Dieu, lui-même va réduire à rien (v. 9), soit ce n’est pas Dieu lui-même qui punira le peuple mais le peuple finira tout de même comme cette ceinture qui n’est plus bonne à rien (v.10), soit il s’agit de comprendre la plainte de Dieu qui soupire de s’être attaché au peuple et d’être déçu d’avoir été rejeté (v. 11). Un signe, plusieurs sens… certains pourraient en conclure que cela dévalorise la vérité ; nous pouvons y voir, au contraire, un enrichissement : la vérité est plurielle, elle est dans le conflit des interprétations plutôt que dans une formulation unique. Alors, que nous dit ce signe ? Une fierté ma placéeDans tous les cas, la ceinture représente le peuple dont Dieu a voulu se faire une parure. Si la ceinture est abîmée, cela signifie que le peuple est abîmé, qu’il n’est plus bon à rien. Nous sommes là en plein jugement du peuple qui, suite à sa mauvaise conduite, semble être condamné à disparaître. Ce qui est plus particulièrement en cause, c’est l’orgueil du peuple. L’orgueil est ce qui qualifie Juda et Jérusalem, ce qui est une manière d’insister lourdement puisque Jérusalem fait partie du territoire de Juda et, dans le texte hébreu, le verset suivant en tire la conséquence que le peuple est mauvais ou méchant, selon les traductions du terme ra’. Là encore, n’est-ce pas un peu arrogant de dire que c’est de la méchanceté de refuser d’écouter Dieu, que c’est de l’orgueil ? N’est-ce pas notre liberté, aussi, de choisir, ou non, de l’écouter, de lui obéir ? Ne serait-ce pas terrible, finalement, de considérer que si nous n’obéissons pas scrupuleusement à Dieu, nous ne valons rien ? à la limite, on pourrait se demander si nous n’assistons pas là à une sorte de crise un peu puérile où Dieu se met en colère parce qu’on ne lui prête pas assez attention, à la manière du petit enfant qui se roule parterre dans le supermarché parce que ses parents ne veulent pas faire exactement ce qu’il leur demande. De quel droit, au juste, Dieu nous condamnerait-il parce que nous ne l’écoutons pas à la lettre près, alors même que nous venons de voir que la parole de Dieu se dévoile dans des signes qu’il faut interpréter et qui recouvrent une pluralité de sens ? de quel droit pourrait-il nous condamner à disparaître au prétexte que nous ne lui sommes pas soumis ? est-ce ainsi que les parents devraient traiter les enfants récalcitrants ? est-ce ainsi que les parents devraient agir contre les enfants qui prennent quelques libertés voire leur indépendance, surtout que là, il s’agit d’adultes. Est-ce que Dieu suscite l’humanité pour mieux la mater ? La traduction grecque, dite des Septante, nous aide à y voir plus clair. Les termes « orgueil » et « mauvais/méchant » sont traduits par le terme grec ubris. Ceux qui sont familiers de la mythologie ou de la philosophie grecque connaissent bien ce terme qui est rendu soit par « démesure, orgueil, insolence, emportement » soit par « outrage, insulte, sévices, violence ». l’ubris, c’est le moteur humain lorsque l’humain est livré à lui-même et qu’il se prend pour plus qu’il n’est. L’ubris, c’est ce qui anime la grenouille qui veut se faire aussi grosse qu’un bœuf. « Elle, qui n’était grosse en tout comme un œuf, envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille, pour égaler l’animal en grosseur ». « La chétive pécore s’enfla si bien qu’elle creva », nous raconte Jean de Lafontaine. Eschyle, pour sa part, écrivait que l’ubris égare les hommes qui conçoivent des ambitions que n’autorise pas la condition humaine. Ce dont il est question, c’est d’une hypertrophie de l’ego, d’un manque cruel d’humilité mais aussi de lucidité. C’est l’illusion selon laquelle on peut avoir la science infuse et qu’on n’a besoin de personne pour réussir tout ce qui nous passe par la tête. L’ubris, l’orgueil, c’est l’illusion selon laquelle on peut se débrouiller seul en toute circonstance et que les autres, que le Tout-Autre, n’a rien à nous enseigner, parce que nous n’avons rien à apprendre. Ici, le peuple est pris en flagrant délit d’orgueil, de manque d’humilité. Il a raccroché Dieu au râtelier, il s’est rallié à des divinités qui ne sont que des idoles, c’est-à-dire des constructions humaines sur lesquelles on projette nos fantasmes pour qu’elles nous renvoient en miroir la belle image de nous-mêmes que nous souhaitons. Et Jérémie est en train d’interpréter le signe de la ceinture divine qui a été abandonnée et qui est devenue une peau de chagrin. Les trois interprétations me semblent être, en fait, trois étapes d’interprétations de ce signe. Dans un premier temps, il considère que Dieu doit punir le peuple de l’avoir méprisé et d’avoir tenu pour négligeables ses conseils. Dans un deuxième temps, il considère que ce n’est pas Dieu qui va punir le peuple mais que l’aveuglement, l’obstination, l’orgueil du peuple va le conduire à sa propre perte. Dans un troisième temps, il mesure le désarroi de Dieu, sa tristesse devant cet énorme gâchis. Et c’est cette prise de conscience qui va conduire Jérémie à renforcer sa détermination à être prophète du Dieu vivant et à intervenir auprès du peuple pour rectifier le tir, pour que le peuple change de comportement et cesse de courir à sa perte. Cette interprétation progressive de Jérémie nous fait passer d’une justice de Dieu en forme de « tu n’obéis pas à ma volonté, je te condamne » à une justice divine que nous pouvons exprimer avec le théologien John Cobb. Celui-ci explique Dieu est celui qui nous appelle à la vie, celui qui nous fait sortir de nos petites vies, de nos petites pensées, de nos petits conforts, de nos petites certitudes. Dieu est celui qui nous libère de toutes nos étroitesses, de notre orgueil, en somme, pour nous ouvrir à son projet pour la Création tout entière. Ne pas répondre à cet appel, ne pas voir ce que Dieu nous propose, ne pas accepter les nouveaux défis qu’il nous invite à relever, c’est porter sur nous-mêmes notre propre condamnation, c’est se condamner à une vie sous-dimensionnée, en sous-régime. Se fermer à Dieu, c’est s’ouvrir à une peine capitale que nous nous infligeons nous-mêmes en refusant les formes de bonheur auxquelles Dieu nous convie. A chaque fois que nous refusons ce que Dieu nous propose, c’est comme si nous réduisions notre champ de vision parce que nous réduisons le champ des possibles. Et, de fil en aiguille, notre vie devient effectivement comme cette ceinture de lin qui n’est plus bonne à rien, qui est comme réduite à néant. C’est cela qui attriste Dieu. Mais le livre de Jérémie nous révèle que Dieu n’abandonne pas pour autant. Car à travers des Jérémie qui bénéficient de divines séances de catéchèse, l’histoire peut repartir. En effet, désormais, Jérémie qui a comprit comment s’exerce la justice de Dieu, sait que l’homme s’use de ne pas user de la parole de Dieu, à la manière de cette ceinture de lin. Et Jérémie réalise que c’est en s’ouvrant à Dieu que Dieu peut agir. Aussi est-il décisif que des Jérémie se lèvent afin de rendre notre vie à la vie, afin de rendre notre vie belle et claire à la lumière de l’Evangile. Amen.
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